Une énergie d’avenir II

  • Ah non, ça suffit, nous on veut le récit du camping!

Les
Flots bleus
qui s'obstinent. Mais dommage pour eux, moi aussi.
Puisqu'en effet, je compte poursuivre en ce jour sur le thème de
cette énergie d'avenir qu'est le nucléaire, tant il est vrai qu'en
ce moment, il m'est difficile de penser à autre chose.

  • Enfin Mimi, il y a la rentrée, les cartables et les gommes à la
    fraise des bois!

  • Il y a aussi le moral des ménages en berne… parce que justement,
    ils n'achètent pas!

  • Achète Mimi, ça ira mieux après! Y a rien de tel!

  • En plus, ça fait remonter le moral des ménages dans les sondages!

Le
choeur des Mammouthiens.

Non,
non et non, je m'obstine, c'est du nucléaire dont je veux vous
parler.

Ainsi,
vendredi 31 mai, la Zouflette a soufflé sa deuxième bougie de vie,
et j'ai voulu fêter symboliquement cet anniversaire en l'emmenant
avec son frère…

  • Au Disney land de Tokyo-Chiba? Ah ça c'est une bonne idée! Rien de
    tel pour se changer les idées!

  • En plus, y a plein de trucs à acheter, c'est top pour le moral des
    ménages!

Disney?
Ça va pas la tête? C'est pile dans la baie, un jishin et
hop on y passe!

Non,
je l'ai bien plutôt emmenée manifester avec son frère devant la
maison du premier ministre japonais, Yoshihiko Noda san, devant
laquelle les opposants au nucléaire, militants actifs ou non
sympathisants absolus et/ou relatifs à cette énergie d'avenir, se
réunissent tous les vendredi soirs, depuis que Noda san a trouvé
subtile, en juin, de remettre en marche les deux réacteurs d'une
centrale nucléaire, Oi, située dans le centre du Japon, alors même
que Fukushima menace toujours de nous exploser à la fiole.

  • Pauvre gamine! Elle a eu droit à des militants barbus japonais au
    lieu des joues pelucheuses de Mickey! Tu parles d'un anniversaire
    pour une petite fille de deux ans!

  • Sans compter que ça n'a pas dû remonter le moral du ménage de sa
    mère ce truc là tiens…

Je
m'étais donné rendez-vous avec Ryoko, cette amie qui pense
qu'objectivement le Japon à plus ou moins long terme est foutu…

  • Ah tiens quand je parle du moral de son ménage, je sais de quoi je
    parle!

Un
des deux sondeurs de la rentrée 2012 qui insiste, pire que les Flots
bleus
.

Et
après cette drôle de semaine où angoisses poignantes et rémissions
aussi bienheureuses qu'inconscientes ont alterné tout du long,
d'apercevoir sa silhouette demeurée juvénile en dépit des années,
agitant la main joyeusement depuis le bord du trottoir, m'a fait
chaud au coeur. A la Zouflette aussi, qui s'est trémoussée dans sa
poussette, le Zébu quant à lui faisant brrrrrrrrrrrrrrr comme
d'habitude avec sa trottinette (ni bonjour ni au revoir ni en
français ni en japonais comme d'hab aussi).

  • J'ai lu un article sur un futur tremblement de terre dans la région
    de Shizuoka, où se trouvent des centrales nucléaires aussi… cela
    ferait dans les 350 000 sinistrés…

M'a
annoncé un peu plus tard Ryoko alors qu'on se donnait des tapes
partout à cause des moustiques de Hibiya park particulièrement
sanguinaires.

  • Euh tu veux dire déplacés, sans abris? Ou bien… morts?

  • Morts bien sûr!

  • Ah… mais euh… à cause du nucléaire?

  • Non, non! A cause du tremblement de terre qui sera suivi d'un
    gigantesque tsunami…

  • Ah bon…

Euh
350 000 morts ça fait quand même beaucoup non? Même rapportés à
plusieurs millions?

  • Mimi, avec toutes ces années de stats derrière toi, tu devrais
    pouvoir en un clin d'oeil calculer ta probabilité de survie non?

Ça
c'est Bécassine qui, de retour de ses très courtes vacances de 4
semaines, a retrouvé ma trace sur les ondes, ravie à l'idée que je
puisse revenir m'entomber avec elle au Syndic.

Devisant
ainsi gentiment de tsunami, tremblements de terre et explosion
thermonucléaire, nous sommes arrivées au lieu, que dis-je aux lieux
de rassemblement de ces égarés de la proto-histoire qui pensent
ainsi que le nucléaire est plutôt une dramatique erreur du passé
qu'un lendemain éclairé.

  • Euh c'est où la maison du premier ministre?

Qu'on
s'est demandé. Il faut nous comprendre. Au risque de vous étonner
en effet, nous n'avions encore jamais été chez le premier ministre,
et des manifestants, il y en avait éparpillés aux quatre coins du
carrefour où nous venions de déboucher et qui correspondait à la
station de métro empruntée par Yoshihiko Noda (en théorie du
moins).

  • Seikado hantai! (non à la reprise)

  • Genpatsu iranai! (pas de nucléaire)

  • Oi o tomero! (arrêtez oi)

  • Etc, etc (j'ai oublié)

Au
coin de rue que nous nous étions choisi, grimpé sur un cageot en
plastique retourné, un jeune homme au crâne rasé scandait et
faisait scander à la foule les slogans ci-dessus, le tout sur fond
de guitare grattée par un autre jeune, poilu chevelu celui-là, et
du clac clac de deux clenches de bois, façon clenche du kamishibai
(théâtre de papier) manipulées par un troisième jeune, normalement chevelu celui là.

  • Seikado hantai! Clap clap!

  • Genpatsu iranai! Zouing zouing!

  • Oi o tomero! Clap clap!

Sur
le cageot se sont ensuite succédés des individus de tout âge et de
tout style (un type avec un bob, une femme avec un caddie, un
handicapé en fauteuil roulant, un petit gros débraillé…) qui
ont, chacun, tenu un discours de quelques minutes aux accents souvent
courroucés (le petit gros surtout jetait des regards de haine à ce
qui, je pense, devait être la Diète, derrière lui).

J'aurais
bien demandé à Ryoko qui ils étaient mais je crois bien qu'elle ne
le savait pas, et puis je devais maintenant gérer la centrale
Zouflette-Zébu qui commençait à bouillonner en station statique.
Zouflette (tototte vissée en bouche) et Zébu (assis par terre l'air
ronchon) qui se sont fait mitrailler de photos, car autant dire que
des mioches, y en avait pas des masses à l'alentour, et blancs pas
un en vue.

  • Pauvres petits bouts! Au lieu de faire du manège avec Mickey à
    Disneyland!

  • Je ne m'étonne plus du moral de ces futurs ménages…

Les
sondeurs collant et égarés dans la Sakura dori.

Quand
nous sommes ensuite parties faire un tour des autres coins de rue,
nous avons pu constater que plein de gens étaient arrivés, qui
faisaient sagement la queue dans le couloir délimité par les
barrières, des gens plutôt âgés, la cinquantaine, soixantaine,
parfois plus… mais aussi des jeunes et même une famille avec un
bébé dodu vociférant. La plupart était assis sur le muret qui
longeait le trottoir, certains scandaient des slogans, d'autres
avalaient des onigiri, le tout dans le ballet ininterrompu
fuitfuit de leur éventail, il faisait si chaud, ce qui nous faisait
comme une bruissante escorte d'ailes de papier sur notre parcours
(mais où diable était-elle cette maison au juste?)

  • Quelle poésie! Bientôt un haiku sur le thème de l'atome?

Un
pro-nucléaire cynique mais ça c'est normal quand on déclare que le
nucléaire c'est l'énergie d'avenir et que c'est une énergie
propre.

En
tout cas, autant dire, vu les masses en présence, que le premier
ministre avait dû renoncer depuis deux mois à inviter ses copains
le vendredi soir, à moins que de dîner avec eux fenêtres fermées,
rideaux tirés et oreilles bouchées aux boules quiès ou de leur
faire croire à un canular de Face de bouc (RV vendredi chez Noda il
nous invite tous).

  • Pauvre Yoshihiko! Avec tout le travail qu'il a! Il ne peut même pas
    se détendre la veille du week-end avec ses copains de Tepco!

Une
Japonaise gravement à la masse.

Et
plus l'heure tournait, plus la foule était nombreuse, enserrée par
des flics qui n'éprouvaient pas le besoin, comme en France,
d'opposer un rictus aussi patibulaire qu'agressif voire haineux sur
leur visage et qui, bien au contraire, devisaient parfois avec les
manifestants, nous indiquant même le chemin pour se rendre, enfin, à
la maison du premier ministre.

  • Ah et quand ils chargent la foule, ils continuent à le faire
    aimablement je suppose?

Un
flic français, la main déjà sur la matraque. Non bien sûr, mais
c'était juste pour dire, ils avaient l'air moins con que vous, leurs
collègues français.

En
tout cas, si l'hélico de la presse tournait au-dessus de nos têtes,
aucune image n'a une fois encore été diffusée à la télévision
japonaise, nationale ou privée, télévision qui, semble-t-il,
préfère montrer de braves gens tout heureux de pouvoir à nouveau
s'empiffrer avec du poulpe péché dans les eaux de Fukushima et
autorisé depuis peu à la vente plutôt que d'exhiber ces centaines
de gens tourmentés qui se réunissent chaque vendredi devant la
demeure du Chef pour exprimer leur opposition puérile à la remise
en route des réacteurs de leur pays toujours sinistré.

Puis
nous sommes reparties par le métro, le Zébu tenant fièrement son
ballon blanc qu'un manifestant lui avait donné, ce qui bien sûr a
occasionné des cris de colère envieuse de la part de sa soeur.

  • Oh que ça m'a fait sourire quand j'ai lu que pour les deux ans de
    ta fille, tu as été manifester… tu es bien une Française!

M'a
écrit peu après Naeko san à qui j'avais fait part de nos
angoisses, indécisions, crises panique, culpabilisation,
fatalisation, bref, tout ce mic mac qui nous est tombé dessus depuis
que j'ai découvert blog et articles sur la vraie vie de Fukushima
Daichi.

Naeko
m'a ensuite assuré que si elle était à notre place, elle
partirait, car en dehors du fait que le réacteur 4 et sa piscine
risquaient fort de nous transformer en statistiques mortuaires (selon
elle), un énorme tremblement de terre était attendu dans les années
à venir à Tokyo, des centaines de milliers de morts au bas mot et,
pour ne pas être en reste, le Fuji San, lui, se verrait bien rentrer
à nouveau en éruption dans les années à venir.

  • Eh bien n'en jetez plus! Comment font les sondeurs dans ce pays pour
    mettre la main sur un moral quelconque des ménages?

  • C'en est même déloyal! Comment peut-on faire aussi peu d'efforts
    pour donner une image heureuse et joyeuse de sa nation de
    consommation!

Les
deux sondeurs, écœurés.

Après
avoir lu ce message, une sorte de… comment dire… angoisse
dépressionnaire m'est à nouveau tombée dessus. Et en même temps,
devant la vision d'une éruption du Fuji san, je me suis surprise à
étouffer une sorte de fou rire (jaune). Voilà un événement auquel
je n'avais pas encore pensé et qui, comme dans une élection
présidentielle à deux couteaux serrés, surgissait soudain en
outsider pour remporter, peut-être, le trophée.

  • Mimi, tu peux tout aussi bien prendre une cheminée sur le coin de
    la figure en te promenant dans la rue un jour de grand vent!
    Relativise! La situation n'est ni pire ni pire que quand vous êtes
    arrivés!

Mon
père, le professeur Colza, un qu'on ne verra pas devant la maison de
Noda, je peux vous le garantir.

Ni
pire ni pire. J'ai revu la première image du film de Matthieu
Kasovitz, La haine, avec ce type qui chute du dernier étage
de son immeuble, et qui, passant devant chaque étage, se dit,
jusqu'ici tout va bien, jusqu'ici tout va bien, jusqu'ici tout va
bien…

Et
j'ai fermé mon ordinateur.

Les
enfants, source principale de nos angoisses du moment, étaient en
train de s'étriper dans le séjour, la Zouflette, la mâchoire
plantée dans le bras de son frère, lui-même planté dans les
boucles de sa soeur.

La
vie continuait.

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