Une-deux-décroissez



Un jour, au square, tandis que
Zébulon astiquait avec son derrière le toboggan, j’ai sympathisé avec une
Décroissante. Je savais que de même qu’aux Beaumonts, on peut tomber sur un
héron cendré en train de pécher sa croûte, il y avait pas mal de chances de
rencontrer un jour un ou une Décroissante à Montreuil.

A priori, rien d’exceptionnel.
Elle n’était pas vêtue de laine, ne portait pas des sabots de bois ou de
feutre, ses cheveux s’arrêtaient aux épaules sans descendre jusqu’aux
chevilles, elle possédait même une télévision (puisque sa fille a failli se la
prendre sur la tête en tirant dessus à la mode Zébu), et même, et même… une voiture.

Réflexion faite, je dois bien
avouer que je me suis vantée. Cette femme n’était pas une Décroissante, mais
une anti-conso. Nuance. Mère Noël,  c’est
son nom, m’a expliqué l’affaire. L’anti-conso rejette la consommation de masse
et superflue. L’anti-conso appelle par exemple à ne rien acheter de neuf
pendant une année, hormis ses détergents (sans phosphate), ses savons, culottes,
chaussettes et nourriture, cette dernière devant avoir été produite dans un
rayon de 200 kilomètres maximum, de façon respectueuse pour l’environnement
(donc écologique et à transport limité).

Le Décroissant vit un (voire
dix…) cran au-dessus. Mère Noël m’a dit qu’à sa connaissance, aucun Décroissant
n’avait été encore introduit à Montreuil, quand bien même ville verte car le
Décroissant a des conditions de vie très très strictes. Il s’efforce de ne rien
consommer qui puisse polluer la Planète, il n’utilise donc pas de pétrole ou de
charbon, exit la voiture, le chauffage et même l’électricité pour certains. Il
y a ainsi des purs et durs qui n’ont plus ni frigidaire ni machine à laver ni quoi
que ce soit qui fonctionne à l’électricité, ils n’ont d’ailleurs même plus
d’électricité, ils vivent à la chandelle, achètent leur nourriture au jour le
jour, voire la bêchent eux-mêmes et vivent ainsi comme on vivait il y a un
siècle.

On a bien essayé d’en introduire
quelques uns à Montreuil, m’a expliqué Mère Noël, mais ce mode de vie ne colle
pas franchement avec l’urbanité, ils ont fichu le camp aussitôt à la campagne,
ou se sont appariés avec des normaux, voire des pro-conso… tiens… le monsieur que
tu vois là bas, au coin de la rue, en train de savonner sa Smart, eh bien avant
c’en était un… mais quand il a
rencontré sa femme, VRP chez Loréal, il a aussitôt laissé choir sa chandelle
pour se vautrer dans la plus folle consommation…. Moi je suis juste anti-conso…
j’essaye de vivre autrement, d’aller contre cette tendance qui est d’acheter du
vite du pas bien pour le jeter tout aussi vite… j’ai même un site, http://compact.over-blog.com/, c’est
un moyen d’échanges et aussi de progresser dans cette idée, vas y !

L’anti-conso est donc plus relax,
moins extrême… quoique. Certaines expériences relatées sur le blog de mère Noël
font penser à des processus de désintoxication de drogues dures, ou au carême
de Chrétiens d’antan qui se mortifiaient la panse et la libido (au sens large) pendant
ce qui n’est jamais au fond qu’une quarantaine de jours quand là, il s’agit
d’une année, voire d’une vie consacrée à la non-consommation… Dans
« pardonnez-moi, j’ai péché », une jeune femme confesse le processus,
en forme de rédemption, qui l’a amenée d’employée de chez Séguela à devenir une
anti-conso de chair et de cœur, toute révélée dans cette nouvelle vérité :
consommer n’est pas vivre. « No more shoping » est le récit d’une
jeune Allemande digne d’une lutte contre les tentations de la chair racontée
par une fervente catholique, où elle apprend peu à peu à se passer d’un certain
nombre de choses, de la petite robe qu’on s’achète pour se remonter le moral
aux magazines qu’on aimait feuilleter pour voir la vie en doré, sans oublier la
privation de travaux manuels à venir vu que même pour se confectionner un gilet
elle se refuse à dépenser pour le moindre bout de laine.

Que de mortification, que de frustration, ai-je pensé sans oser le dire à mère
Noël, ne va-t-elle pas un peu loin, telle une jeune fille qui en faisant un
régime se retrouve un jour anorexique… il est vrai que sa vie n’est
certainement pas en danger parce qu’elle ne veut plus rien acheter, elle risque
certes de perdre un paquet de copines car faire les boutiques avec no-shopping
c’est comme d’aller au sex shop avec le curé de la paroisse (ok, les copines ne
servent pas qu’à ça, ok on va finalement rarement au sex shop avec ou sans curé),
et puis surtout, elle se sent libérée comme une qui a trouvé sa chapelle d’espérance,
son chemin de vie comme disait un fraîchement converti assoiffé d’Allah que j’avais
rencontré à la piscine alors que j’étais une adolescente de 32 ans.

Mais se demande cependant cette
rescapée du shoping, étant donné que je travaille dans le marketing à la ville
(schizophrénie en vue ?), que deviendra mon job si tout le monde fait
comme moi ? Ohlala oui, j’imagine la tête du Medef et du gouvernement si
60 millions de consommateurs devenaient 60 millions de non-consommateurs… que
deviendrait la Patrie hein? Déjà qu’en ces temps de crise, on nous pousse
à acheter de la bagnole pour pas que nos usines ferment, même si dans le même
temps, on nous dit que la bagnole, ça devrait être fini, vu l’état de la
planète (grenelle et pimprenelle sont les deux mamelles de lalalalala). Qu’on
se rassure, 60 millions de non consommateurs, c’est tout simplement impossible,
c’est sans doute l’ère du temps de quelques uns, ça sera peut-être l’ère
moderne un jour mais ce sera lointainement, si lointainement que ça ne vaut
même pas la peine de se poser la question.

D’ailleurs, mercredi matin, alors
que Zébulon faisait connaissance avec ce qui sera sa nouvelle vie entre Nounou
et Donedone, son futur acolyte de nounouterie, je me suis fait un petit
Carrefour à Rosny 2 et j’ai eu une pensée à la fois honteuse et émue pour mère
Noël devant la masse des consommateurs et consommations qui se sont offertes à
moi. J’ai erré entre des rayons gigantesques, à la recherche du kiri, qui s’est
avéré loger au sous-sol, tandis que je devais me garer régulièrement pour
laisser passer des caddies si énormes que je me demande encore comment leur
frêle ménagère arrivait à les piloter.

J’ai imaginé en gloussant
intérieurement la réaction de tous ces braves gens si d’aventure on leur
proposait d’essayer de ne rien acheter de neuf pendant une année entière, de
récupérer des brins de laine pour se confectionner une veste d’hiver… puis
j’ai été prise de nausée. Même moi, peu encline à me frustrer d’achats (disons
que si, je m’empêche donc je me frustre ce qui signifie bien que je suis malade
de la conso), j’ai trouvé que c’était trop.
Tous ces steacks surgelés, ces plats cuisinés, ces glaces et desserts, empilés
dans les caddies, puis jetés sur le tapis noir, c’était proprement vertigineux,
alliant la sur-consommation, la mal bouffe et la dégradation de l’environnement
avec ananas vraisemblablement pas venus à pied d’Afrique, tomates élevées hors
sol au fin fond de l’Espagne, œufs de poules pondeuses entassés façon prisons
françaises… je me suis enfuie sans rien emporter, sous l’œil inquiet du vigile
(cette femme aurait-elle volé mon patron ?) et du coup, j’ai renoncé à la
virée chez H&M que je m’étais promise pour adoucir mon adaptation je veux
dire l’adaptation de Zébulon chez Nounou.

Une-deux-non consommez bien…

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