33 millions de Dieux (et plus d’un milliard d’êtres humains)

« Mon grand-père aurait hurlé contre un intouchable si son ombre l’avait effleuré… » (Raj Rao, auteur indien et homo, sisi). 33 millions de Dieux, plus d’un milliard d’êtres humains organisés en 4 grandes castes (vedas), qui partent de la tête (brahmanes et autres esprits supérieurs comme ceux qu’on appelle de nos jours les intellectuels) pour finir par les pieds (les serviteurs) après être passées par les bras (les soldats) et les cuisses (les commerçants, les paysans). N’oublions pas, en dehors de la marelle, ni ciel ni terre, les intouchables ou parias, qui sont ce que l’on sait, des gens dont l’ombre même est impure. Car si les castes aujourd’hui, surtout en villes, et parce que frappées par la loi comme la vie moderne , tendent à se capilonader, le goût sacré du pur et de l’impur demeure le goût de l’Inde. Dans un métier, prenez par exemple un chargé de mission en télécommunications, on trouvera ainsi des gens de castes différentes, mais lorsque les rites religieux pointeront leur museau, il semblera que l’on sache de suite, au vu des rites pratiqués, qui est qui parmi ses collègues. 

Des histoires de Dieux accompagnent ces castes, que même les bras vous en tombent tellement elles sont abracadabrantes, et eux, dignes des Dieux de l’Olympe avec leurs désirs, leurs envies, leurs colères, leur narcissisme, et leurs inconséquences… A côté des Dieux hindous, Bouddha fait un peu figure de père la pudeur et de mère nitouche, lui qui est né hindouiste, il aurait pu le rester mais comme on parle de Grâce chez les Chrétiens, lui a été touché par l’Eveil. Sans compter que d’avoir renié le système des castes dans son pays, ça ne lui a pas valu d’y conserver une chaire après sa mort : il y a très peu de bouddhistes en Inde, finalement, car empruntant sous les coups parfois, le grand et le petit Véhicule, ils ont plié bagage pour s’en aller peupler une autre Asie.
Alors que Tintamarre est noyée de gris, je me plonge ainsi dans un premier guide touristique pour une balade superficielle en Inde, ce pays archi peuplé comme vous avez pu en juger, sachant par ailleurs que même les Dieux ont un accès à la propriété immobilière (jugement de la Cour suprême, carrément), c’est vous dire si ça s’entasse et ça s’encrasse (je viens de lire qu’à Mumbay –Bombay- un quart de la ville n’a pas de toilettes privées avec eau, papier et pshitt pshitt lavande, le caca, ce désordre universel, doit bien atterrir quelque part).

Ernesto la grenouille est ravi, bien des Dieux et des partis ont pour emblème un animal, ou une plante. Quelque chose en tout cas qui vient de la nature. Chez nous, je ne vois que la rose pour les socialistes et la pomme pour celui chez qui j’ai atterri la semaine dernière. Je me creuse les méninges mais je ne vois pas trace de nature dans nos symboles nationaux. La construction de ma société me paraît soudain très simple, aussi, comme notre religion de baptême, une famille pas franchement nombreuse, papa, maman et le fils. Ernesto applaudit des deux pattes quand je lui dis qu’il y a des Indiens strictement végétariens, et des croyants, les jaïnistes, qui se mettent un masque devant la bouche pour ne pas avaler le plus petit insecte, tout en balayant ardemment leur pas de porte pour ne pas en écraser d’autres, par ailleurs. T’aurais l’air fin grenouille avec un masque, tu mangerais quoi ? Il hausse les épaules et tourne la page suivante pour rigoler du spectacle d’une vache bloquant la circulation (le vent gazeux des pots d’échappement ferait fuir les insectes…) avec un policier qui se demande s’il peut ou non lui donner un bon coup de bâton (la loi l’autorise depuis mai 2005 mais ses concitoyens le savent-ils seulement ?).

Le petit prince Sacha, venu me visiter, me fait remarquer que ce n’est pas parce que le système est simple, que la réalité n’est pas compliquée et il se montre tout joyeux quand je lui apprend l’existence de ce Dieu, Shiva, qui s’est donné pour mission de détruire tout ce qui ne ressemble pas à la réalité. Il rêve de voir panneaux publicitaires, communicants et défilés de mode disparaître dans les flammes de Shiva, descendu mettre bon ordre dans nos images.

Je décide sagement de ne pas me téléporter en Inde, je ne suis pas encore prête à affronter les cadavres humains sur les trottoirs, les vaches et leurs bouses que si elles vous font sur le pied, motus, les enfants mendiants, les castes (gaffes en prévision), la chaleur, le moustique et l’erreur d’aiguillage de ma téléportation qui pourrait me faire tomber dans un bidonville ou dans un ashram peuplé de gens comme ceux que j’ai croisés (pour certains) en allant déposer ma demande de visa au Consulat.

Je repose le guide et je me téléporte donc plus sagement dans l’Antivoyage de la jadis petite Muriel Cerf, enfant géniale des années soixante dix, qui partit faire l’Inde comme d’autres font leur droit ou la java. 

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