L’Afrique à genoux


Bamako, un film de Abderrahmane Sissako
 
Bamako est un film de Abderrahmane Sissako. Il se déroule dans la cour d'une maison de Bamako où vaquent les femmes (lessive et teinturerie), tandis que se tient au milieu des bassines, des enfants et d'une chèvre, le procès intenté par la société civile africaine à la Banque mondiale et au FMI. Les juges sont noirs ou café au lait, l'avocat de la Bande mondiale est un petit vieux aux cheveux blancs d'un style académicien qui déploie une grande énergie à défendre ses clients, en maniant un certain paternalisme quand il s'adresse à la partie civile, teinté malgré tout d'une relative compréhension, car les torts qui lui sont faits, à cette partie civile, nul ne songe à les nier tant ils sont flagrants (restent à trouver les coupables…).

Les témoins défilent à la barre. Beaucoup de femmes, instruites ou non, toujours concrètes et souvent avec des chiffres à l'appui. Ainsi, Aminata Traoré, ancienne ministre de la Culture malienne, qui n'est pas présentée comme telle mais comme une écrivain experte (« vous devez rester dans votre rôle, dénoncer si besoin est mais ne pas vous substituer à l'expert… », une remarque douteuse de l'avocat général), une autre, citoyenne malienne en bambou qui dégaine ses statistiques relatives à la dette et au service de la dette, un jeune homme qui a fuit la misère en traversant à pied le désert marocain pour essayer d'atteindre l'eldorado espagnol (avec les résultats que l'on sait, caravane noire reconduite de force et abandonnée dans le Sahara, morts de soif, coups et blessures…), etc.
 
La langue est d'Afrique, riche, raffinée et imagée, les témoins plaident la cause d'un continent écrasé par la dette, avec des institutions internationales et des Etats riches (le fameux G8) tout fiers d'annoncer régulièrement, la main sur le cœur, qu'ils remettent une partie de la fameuse dette à leurs débiteurs, son service, énorme, restant cependant dû (ce qui n'est pas très clairement expliqué…). Une femme explique très concrètement le mécanisme de la misère qui commence par des réformes structurelles très dures imposées par la Bande mondiale et le FMI, entraînant la privatisation des services de la santé, de l'éducation, des transports, avec suppression de lignes dans la campagne malienne, ce qui conduit ainsi les habitants au chômage et à la misère (plus personne pour acheter leurs fruits et légumes sur le quai des gares…). Un professeur explique, sans colère, avec sérénité même, le long chemin qui a conduit un continent aux forces vidées par l'esclavage pendant des siècles, puis écrasé par la colonisation (son aspect positif est ici absolument peu évident…), à se retrouver finalement sous la botte d'institutions et de multinationales qui le spolient et le méprisent.
 
La Banque mondiale et le FMI ne sont cependant pas jugés comme étant les uniques responsables de cette situation où un sud misérable tente de survivre face à un Nord riche et puissant (avec désormais la Chine en ombre chinoise menaçante…), mais ils sont la pierre cardinale de ce système jugé unanimement prédateur et qui a pour unique conscience, la religion du profit et le partage des richesses entre quelques uns.
 
La corruption est également dénoncée, elle existe aussi en Occident, tempère l'avocat de la partie accusée, mais elle fait moins de victimes (quoique… les entreprises d'armement qui manient sans doute cette dernière pour décrocher des marchés illégaux vont faire leur dégâts ailleurs…), la corruption en revanche sévit en Afrique, à tous les échelons et produit des dommages parfois irréparables. A ce propos, la responsabilité des dirigeants africains est quelque peu passée sous silence alors qu'elle est énorme. C'est dommage car cela aurait permis de montrer comment le système s'entretient, car il n'y a pas de mystère, il y a des complices partout pour que cela tienne, y compris dans les rangs africains.
 
En coup de grâce, la plaidoirie de l'avocat de la partie civile, tête blanche de poète un peu foufou, qui après un démarrage légèrement pompeux, fait monter l'émotion, y compris chez ces jeunes qui écoutent le procès dans la rue et qui débranchent régulièrement le mégaphone par saturation de tous ces mots (surtout ceux de l'avocat de la Banque mondiale). Un monde privatisé, déplore avec colère l'avocat, tout a été bradé dans ces pays, les habitants ont été pris en otage, vendez ! une éducation devenue payante, une santé sinistrée, des liens sociaux éclatés où le pharmacien regarde mourir sur son pas de porte celui qui n'a pas les moyens de se payer le bon médicament, avec en cerise sur le gâteau (sec), les larmes de crocodile de Paul Wolfowitz, nouveau président de la Banque mondiale après avoir été le stratège de Bush en Irak, qui déplore les milliers de morts enfantines à venir sur le continent…
 
L'Afrique à genoux, s'écrie l'avocat, l'Afrique à genoux et le mépris de l'Occident pour seul réconfort, femme savante, pousuit-il avec rage, j'ai entendu murmurer à propos de celle qui osait brandir des chiffres et montrer qu'elle savait lire un bilan. Une femme, la femme savante, pleure dans l'assistance… Terrible idée qui est dans nos cerveaux, ici dénoncée par l'avocat, et qui voudrait que l'Afrique est originellement misérable et foutue, qu'on y peut rien, alors que c'est tout un système qui est ici accusé d'organiser la pauvreté sur ce continent et ailleurs.
 
La messe est dite, la messe est dite, répète comme exsangue l'avocat, je ne demande pas la mort de ces gens là, non, juste une condamnation à des travaux d'intérêt général au service l'humanité, ce pour quoi ils ont été créés, qu'ils reviennent à leur mission originelle et essentielle, servir l'humanité. Vous êtes forcément partiaux, dit l'avocat de la Banque mondiale aux juges, et je vous comprends, cette douleur est la vôtre. Il choisit de plaider de son côté pour la (relative) bonne foi d'un système emballé qui, s'il contribue à des situations mortifères, ne peut tout de même pas vouloir la mort des habitants d'Afrique…
 
Il n'y aura pas de verdict, à proprement parler. Le seul verdict est peut être ce coup de pistolet que se donne dans la tête un des habitants de la maison dont la femme est repartie au Sénégal en le laissant avec leur petite fille (le mobile n'est pas clair, on suppose qu'il s'agit d'une autre histoire de misère).
 
Malgré un certain fouillis et un démarrage un peu lent, Bamako est un film réussi, qui a le remarquable mérite de nous laisser finalement seuls juges de l'état de ce monde, et de qui en est responsable, l'avocat des « méchants » n'étant pas à cours d'arguments pour démontrer combien l'affaire est complexe et diluée entre des milliers de mains… A vous de voir!!!

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