Baba’s bouffe

Petit retour en arrière… Avant de partir le week-end dans le Nord, je suis partie dîner avec Baba qui m'a bien sûr accusée de la laisser choir (comme Aveline m'a laissée choir avec son étudiant néo-maori…). Je voulais l'inviter au resto mais elle m'a arrêté de sa canne…

  • Laisse, on va aller dîner chez Mirna…

Mirna est une vieille amie de pays de Baba, une riche héritière serbe qui en est à son cinquième mariage, aucun homme n'a réussi à rester à ses côtés en dépit du magot bingo qui lui échoira si la belle, 75 printemps, 110 kilos, 3 paquets de gauloises par jour, se décide à quitter le navire.

  • Ah… je fais, modérément enthousiaste.
  • Ca te pose un problème? Grogne Baba.
  • Euh non… c'est juste que…
  • Que quoi?
  • J'aurais bien aimé te voir un peu toute seule…
  • Peuh, c't'idée! Glousse Baba. On s'est bien assez vu quand tu m'as logée après les vacances de cet été!

Elle a du voir qu'elle était un tantinet blessante car elle s'est reprise.

  • De toute façon, Mirna est un peu sourde, si t'as des confidences à me faire…
  • Aucune.
  • Et y aura aussi Alma et Cornélia… elles font plus de bruit à elles seules qu'une manif du premier mai!
  • Ohlala baba, je me sens faible d'un coup…
  • Tutut, un p'tit coup de rakjia, et tu vas reprendre des forces!
  • Baba, j'y pense, est-ce que je peux faire signe à mon amie Hanan?
  • C'est qui celle là?
  • Une copine bosniaque rencontrée dans le train!
  • Tu parles à des inconnus? Bravo, Marie, ne va pas et plaindre si on t'enlève et qu'on te séquestre en demandant une rançon!
  • Je suis trop vieille pour ça…
  • Le baron Empain ne l'était pas moins lui…

Résultat des courses, j'ai appelé in extremis Hanan, qui est toujours partante, ça c'est chouette ça et j'ai passé une excellente soirée avec Baba qui nous a mimé, en rampant dans le couloir de Mirna qui avait fait une énorme bouffe bosniaque typique, comment elle s'était fait tirer dessus par un sniper de la Sniper Alley, alors qu'elle faisait du patin à glace dessus (en pleine guerre ! ma grand-mère est frappée !).
 
Hanan a raconté sa propre expérience de sniper, elle, c'était à la photocopieuse de son bureau, le sniper lui a tiré dessus alors qu'elle s'acharnait sur un bourrage papier. Ce qui a fait hurler de rire les petites vieilles de l'assemblée. Alma a raconté comment son voisin avait essayé de la tuer pendant toute la guerre à chaque fois qu'elle descendait chercher le courrier (qui n'était plus livré depuis des lustres), allant même jusqu'à sonner à sa porte en prétextant un recommandé et chaque fois, la ratant, même à 50 cm de distance… Re-hurlement de rires.
Enfin, Cornélia a clos la série en racontant comment elle s'était rendue à un rendez-vous galant, suite à un petite annonce parue dans Sarajevo, mon amour, pour tomber sur un beau jeune homme, latiniste et libraire de son état, qui, au second rendez-vous, l'avait attendue en embuscade dans son magasin, derrière une pile de livres… ce dont elle s'était douté, car un jeune homme aussi beau et aussi délicat ne pouvait pas vouloir d'elle aussi rapidement. Elle avait donc envoyé sa place un taliban local, aviné et barbu, qui avait liquidé le libraire en tâchant tous les livres. Et re-re hurlements de rires.
 
Avec tout ça, j'étais la seule à n'avoir rien à raconter.

  • Raconte ton dépucelage! A braillé Mirna.
  • Ou ta dernière nuit d'amour! A glapi en gloussant Cornélia.

Qui cherche toujours l'âme sœur dans les petites annonces en dépit de ses 82 printemps.

  • Bah laissez là, a dit Baba, pour une fois charitable, elle n'a pas vécu la guerre…
  • Pfuit, pas de guerre, pas de vie! A gloussé Alma.

Un silence est tombé sur la table. Floc. J'ai plongé mon nez dans mon verre. Alma a quand même perdu son mari et son fils dans la guerre, son assertion me sidère même si je devrais avoir l'habitude. Les autres sont-elles choquées ? Selon Baba, il ne faut pas faire attention, cela tient lieu d'histoires belges, en quelque sorte. Selon Hanan, le rire est là pour faire diversion et il est impossible, passées quelques années, de garder la tête enfoncée dans le passé (ou alors c'est qu'on est sous terre dans un cimetière).
 
Nous rentrons à pas d'heure, crevées mais joyeuses, toutes les trois, main dans la main. Hanan reste dormir à la maison, avec Baba, et son mari, Miro, vient nous rejoindre car en 30 années de mariage, il ne supporte pas de dormir loin de sa femme… La nuit est belle malgré le vent et la pluie, j'ai oublié mon chagrin et demain, je pars dans le Nord avec le petit prince qui dort dans la cabane de son jardin.

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