Opinion poil au menton

La machine à opinioner, ça s'use. Grosse fatigue. Je suis loin de l'indigestion d'émissions à opinion à la télé mais à force, je finis par me demander comment on peut être sûr de son opinion.
 
Chez moi, en ce moment, l'opinion relève au mieux d'une forme d'intuition : sentir au fond de soi quelle est la bonne réponse, ou alors, combien la mauvaise est mauvaise. Exemple donné dans un des sélections d'Arrêt sur images sur TV5 : Sarkozy, dans une émission, qui répond au journaliste qui l'interpelle sur la baisse de l'âge de la majorité pénale, « croyez-vous que pour Mama Galledou qui a été brûlée à 65% dans un bus à Marseille, cela change grand-chose que ce soit un mineur ou un majeur qui aie fait ça ?! ». Le journaliste en est resté bouche bée et a opiné du bonnet (genre oui effectivement ça ne change rien). Bien sûr, le procédé était malhonnête comme souvent chez Sarkozy (recours à une certaine forme de culpabilisation, ici culpabilisation devant la douleur de la victime…) et si on réfléchit, après, on s'en extirpe et on défend objectivement (au sens, sans émotion) son opinion à ce sujet (l'âge pénal) que l'on soit pour ou contre. Mais se pose toujours la question du fondement de son opinion. Qui peut être rationnel, militant, intuitif, émotionnel…

En ce moment, tout se dissout dans ma tête. Je deviens très platonicienne ou socratienne, je ne sais plus (je sais que je ne sais rien). A partir de quoi je peux juger de cette histoire d'âge pénal ? Je ne suis en contact avec aucun mineur ou majeur délinquant (ou alors je ne m'en suis pas rendu compte…). Ne me reste que le bon sens digne d'une ménagère : il est difficile de juger les actes de quelqu'un âgé de 14 ans comme s'il en avait 30 et quelques, ce qui ne veut pas dire que ces actes ne peuvent pas être jugés. Le fameux ni, ni qu'illustrait notamment un roman de Gûnter Grass ayant pour personnages principaux des intellectuels, Les enfants par la tête, qui passaient leur temps à tout analyser et à ne jamais trancher finalement.
 
Et de savoir que toutes les questions relevant du débat politique du moment et de façon générale, de  notre vie citoyenne, reposent sur cette même ignorance, je sais que je ne sais rien, ne me console guère. Dès qu'on fouille, on s'aperçoit en général qu'on ne sait rien ou pas grand-chose… et pourtant, on a besoin de savoir ! De se positionner ! Impossible dans un débat sur les candidats avec des amis de dire à chaque sujet, je suis sans opinion, je ne sais rien… Outre le fait qu'on apparaîtrait comme particulièrement fuyant, où serait le plaisir de débattre ? On se bataille alors à partir des ombres entraperçues sur le mur de la caverne (encore Platon !), avançant des sensations de vérité, en sachant ce qu'on ne veut surtout pas et en essayant de ne pas se faire (trop) piéger. Genre se retrouver à défendre quasiment bec et ongles une Ségolène Royal qu'on n'aime pas, qu'on ne connaît même pas vraiment, juste parce qu'il faut défendre le fait qu'on veut voter Ps et pas Bayrou, ou encore moins Laguiller (d'avoir vu La vie des autres ce we m'a encore moins donné envie de voter pour cette arnaque qui, quoiqu'elle s'en défende, est une sorte d'avatar de ces ex sales régimes de l'Est…).
 
Depuis quelques temps, voilà que le vent souffle dans les boucles de Bayrou. Et là, pareil, le même flou, qui est-il exactement, peut-on croire vraiment ce qu'il dit ? Quel flou ! Parce que si Ségolène Royal ne raconte que des mensonges, si elle nous berce d'illusions, je ne vois pas pourquoi ça ne serait pas le cas de Bayrou… je ne vois pas en quoi il serait plus honnête et qu'est-ce qui nous pousserait plus à croire en lui (on en est là, croire en l'un d'entre eux…). Merde et merde.
 
On en vient à se dire qu'il faudrait lire sur tout, faire des fiches, comme à l'école, et même là, pas sûr qu'on serait fondé dans notre opinion. Si je prends par exemple des sujets comme la mondialisation ou la guerre en Irak, allez donc savoir ce qu'il convient de faire ! On tire sur un fil et tout se délite. Vous voulez défendre les ouvriers français ? Mais alors, quid des ouvriers des pays du tiers monde, n'ont-ils pas le droit de vivre comme tout le monde ? Ils n'ont même pas le RMI en plus ! Certaines opinions parfois étaient simples. Etre contre l'engagement américain en Irak, au départ, c'était finalement d'une facilité enfantine, quelque chose de clair, de net, obéissant aussi bien à du rationnel qu'à de l'éthique, mais maintenant ? Qu'en penser une fois énoncés les c'est vraiment trop affreux, quel carnage, quelle bande de cons d'avoir été foutre autant la merde là bas ? Concrètement, que doit-on en penser de cette guerre ? Et quand vous lisez que les Palestiniens, du fin fond de leur éternelle galère, ne trouvent rien mieux que se cogner mutuellement les uns sur les autres, on n'a même plus envie de penser quoique ce soit concernant cette région du monde.
 
Alors, comment ne pas sombrer dans la névrose schizophrénique qui pousserait même à douter de, cette main est-elle bien la mienne ? Aucune idée, je n'ai aucune réponse à cette question, à part vous conseiller de ne plus avoir d'opinion, ce qui conduit en fait à une autre sorte de mort cérébrale car quelqu'un qui n'a pas d'opinion, est quelqu'un plus proche de la mort par auto-dissolution que de la vie. Enfin, sans doute, quoique, etc.

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