Elle rôde la maraude 1

Départ près de la gare saint-Lazare dans une chaude ambiance (baston sur le site de distribution des restos). La princesse Chotek sort de son sac à dos une paire de baskets Nike qu'elle troque contre sa paire d'escarpins à talons de verre sur les conseils du Vieux de la maraude.

  • Dis donc la bourgeoise, tu vas marauder avec tes talons? T'espère trouver un jules sur le trottoir en en laissant choir une?

Le Vieux est un retraité, un ancien lieutenant de police, il parle et conduit comme un flic (toutes en secousses). Il a pour bouc émissaire favori l'inspecteur Myrtille, une fille drôle et chaleureuse, qui sème la terreur dans les entreprises en inspectant leurs comptes (mission Impôts). Le Vieux étant un fan de Chevènement, et l'inspecteur Myrtille, une adepte de Strauss-Kahn, l'ambiance primaire bat son plein dans la voiture (la princesse Chotek n'a elle pas d'opinion arrêtée sur la question).

  • Je t'épouse si tu votes au premier tour pour Chevènement! Lui promet le Vieux.

La princesse Chotek soupèse une seconde la proposition. Après tout, pourquoi pas, un retraité de la police nationale, ça doit pas être si mal que ça.

  • Je plaisantais naturellement… glousse le Vieux. 


Ah. Mais le ballet a déjà commencé.

  • Vous voulez une soupe?
  • Un plat chaud?
  • Un p'tit café?
  • Une cigarette?

Le premier rencontré travaille sur la place de l'Opéra. Il s'appelle Romuald, il vit dans le 19ème et un fauteuil roulant, jambes tordues, il est d'humeur bougonne

  • … font chier les gens, tous les dimanches ils passent avec leurs chiards, pardonnez moi l'expression, mesdemoiselles, pour aller mater les automates des vitrines des Galeries, et avec ça, pas un radis pour moi!
  • Mais les interpellez-vous? Ose timidement la princesse Chotek.
  • Pensez vous! Ce serait pire que tout! Ca les énerverait encore plus!
  • Mais qui donne? S'enquiert encore la princesse. Les touristes?

Plein aux as qui vont dépenser leurs millions dans les marques de luxe des galeries ? Salauds de touristes !

  • Personne! Personne ne donne en ce moment!
  • La place n'est peut être pas des plus judicieuses, suggère la princesse Chotek.
  • T'y connais quoi patate? Glousse le Vieux.
  • En tout cas, s'exaspère Romuald, les gens sont prêts à acheter des conneries de luxe, genre un machin truc pour écouter de la musique…
  • Ben euh c'est pas du luxe ça, proteste l'Inspecteur Myrtille.
  • … et ils vous donneraient même pas un RAC POUR BOUFFER! Ce COMPORTEMENT, ça me DEPASSE!

Mouvement général de recul, postillons. On lui sert un café puis deux repas complets à deux hommes qui se sont avancés, un quadra et un très jeune homme. Ils viennent de l'Oise et sillonnent le quartier, à l'aise semble-t-il dans leur situation d'errants. Le jeune homme est agréable, souriant, il parle bien, personne ne devinerait comme ça qu'il a installé sa vie sur un trottoir… d'où viennent-ils tous ces jeunes que la princesse Chotek croisera cette nuit ? Où sont leurs parents ? Leur Baba à eux à défaut de leur mère ou de leur père ?!

  • Vous n'avez pas songé à suivre une formation avec l'ANPE? Roucoule la princesse ChoteK
  • Ahaha, ricane le Vieux, pourquoi pas apprendre le baisemain avec madame de Rothschild!!!
  • Ahahaha…

Tout le monde est mort de rire.

  • Ceci dit, admet le jeune homme, c'était une bonne question, c'est plutôt à l'ANPE qu'il faudrait la poser…
  • C'est pas tout ça, dit Romuald en tapotant sa montre, j'ai fini ma journée, moi, je rentre chez moi…

Car il a donc un chez lui. Un quatrième larron a surgit, Gérard, qui a travaillé plus de 20 ans pour l'Education nationale, et qui habite dans une impasse cochère à deux pas de Matignon. Le ministre du budget en personne, Jean-François Coppé, serait venu s'enquérir de son état, ça va ?

  • … faut comprendre, il en a marre de serrer la louche aux commerçants… faut faire des voix, du social, alors comme je suis toujours là…
  • C'est sûr…
  • Et du coup, je lui ai demandé, parce que c'est vrai, on y pense jamais, on nous demande à nous, comment ça va, alors on répond, on fait aller, mais eux, on leur demande pas, c'sst vrai quoi, après tout, ça pourrait ne pas aller, alors, je lui demande, et vous, comment ça va?
  • Et y répond quoi?
  • Y répond, «pour le moment, ça peut tenir…»
  • Ca veut dire quoi?!
  • C'est pas qu'on s'embête, râle le Vieux, mais faut qu'on y aille!

Ils plient les gaules. Cap sur Rome. Un Sri-lankais est assis sur une bouche de métro, mi présent, mi absent, c'est pas une vie, gémit-il, 26 ans en France et me voilà là comme ça… Un homme, David, quête sur les marches du métro, il a froid et n'a pas fait sa journée, il ne dormira pas à l'hôtel ce soir là. A 20 €, la nuit, soit 600 € environ le mois, soit presque deux RMI, on se dit qu'effectivement, la question du logement, et donc du travail, est un joyeux foutage de gueule.
 
Jiji, rencontré un peu plus loin le confirme.

  • Pas de travail, pas logement! Pas de logement, pas de travail!
  • C'est la quadrature infernale du cercle, exhale dans un souffle inspiré la princesse Chotek.
  • Ca veut dire quoi? Demande le Vieux.
  • Ta gueule papi! Lui fait l'inspecteur Myrtille.

Jiji explique qu'il est trop jeune, moins de 25 ans, ou trop vieux, plus de 16 ans, pour intéresser franchement les centres sociaux. Il n'a pas de père, sa mère est en foyer, elle refuse de lui dire où. La propre mère de la princesse Chotek, Carla Bosse, apparaît soudain aux yeux de celle-ci comme une déesse de la maternité aimante et responsable… On s'obstine à renvoyer Jiji vers le centre social de Belleville, qu'il abhorre. Là bas, explique-t-il au cercle de la maraude tout acquis, on t'écrase, on te pile, comme une merde, sous le pied, on fait tout pour que tu ne t'en sortes pas… Aujourd'hui, il est bien habillé, les cheveux propres. C'est qu'il a essayé de choper Delanoë qui donnait une conférence sur le logement social à Paris. Il l'a raté, qu'importe, il le chopera la prochaine fois. Il ne le ratera pas. Nuit blanche. Couteau. Et si c'était une question toute bête de logement social défaillant ? Je passais par là, sans logis, j'ai vu de la lumière, je suis rentré et vlang, j'ai planté le propriétaire.
 
Les autres discutent au sujet des fourchettes. Le Vieux a apporté les siennes, marre de voir les gens bouffer leur viande à la cuillère, la princesse Chotek craint de se faire planter d'un coup de fourchette en plastique, car ça arrive, lui a dit l'inspecteur Myrtille, ben voyons, lui rétorque le Vieux en lui plantant une fourchette dans le bras, avec ta peau de vache et tes trois manteaux, va t'en y arriver…
 
Rer Pereire. Trois personnes sur un lit à côté de l'entrée de la gare. Deux qui prennent à manger, l'autre non. Il s'enquiert auprès de l'inspecteur Myrtille, comment devient-on bénévole ? Comme dit l'inspecteur Myrtille, passé une certaine heure, la frontière entre bénéficiaire et bénévole tend à devenir très floue…
 
Arrêt suivant. Trois types sous des fenêtres chic, sur une petite place. L'un gît sur un matelas pas franchement propret, à l'entrée d'une tente qu'il partage avec le chat Socrate (pas dégoûté pour un chat) qui rentre dans la tente dès que la température baisse…

  • Je ne partage ma tente qu'avec lui! les deux autres, pas question!

Comme ça parle politique, le Vieux essaye de vendre son Chevènement. Tout le monde parie ou presque sur la victoire de Sarkozy (qui ne s'est pas encore présenté, le petit pudique…).

  • Vous allez quand même pas élire un fils d'immigré!

Glousse l'Africain aux yeux rieurs qui est assis à côté d'un Arabe baraqué, qui ne cesse de répéter qu'Emmaüs c'est des voleurs qui ne pensent qu'à faire du profit commercial.
 
L'inspecteur Myrtille chagrine fort le jeune Africain aux yeux rieurs, en lui apprenant que « Martine Aubry boit et est cuite dès 8 H 00 du matin… ».

  • Non, c'est pas vrai, une femme si bien… me dites pas ça…
  • On dit beaucoup de bêtises, tempère la princesse Chotek, désolée de voir sa désolation.
  • Mais NON! Je vous assure que c'est vrai! Insiste l'inspecteur Myrtille. Elle PICOLE! C'est pas un mal, mais il faut TENIR! Or elle ne tient PAS!
  • C'est pas qu'on s'embête, râle Vieux, mais faut qu'on finisse la tournée…

Dernier arrêt. Bernard et Vincent, abrités sous le auvent d'une entrée de bureau. Ils ont un garde-manger caché dans une grille d'aération, Vincent déploie avec délicatesse sa trousse de toilette qu'il a reçue à sa sortie de prison pour y ranger les produits de beauté que la princesse Chotek lui tend.

  • Chaque jour un peu de nivea… c'est important de s'hydrater la peau un peu chaque jour… constate Vincent.

La princesse Chotek s'illustre ensuite, en lui proposant une brosse à dent et du dentifrice.

  • J'ai plus de dents! Glousse le Vincent. Alors merci bien…

Tranche de rigolade sur le petit Grégory et les enfants au congélateur.

  • Vous devez bien vous marrer en faisant la maraude… commente ensuite Vincent d'un air envieux.
  • Pensez-vous, glousse l'inspecteur Myrtille, dès qu'on est rentré dans la voiture, le Vieux nous engueule ou fait la gueule!
  • C'est pas qu'on s'embête, intervient justement le Vieux qui a gâté le Bernard, son chouchou de tournée, un sac à dos, un duvet, des chaussettes mais on m'attend à Aubervilliers, l'autre équipe à fini sa maraude…

Retour au bercail façon flic. Virages serrés, accélérations brutales, passages de feu orange pour ne pas dire rouge… La princesse Chotek rentre chez elle, le cœur entre les dents. C'était sa première maraude et nonobstant la réalité incontournable comme déprimante de toute cette misère, elle doit bien s'avouer qu'elle n'a pas vu le temps passer…

 

One comment on “Elle rôde la maraude

  1. Reply C et G (desirant rester anonym Jan 3,2007 22:27

    Nous protestons vigoureusement (surtout parce qu\’il fait de plus en plus froid et de de protester vigoureusement, ça réchauffe).
    Une tentative de meurtre à la fourchette en plastique? Vous délirez, chère Princesse: les petits pois c\’est sous le matelas, pas en poudre à snifer…
    Quant aux feux rouges grillés, vous avez dû confondre! Le daltonisme qui se déclenche à votre age, c\’est rare, mais c\’est possible.
    Un coup de café à la chicorée et il n\’y paraitra plus…
    A bientot, en maraude!

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