Minarets à la Saint-Nicolas, identité nationale à tous les repas (I)

Noël arrivait. Eternel
retour, comme le constataient un peu partout les vieux Nietzche au
comptoir de leur café du commerce habituel.

Ce qui signifiait surtout, outre
la 2010ème naissance du petit Jésus accompagnée de la rituelle
mise à mort de la dinde élevée avec sa copine l’oie grasse du
foie, les vacances scolaires, pour les enfants, et bureaucratiques,
pour les employés de bureau, yahouuuuuuuuuuuuuuuuuu !

Ce qui voulait dire, me concernant, pas de Syndic pendant au moins quinze jours et
tout un programme de grands travaux d'écriture (finir un recueil de
nouvelles soit une dizaine de textes à écrire, reprendre un roman
entamé, concourir à quelques concours de nouvelles…), programme
qui avait juste la faiblesse de ne pas tenir compte de certaines
contraintes telles que le Zébulon, les fêtes en famille, le passage
d’amis, une retraite à la campagne, etc.

Qu’importe! programme
tenu ou pas, je serai loin du Syndic et ça, c’était pour moi
comme un masque d’oxygène posé sur le tarin de feu Mimi Jackson.


La Cadette et moi, nous
n’avions pas pu élucider le mystère Bécassine. Il est vrai que
nous ne nous étions pas retrouvées dans une situation où les deux
Labanel auraient cohabité. Ce qui aurait certes éclairci le mystère
mais n'aurait pas manqué de produire quelques effets collatéraux
désagréables tels que la mise au jour de l’imposture d’une
vilaine et sa condamnation, avec force plumes arrachées, accompagnée
d’une enquête administrative où nous aurions été interrogées,
peut-être même torturées, la Cadette et moi… A moins que tout
ceci ne se soit clôt sur la révélation d’une hallucination,
voire une folie, si ce n’est collective, du moins bi-personnelle.

Nous avions donc opté
pour faire comme si de rien n’était. Nous ne tenions pas à passer
les fêtes à la question ou à l’asile psychiatrique avec d’autres
dingues du Livre.

Par ailleurs, mais rien à
voir, j’avais dû retirer la photo que j’avais punaisée au mur,
la mosquée bleue d’Istanbul visitée du temps de mon célibat
libre laid, au motif que Bécassine trouvait être cela « un
signe religieux ostentatoire » parfaitement déplacé dans un
établissement d’ordre public, me menaçant même, si jamais je
n’obtempérai pas, de recourir à l’Assemblée pour qu’une loi
soit adoptée, qui interdise formellement aux employés de bureau de
punaiser des minarets sur les murs de leur lieu ouvrable. Je lui
avais juste fait remarquer qu’elle allait pouvoir faire économiser
de leur temps aux députés (surtout à ceux qui ne venaient pas), vu
que je n’étais pas au point attachée à la Mosquée bleue
d’Istanbul que je m’obstine à la laisser punaiser sur le mur si
ça posait un problème à une laïque forcenée dans mon bureau.

Mais cette réaction
pavlovienne concernant l’espace public et la laïcité de la part
de Bécassine m’avait bien sûr plus qu’irritée, surtout que je
ne lui avais jamais fait de remarques, moi, sur le fait qu’elle
avait ventousé sur son ordinateur une vierge de Lourdes qui
clignotait toutes les heures et lançait des Jésus ! Jésus !
aux heures stratégiques de la journée (dix heures trente –café-,
midi –déjeuner-, trois heures trente –thé vert-, cinq heures
–levée du siège).

Sur ce, j’ai entendu
Bécassine, à croire qu’elle lisait dans ma tête, expliquer à
quelqu’un au téléphone que sa vierge était un « gadget
marrant » et pas un « signe ostentatoire », étant
donné le grand respect qu’elle nourrissait à l’égard de la
laïcité comme du Livre (aucun rapport), quand bien même elle avait
été élevée chez les sœurs de Sainte-Ursule (celle qui rit quand
on, j’ai mentalement rajouté).

Pour ne pas subir dans la
foulée un énième non-débat (traduisez, discours) forcément creux
sur le thème des symboles religieux en érection (minaret, clocher,
crucifix stylisé…), j’ai décroché mon téléphone pour appeler
Aveline afin de savoir ce qu’elle faisait pour les fêtes.

  • Je reste à Panâme,
    où veux-tu que j’aille avec ma paire de ? M’a répondu
    Aveline sur fond de cris façon salve de mitraillette accompagnée
    du bruit d’un hochet frénétiquement agité.

  • Ben euh je ne sais
    pas… tu ne vas pas rejoindre ta famille à Bourges ?

Questionner une amie
doublement mère mais semi-célibataire concernant le thème
récurrent de la fête de Noël, suivie de près par cette autre fête
qui consistait à changer d’année, se révélait aussi délicat
que de questionner une célibataire de longue durée. D’ailleurs,
il fallait que je ne m’oublie pas d’appeler Soledad après
Aveline.

Mais Aveline avait
poursuivi entre temps.

  • … rien que d’aller
    acheter le pain, c’est déjà l’expédition avec les mouflettes
    à ficeler dans leurs sièges, sans oublier les bonnets, écharpes,
    protection anti-pluie, couches, biberons, baume pour les dents,
    hochets… alors prendre un train pour un jour de fête dans une
    famille bruyamment élargie, merci bien ! Et toi, Mimi, tu
    places le mioche chez ses aïeux et tu écris nuit et jour il
    paraît ?

  • Qui t’a dit un
    truc pareil ?

Outre que je ne me voyais
absolument pas placer le mioche chez ses aïeux (et eux non plus), je
ne me voyais pas vraiment écrire nuit et jour, ou alors une heure à
chaque séquence.

  • Je plaisante, Mimi,
    a gloussé Aveline, tu es vraiment à cran dis donc avec ça…
    attends, y a la pomme qui va réussir à cracher sa première dent
    tellement elle braille… je la prends sur mon genou de libre… vu
    que sur l’autre y a le chat toto de ma mère… enfin celui de son
    ex-ex… tu disais ?

  • Claude
    passe les fêtes avec toi ? J’ai repris.

  • Qui c’est ça
    Claude ? A demandé d’un ton surpris Aveline.

  • Ben ton semi-maori
    en semi-phase d’intégration française…

  • La burqa, passe
    encore, mais la casquette à l’envers sur le chef, et la langue
    pratiquée de droite à gauche sous prétexte qu’on est d’origine
    maure, je dis non ! non ! Si c’est cela, inutile de
    m’envoyer votre CV !

C’était Bécassine qui
postillonnait dans son téléphone. Elle s’était mise en tête de
prendre à la rentrée un ou une stagiaire pas de souche pour
« montrer l’exemple » mais elle avait des idées très
précises sur la façon dont devait être ce stagiaire. Humble,
discret, légèrement alcoolisé à ses heures, amateur de tranches
de saucisson à d’autres, pas burqabé, ni ni niqabé, sans
casquette à l’envers (ni à l’endroit d’ailleurs), et parlant
de gauche à droite, comme vous et moi quoi.

  • Ah tu veux dire
    Peter… oui, il est plus Peter que Claude, Mimi, tu t’en doutais
    certainement…

  • En tout cas, il m’a
    promis de passer au moins le 24 avec moi…

  • Ah c’est déjà
    bien ça ! J’ai répondu, exagérément enthousiaste.

  • Sauf qu’il veut
    être le 25 chez lui à Auckland pour fêter Noël avec son autre
    paire de, et la mère de cette paire là…

  • Mais comment ça
    peut être possible avec le décalage horaire ?

  • Aucune idée. Il est
    en train de faire des calculs compliqués, en étudiant sur la
    mappemonde toutes les voies de passage possible, en haut, en bas,
    par le nord, par le sud, sans oublier les histoires de force de vent
    et de pot au noir… il cherche à ne mettre que 8 heures pour
    effectuer un trajet habituellement survolé en 24 heures…

  • Autant dire qu’une
    famille va devoir être sacrifiée…

  • Parlons en
    justement… est-il bien pertinent du point de vue de la volonté
    d’intégration que d’exiger d’avoir le droit d’égorger une
    biquette chaque année dans la baignoire de son appartement ?
    Est-il absolument nécessaire pour adorer son Dieu d’avoir un
    monument dont une partie s’érige à une hauteur défiant les
    règlements architecturaux en matière d’urbanisme ? Et ne
    venez pas me dire que je transforme le débat sur l’identité
    nationale en débat sur l’islam et les étrangers… je ne fais
    que poser des questions de bon sens que chaque Français se pose
    chaque matin sous sa douche !

Bon sang. C’était
Bécassine, qui prenait la tête de chaque stagiaire qui, alléché
par sa petite annonce, lui téléphonait pour postuler. La pile de CV
allait s’amenuisant sur son bureau. J’ai dû raccrocher car
Bécassine s’était entretemps plantée devant moi.

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