Keep on touch 2

J’ai une fidèle copine qui termine souvent ses mails où elle me donne de ses nouvelles par cette formulation « keep on
touch » dont la traduction en français tristement plate, « on garde
le contact », vous a comme un petit côté électro-magnétique qui tue cette image
du doigt contre doigt, façon Michel Ange qui me vient à l’esprit à chaque fois
que je lis ces mots, we keep on touch.

On n’implore pas de rester en lien, on lance juste ce
dynamique « keep on touch » qui n’enfermera pas l’autre dans une
obligation à donner de ses nouvelles et à entretenir la relation, tout en
exprimant le désir de conserver ce contact au moins par intermittence. Le, à
très bientôt, ou pire encore, le à très vite, auquel j’ai parfois benoîtement
cru m’attendant presque à voir l’amie débarquer, ne veut souvent pas dire
grand-chose quand on habite à plusieurs centaines de kilomètres de l’autre ou
quand on vient d’échanger des nouvelles après plusieurs mois de silence, sauf
si la personne compte effectivement venir vous rendre visite (ce qui est souvent
peu probable).

Je dois dire que la naissance de Zébulon, que son nom soit
ici ornementé d’or et parfumé des essences les plus rares, a quelque peu changé
la donne et donné un sens presque existentiel à ce keep on touch. Il y a ceux
qui effectivement feront tout pour lui donner du corps et puis il y a… les
autres. Il m’arrive, les jours de grand blizzard intérieur, de parler à A de
néant social, comme j’ai pu en traverser lorsque je vivais mon célibat pas
forcément tralalalère (désert de la saint sylvestre, gobi du
mois d’août, sahara des ponts du mois de mai…), sachant que l’ère Zébulon, que son nom soit ici claironné,
iodlé et acclamé jusque dans l’Himalaya, est bien préférable à l’ère solitaire.

Néanmoins, il me faut bien remarquer que la présence d’un
petit enfant vous rend forcément moins disponible, à moins d’être très bohème
(j’emporte mon fils partout avec moi) ou très égocentrique (j’emporte nul part
mon fils avec moi qui reste avec son père ou une brave potache à 7,2 E de
l’heure). Néanmoins, oui encore un néanmoins, faisant partie de cette race de
mères et de femmes qui ne se considèrent pas comblées par la seule présence
d’un livret de famille dans un des tiroirs bordéliques de son bureau, j’entretiens
une sorte d’obsession du keep on touch, courant parfois à mon ordinateur la
porte à peine ouverte pour regarder si x ou y a enfin répondu à mon mail (tandis que le pauvre zébulon reste posé
sur le parquet suant à grosses gouttes dans son anorak ultra chaud). J’use en
effet et abuse d’internet afin de pratiquer le keep on touch, au moins par
l’esprit sinon par la lettre puisque je ne peux être à la fois chez moi à
m’occuper de mon fils (à qui je suis d’ailleurs en train d’enlever sa parka) et
en ville à boire des pots, supposant ainsi que, keep on touch par mail, c’est
déjà un signe, un signe de volonté indéniable (désespérée) de garder le
contact, voire, osons émettre cette espérance, de conserver et continuer à
vivre le lien… pour qui sait, demeurer amie ?!

Or je constate qu’au final, seules quelques amitiés sont
parvenues à se poursuivre normalement depuis l’avènement de Zébulon,
que son
nom soit ici roucoulé jusqu’à l’extase. Conversation téléphonique
ordinaire de ma vie ordinaire, ah et puis au fait, t'as vu que machine
avait proposé une bouffe le vendredi soir dernier? Ah bon, t'as pas eu
son mail? A me requinque alors en me disant que c'est normal, machine
est célibataire, elle n'a pas envie de se colleter homo casatus et moutard,
autre appel (souvent à mon initiative soit dit en pestant), ah et puis
au fait, c'est bête, j'ai pas pu aller au pique-nique de mimi la
semaine dernière, j'ai eu son mail trop tard, tu y as été…? ah t'as
pas eu son mail? Ben non, et là A ne peut pas me dire que c'est dû à la
lutte des classes, couples/célibataires, vu que mimi a un jules et une
gamine. Etc, etc.

Je ne compte plus les mails restés sans
réponse, les mails devenus d’ultra plate courtoisie pas loin de la missive
administrative, quand ce ne sont pas les mails collectifs reçus en réponse à un
mail circonstancié, genre chaîne de l’espoir appelant à sauver une leucémique déjà
morte ou composés d’extraits de daily motion où l’on voit Sarkozy en train de
découvrir son cadeau Bonus (cherchez pas, c’est inventé). Je me dis pour me
consoler que les amitiés sont peut-être comme les champignons lyophilisés,
prêtes à se reconstituer en une seule fois, ou comme les sous cachés et
oubliés, que l’on redécouvre d’un seul coup dans leur cachette.

Parmi les defections, il y a parfois les amis en couple mais sans
enfants, qui ont fait une croix sur ces pauvres gens qui ont désormais en
charge un mouflet et qui donc forcément ne sortent plus. Il y a les copines
seules et sans enfants, qui n’ont même plus envie de garder en vie ce lien
pourri d’avec une heureuse élue. Je me transforme alors en sainte Marie,
affirmant les comprendre le cœur sur la main (ou l’inverse), tout en les
maudissant car, j’aime à le préciser, je peux quand même me déplacer sans A ni
Zébulon, que son nom soit ici psalmodié une centaine de fois, sisi j’insiste,
on n’est pas obligé de se voir avec « lui ». Il arrive bien entendu
que je me déplace et dîne un soir avec une ex de solitude, c’est sympa, très
sympa même, et puis chacune repart dans sa vie.

Je suppose qu’il ne faut pas en demander plus car comme dit
Cléa Culpa, rappelle toi quand tu étais seule, comme ça te faisait braire les
copines qui avaient réussi à pondre un grumeau sans compter qu’elle ont
vraiment autre chose à foutre de leur vie que de la passer avec une mère en
savates… soit mais ça fait quand même une belle amitié devenue (parfois) une simple
connaissance, ce qui pour une amitié est comme un Besson passé à l’UMP. Tu
dramatises la situation, me fait remarquer la non muse,
occupée à découper en une farandole de poupées, un manuscrit qu’un éditeur
vient de me renvoyer et dénommé fort à propos Les métastases de l’abandon, regarde les souches de ton chéquier, elle rajoute,
ça fait tout de même un paquet de sorties ce mois ci (oui mais bébé cash n’est pas une sortie).

 Il y a aussi les
copines avec enfants qui n’existent plus en modèle simple. Ou tout ou rien.
Quand c’est tout, avec les enfants donc, c’est devenu plus vivable depuis que
Zébulon existe, que son nom soit ici etc etc, mais au niveau de l’échange un
peu intime avec la copine, eh bien c’est râpé. Keep on touch, certes, mais de
façon alternative, entre deux, touche pas à ça, descends de là, enlève ça de ta
bouche, etc. Une conversation décousue, une amitié effilochée… ? La non
muse agite la farandole de poupées, soit des heures et des heures de travail
transformées en dégueuli de papier ressemblant à tout sauf à un livre… essaierait-elle
de me faire comprendre quelque chose ?

Il y a aussi les amitiés qui, au départ de votre maternage, alors
que vous disparaissiez de la sphère sociale, vous avez continué d’entretenir
presque sans compter. Sauf qu’au bout du dixième mail primo-envoyé, de l’énième
invitation à demeure (tenons table puisque nous ne pouvons sortir), ou de
l’énième coup de fil passé, vous êtes alors saisie du syndrome Attila, faisons
table rase, ou du moins, faisons le mort, vous le faites, et ma foi, la vérité
m’oblige à constater qu’on n’observe souvent aucune résurrection, et vous vous
dites qu’il va vous falloir choisir entre la vérité ou l’amicale sainteté (tendons
et retendons la joue).

Il y a aussi le phénomène curieux qui consiste à ce que, au
temps du célibat, vous entreteniez une amitié qui présentait toutes les marques
de l’authenticité avec une amie qui entretenait par ailleurs de son côté,
depuis la nuit des temps, une vie de famille heureuse et remplie. Or votre
situation change, vous voilà avec homme et enfant, et pof, cette amitié
disparaît lentement mais sûrement. A croire que l’on vous aimait surtout seule
et désespérée. Il y a au contraire des amitiés de jeunesse que soi-même l’on a
mis en veilleuse parce que, il faut bien l’avouer, le bonheur de la copine pouvait
être agressif (il l’était), trop d’amour, trop d’enfants, pour une qui se
jurait de ne pas en avoir et vivre en Amazone, quand vous, vous rêviez d’avoir
tout ça, voire que ça (pardon Simone et toutes les féministes de la création). Or, lorsque l’enfant paraît, la dite
copine est aux petits soins, sans doute sincèrement heureuse de vous voir enfin
pourvue, non pas forcément par convention, mais parce que votre malheur lui,
pour le coup, était agressif pour elle. Et voilà que tel un amour renaissant de
ces cendres, l’amitié de jeunesse repart… Mensonge, peste à mes flancs Cléa
Culpa (qui ne se compte que des compagnes de galère), et hypocrisie avec ça, s’il
suffit d’avoir le ventre plein pour être aimable…

Il y aussi des amitiés à qui les circonstances donnent
curieusement l’occasion de s’épanouir, parce que la donne a changé des deux
côtés, pas forcément en termes d’enfant mais plutôt en termes de disponibilité.
L’on est deux à avoir du temps pour peu que l’on veuille bien faire un minimum
d’efforts (qui n’en sont pas hein n’est-ce pas puisqu’il s’agit d’amitié…) pour
se voir et échanger ensuite par internet. Cela fait partie des petits bonheurs
qui viennent remplacer les amitiés devenues évanescentes (voire mortes). Ces
nouvelles amitiés portées par des gens presque géniaux à vos yeux, juste parce qu’on peut
compter sur eux (aucun message ne restera sans réponse) sont de ces petits
bonheurs amicaux qui, on espère, feront de grandes rivières de diamants…

En bref, tel une enfant de 40,2 ans, je m’obstine à
m’attrister voire à me désespérer de ces amitiés qui s’étiolent parce qu’il n’y
a pas de volonté ou de désir de les entretenir. Cléa Culpa bien sûr me dit que
l’amitié c’est pour les riches, hormis les amitiés de parti ou de syndicat,
forgées dans la lutte sociale. Elle n’a peut-être pas tout à fait tort car j’ai
souvent pensé que l’amitié était un travail à plein temps. Il faut donner des
nouvelles, du temps, de l’écoute, entretenir en se voyant, en pensant à des
choses aussi stupides que fêter l’anniversaire de l’autre, voire sa fête si on
regarde la météo tous les soirs, garder ensuite le contact par mail ou
téléphone voire l’aéropostale si on fait partie de ces derniers dinosaures
courageux qui vont jusqu’à écrire des lettres à leurs amis… bref, ça demande du
temps et de l’attention, dont certains manquent cruellement.

Pour conclure, pressée par Cléa et la non muse Culpa qui, je
crois bien hélas, se considèrent comme deux de mes fidèles amies (or par
définition, une amie est quelqu’un qu’on a choisit librement), j’ajouterai qu’il
y aussi celles que j’appelle les fidèles et qui arriveront toujours à keep on
touch avec vous, en dépit de journées de 28 heures, d’enfants malades jusqu’au
trognon, d’une famille restée au pays débarquant à 12 tels les apôtres, ou d’un
mari parti vendre des téléphones portables jusqu’au fin fond de la Chine.

Ces amitiés ne consolent pas de toutes celles disparues ou
sur le point d’être enterrées, mais elles permettent de poursuivre dans la
croyance, il y aura toujours des amis, et même de garder la foi quand viennent
à se nouer de nouvelles amitiés puisque la vie est ainsi faite que, de même les
cellules du corps humain, les amitiés se défont et se refont jusqu’au trépas
final.

Bon, c’est pas le tout, faut que j’aille vérifier mes mails
moi.

2 thoughts on “Keep on touch

  1. Reply WhiteWife Mai 12,2009 21:44

    Bouh c\’est flippant ! C\’est comme les tests dans Elle, on cherche dans quelle catégorie on se range !

  2. Reply olivier Déc 28,2009 00:20

    Je dis chapeau bas Madame. C\’est rare de rencontrer un e plume pareille. Je m\’incline sincèrement et vous félicite. J\’espère pouvoir converser avec vous un jour. Je me permets de lire votre blog avec un grand intérêt.
    Merci.

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