Le mur a chu 1

Que faisiez-vous dans la journée
du 9 novembre 1989 ? hein ? Il paraît que tout le monde s'en souvient,
dixit le festival des journalistes et BHL consorts du moment. Je ne dirai pas
comme le tsar Nicolas Ier que, ah ben justement dites donc j'y étais, vu qu'avec
l'intuition politique qui me caractérise, j'avais sauté dans le premier avion en
partance pour Berlin le matin du 9 novembre pour me tenir fin prête au pied du
mur avec ma pioche et ma bombe de couleur afin que nul ne puisse dénier le fait
que je faisais déjà corps avec l'Histoire.

Non, moi je n'y étais
certainement pas, mais j'étais tout de même dans un bus qui revenait de l'Est, de
Budapest très exactement. Un voyage étudiant où la veille au soir, pintées à la
vodka avec une copine, on avait regardé en gloussant Eric le sournois coller un
chwim gum dans la serrure de la chambre d'une congénère sur laquelle il avait
jeté sa sournoiserie. On avait l'air très bête, et puis très coupable quand ensuite,
tout le monde s'était retrouvé dans le couloir de l'hôtel avec la victime
éplorée, bloquée devant sa porte de chambre, tandis qu'une cohorte de grooms de
l'Est, plus irrités qu'affairés, s'essayaient à ouvrir sa porte, pour finir par
en démonter entièrement la serrure afin que la malheureuse puisse enfiler son
pilou pilou et se remettre de ses émotions dans son pucier.

Et dire que pendant ce temps là, dans
une démocratie populaire voisine, un mur tremblait sur ses vieux parpaings
laids et ses barbelés de même…

Bref, même pas franchement possible
de dire que, venant de l'Est, j'avais senti le vent tourner, et je me souviens par
ailleurs de mon étonnement quand certains de mes congénères étudiants avaient
parlé de se rendre au besoin en stop à Berlin pour assister à l'évènement que
la radio du bus, pleine de scruitch, nous avait appris sur le chemin du retour
alors que nous abordions notre destination finale, l'Alsace. Personnellement, bien
que ce soit honteux en ces temps d'intense voire hystérique commémoration murale,
je dois le confesser humblement, aller assister à la chute du mur à Berlin en
1989, ça ne me serait même pas venu à l'idée.

Quant à ce mur, je savais bien
qu'il en existait un à l'Est mais sans plus. Je connaissais comme tout le monde
ces histoires d'Allemands qui essayaient de gagner l'Ouest et se faisaient
tirer comme des lapins au faîte du mur, mais comme tout le monde aussi, du
moins de mon âge, 20 ans, je m'agaçais des récits lyriques et idéologiques du type
J'ai choisi la liberté. Je n’étais ni communiste ni
anti-communiste et par ailleurs, les républiques démocratiques populaires de
l’Est ne m’attiraient ni en termes de sujet d’étude ni en ceux de destination
de voyage. Mon mur à moi, en terme d’intérêt et de fantasme, c’était bien
plutôt le mur des lamentations de Jérusalem qui allait être supplanté en terme
de mur par celui qu’érigerait au deuxième millénaire Israël jusque dans les
jardins et champs palestiniens de Cisjordanie.

Cependant, si je cherche bien, j'ai
un autre souvenir du mur. C'était au cours d'un autre voyage, en classe
linguistique celui-là et à l'adolescence, soit à peu près 5 ans avant, où on
nous avait emmené à l'est de Kassel, notre ville de séjour au sud de
l'Allemagne, sur une route qui longeait la frontière avec interdiction absolue
de la quitter car les bas côtés étaient minés. On avait eu l'impression de
vivre un grand moment d'aventure mais dans un cadre parfaitement banal. Car mis
à part cette histoire de bas côtés supposés être minés (par les orties?), il
n'y avait strictement rien de remarquable au sujet de cette frontière, pas de
soldats, pas de chiens en laisse, même pas de miradors, quant aux cadavres,
n'en parlons même pas, c'est peu dire que nous étions déçus.

Et puis après, quand j'ai été à
Berlin à la fin 2006, du mur, je n'en ai vu que de vagues vestiges, et ce n'est
pas franchement check point Charlie, point de passage mythique entre Berlin Est
et Berlin Ouest, et son faux soldat américain avec qui on peut se faire
photographier, sans oublier les hordes de touristes en numérique qui déferlent
sur le musée-boutique, qui m'ont permis de saisir l'atmosphère de la ville jadis
coupée en deux. Mieux vaut encore lire les panneaux qui bordent les alentours
du célèbre check point où est ainsi retracée l'histoire du mur et les anecdotes croustillantes au
sujet de ceux et celles qui tentèrent de le franchir, telle cette femme
retrouvée pliée en accordéon dans la boîte à gants d'une traban (bon, peut être
pas la boîte à gants mais un espace très réduit près du levier de vitesse et
dont le nom m'échappe).

Quoiqu'il en soit, je ne sais pas
pour ceux ou celles qui ont vibré de rage et de désespoir le 13 août 1961 à la
construction du mur, puis de joie et d'extatisme le 9 novembre 1989 lorsqu'il
chut, au point de s'écrier des trucs bizarres du style C'est la fin de
l'histoire, ou C'est le triomphe du monde libre, mais en tout cas, la
célébration de ce vingtième anniversaire, commencée une semaine avant sur ma
radio favorite France Inter, m'a conduite à une sorte d'overdose avant même la
consommation du produit le jour dit.

De toute façon, comme tout
sujet trop rabâché par trop de monde, on ne peut échapper à cette sensation doublée d'une
inévitable confusion puisque l'histoire serait trop belle, et trop simple, de
se dire qu'un mur qui tombe, et c'est tout le monde, du moins l'Est et l'Ouest,
qui tombe dans les bras l'un de l'autre pour une nouvelle page d'histoire qui
s'ouvre où l'opulence le dispute à la liberté et l'harmonie fraternelle. On sait trop bien que le chemin du retour des Ex Allemands de l'Est dans le giron de l'Occident libre et riche ne fut pas, pour certains d'entre eux, bordé de roses et que la chute de ce mur signa la chute de beaucoup d'autres choses encore, pas forcément pour le meilleur. Le monde actuel uni ou multipolaire est-il devenu plus doux que celui qui existait auparavant, divisé (pour dire vite) en deux camps?

Impossible d'oublier de toute
façon que moins de trois ans après, la Yougoslavie explosait et qu'une guerre
terrible allait se dérouler pendant près de 3 autres années, avec d'autres murs
(siège de Sarajevo, barbelés entourant les camps des prisonniers bosniaques
détenus par les Serbes), et que d'autres murs encore allaient voir le jour, tel
celui courant le long de la frontière mexico-américaine destiné à empêcher les
va-nu-pieds latinos de gagner l'eldorado américain, ou celui érigé par les
Israéliens entre leur territoire et la Cisjordanie afin de se prémunir,
officiellement, des attentats terroristes mais également, plus stratégiquement,
gagner du terrain, puisqu'il fragmente encore un peu plus le territoire
palestinien où il n'est pas rare que des villages et donc des familles, tel dans
le Berlin du passé, se retrouvent coupés en deux.

Et question trouble dans l'esprit
commémoratif, je ne vous parle même pas de tous ces ex Allemands de l'Est,
appelés Ossis, qui ajoutent encore à la confusion en sécrétant une douce, voire amère
nostalgie de ce que fut leur vie sous le régime dictatorial de l'Allemagne de
l'Est où, si on ne pouvait pas causer en public de ce qu'on pensait, au moins,
on avait un boulot et les enfants étaient gardés gratuitement.

Et voilà qu'avec tout ça, nous
sommes déjà le 10 novembre, et que demain on remet ça en terme de commémoration
avec la der des der, qui ne fut donc pas la der des der, et le dernier poilu
vivant, Lazare Ponticelli (un nom même pas franchement de chez nous) qui va
devoir se farcir à son grand âge une ultime célébration en compagnie de celui
qui, tout de même, ne pourra pas dire qu'il y était là aussi.

Après, promis, c'est fini
jusqu'au mois prochain où, pour la saint Nicolas, le 6 décembre, on sera juste tous
prié de manger un manele, ce petit
personnage en pain d'épice que les Alsaciens s'offrent dans la rue ce jour là,
afin de fêter avec dévotion la saint de notre très petit père du peuple, Nicolas
Ier. Ca nous laisse tout de même 24 jours de répit, ouf.

One comment on “Le mur a chu

  1. Reply rouaultolivier Nov 12,2009 17:36

    Chere Marie
    c\’est avec beaucoup d\’interet que je lis vos billets d\’humeur. celui du 10 nov sur les commémorations de la chute du mur de berlin me fait réagir. je suis surpris de voir comme vous minimiser l\’importance de ce mur par le passé et de sa chute il y a 20 ans. Certes le monde n\’a pas été révolutionné, mais quand même ! pendant + de 30 ans une partie des allemands ont vécu coupé des leurs et du reste du monde, dans un monde organisé \ »à la socialiste\ » sans libertés aucune !
    quand ce mur est tombé en 1989, quelle grand moment …! pour les allemands et pour le reste du monde …et la liberté !! ce n\’est pas rien ! Cela n\’a pas tout résolu loin de là ! mais je préfère qd même ce monde-ci à celui d\’hier ! On peut toujours comparer les murs…mais celui-ci était bien symbolique d\’un monde qui n\’existe plus et c\’est tant mieux !
    Quant à votre billet sur Rachel, film que je n\’ai pas vu, donc que je ne commenterai pas, juste une petite remarque : parler de \ »déshumanisation de la société israélienne\ » me parait bien exagérée . Je pense que les souffrances sont égales de part et d\’autre, qu\’ il y a aussi des gens en Israêl – arabes ou pas – qui souffrent autant que les palestiniens. La société israélienne n\’est pas parfaite, mais il s\’agit néanmoins d\’une démocratie, (la seule dans cette région du monde!!!!) et qui essaie de survivre..
    Je ne suis pas spécialiste de la question mais je voulais vous faire part Chère Marie de mon opinion.
    Merci encore pour votre agréable brunch de dimanche
    à refaire la prochaine fois chez moi à LA romainville !!
    Trés amicalement olivier
    bravo encore pour le blog et vos textes. biz

    [B]null[/B][B]chute du mur de berlin[/B]

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