-
C’est tout simplement
sidérant ! A glapi Bécassine. Aucun individu, mâle ou femelle, qui
me contacte, ne semble disposé à faire le minimum d’efforts pour
décrocher ce stage qui est quand même, quand on voit l’endroit
dont ils viennent, une porte semi-entrouverte sur le monde
merveilleux de la Culture et du Livre ! -
Christine, ne le
prenez pas mal mais pourquoi ne recevez-vous aucun d’entre
eux ? -
Comment ça ?
-
Eh bien oui… vous
ne leur laissez aucune chance de prouver qu’ils pourront faire
l’affaire pour ce qui n’est jamais, après tout, qu’un stage
non rémunéré de deux semaines à effectuer dans le cadre de leur
année de troisième au Lycée… -
Je suis raciste hein
c’est ça Mimi ? A tonné Bécassine.
-
Je n’ai pas dit
ça ! J’ai véhément protesté (c’était vrai en plus). -
Tu ne l’as peut
être pas dit mais tu l’as si fortement suggéré que c’est même
pire que pire ! Je suis plus que raciste, je suis xénophobe et
même islamophobe !! Ce qui a l’avantage d’englober pas
loin de 4 milliards d’êtres humains !! -
Mais, mais…
-
C’est comme cette
pauvre Nadine… elle a juste émis qu’éventuellement le fait de
ne pas porter sa casquette à l’envers et de ne pas parler de
droite à gauche, puisse être un minimum infime pour peut-être
décrocher un stage de 15 jours à la Culture, et aussitôt, on la
taxe d’islamophobe ! -
Excusez moi
Christine, mais je m’étonne que Nadine Marionaud semble
considérer que les jeunes de banlieue aient le tort de parler en
verlan… ce que j’entends en passant devant le lycée près de
chez moi ne ressemble en rien à du verlan, salope, pute, va te
faire enculer, et je vous en passe, et cela, dans toutes les
bouches, les plus blanches comme les plus basanées… sans compter
que dans ma jeunesse, le chanteur populaire Renaud, certes depuis
devenu vieux con de la haute, avait à cœur de pratiquer le verlan,
qui était présenté comme la langue de la rue et non d’une
minorité ethnique, religieuse ou topographique, à l’instar de
l’argot qui… -
Tout ceci me
passionne prodigieusement Mimi, mais cette quête du ou de la
stagiaire ethnico-idéale ne doit pas me faire oublier que m’attend
chez Fauchon un panier de l’AMAPL (association pour le maintien
d’une agriculture paysanne de luxe)! J’y cours !
Et une fois encore,
Bécassine a filé avant même que sa vierge n’ait lancé le
jésus ! jésus ! de midi. La Cadette m’a conseillé de
faire comme la gauche, même la droitière, à savoir refuser
d’aborder l’idée même d’un débat sur la question de
l’identité nationale.
-
Mais je ne cherchais
pas à débattre ! J’ai protesté. -
Stop it ! A
tonné la Cadette. Qu’est-ce que je t’ai dit ? -
Je cherchais juste à
l’avertir du fait qu’elle ne jugeait pas sur pièce mais sur
papier, et encore ! Que sans recevoir les personnes, hormis les
cas lourds à écarter bien évidemment, elle allait avoir
franchement du mal à trouver son ou sa stagiaire ethnico-idéale ! -
Mimi, je refuse de
discuter de cela, a grogné la Cadette. Ce débat me soulève le
cœur jusqu’au niveau de la marée d’équinoxe ! Cette
façon de fourrer du minaret et du niqab partout sans oublier des
mottes de terre et du vin en caisse de douze pour preuve de ce
qu’être citoyen français, et qualifier ça qui plus est de
« grand débat national » quand il ne s’agit jamais
que d’un grand dégueuloir collectif, cela me révulse à un point
tel que j’aimerais trouver les indicateurs de performance qui
mesureraient cette belle saloperie tiens !
Je n’ai pas insisté,
même si je lui aurais bien fait remarquer que quelque part, bien
plus que moi, elle était entrée dans le débat. J’ai préféré
appeler Soledad.
-
Hello Mimi,
m’a-t-elle fait, d’une voix plutôt joyeuse. Comment va ? -
On fait aller comme
disent les vieilles… et toi, quoi de neuf ? Tu pars pour les
fêtes ? -
Je suis en train de
voir ça avec ma coach de non amour… elle aurait bien aimé
m’envoyer passer Noël avec mes parents chez ma sœur, ses trois
mioches et ma grand-mère paraplégique, mais je crois que je vais
partir randonner dans le désert… niveau trois chameaux… ce qui
signifie niveau élevé donc peu de femmes… je me suis renseignée
auprès de l’Agence, Terre de nature… -
Ah ça c’est
bien ! J’ai jubilé. Tu es devenue rudement avisée ! Et
ce serait où très exactement ? -
Eh bien, il y a une
rando à Melun nord, désert de la Bauce, une autre à Meaux Sud,
désert de la lande d’Espagnoulette, une autre… -
Tu veux dire que ça
ne serait pas un désert à l’étranger ? J’ai demandé,
très déçue. -
Tu es folle Mimi !
Tu veux ma mort ! A glapi Soledad. En Algérie, ils enlèvent
déjà les mâles humanitaires alors t’imagine même pas les
touristes célibataires femelles ! -
Il n’y a pas que
l’Algérie, Soledad… au Maroc, il y a aussi de très beaux
déserts, de pierres comme de sable, et… -
Je ne veux pas être
obligée de marcher en burqa ! A tonné Soledad. -
Mais enfin Soso,
j’ai bramé, il n’y a pas de burqa au Maroc, et encore moins
portée par les étrangères ! -
Ah qu’est-ce que
je disais ! On ne peut plus parler d’islam sans se faire
taxer d’islamophobe ! Comme si on était assez buse pour
confonde islamiste avec islamique ! je sais quand même
reconnaître un méchant barbu d’un gentil intégriste tout de même !
C’était Bécassine,
qui s’en revenait déjà, son panier d’AMAPL sous le bras. Ce qui
fait que j’ai dû raccrocher en marmonnant un « bonnes
vacances » à Soledad.
-
Vous n’allez pas
remettre ça, a de suite grogné la Cadette. -
Tu as honte de ce
sujet ? A réplique Bécassine. L’islam, la race, l’identité,
c’est comme panpan zizi, ou popot caca, quelque chose de tabou
dont on ne doit pas parler, c’est ça ? -
Vous avez quoi dans
votre panier ? J’ai demandé à Bécassine pour faire
diversion. On peut voir ? -
Eh bien…
Bécassine a posé son
panier sur le bureau de l’Absent
(celui-qui-n’était-pas-encore-tout-à-fait-là-mais-serait-bientôt-là).
Elle a commencé à en énumérer le contenu, visiblement très fière
de son achat éco-citoyen responsable.
-
Que des bons
produits de saison… des fraises, des framboises, un kilo de kiwis,
un autre de courgettes, une livre de tomates (elles arrivent tout
juste), des poivrons en veux-tu en voilà, des… -
Mais Christine, je
l’ai coupée, ce ne sont pas là des produits de saison ! -
Si ! Ce sont
des produits de saison! Mais attention, de saison… de luxe !
Elle a émis le doigt en
l’air comme si elle était à la télé.
-
Mais ça ne marche
pas comme ça ! J’ai protesté. Le principe de l’AMAP c’est
que ce sont des paniers de fruits et de légumes d’hiver si on est
en hiver, de fruits et de légumes de printemps si on est au
printemps, etc… -
Je m’étonne que
ce soit toi, Mimi, m’a coupée Bécassine, qui me reproche ma
fermeture d’esprit dans le cadre du débat sur l’identité
nationale, et qui vienne là autant me chipoter sur qui est d’hiver,
qui est d’été… -
Mais ça n’a rien
à voir ! J’ai protesté, profondément indignée par une
telle mauvaise foi. Vous mélangez les légumes et les étrangers ! -
Ah ! Et après
on dit que c’est moi la raciste ! A glapi Bécassine. Quand
tu viens clairement de faire l’amalgame entre le légume et le
musulman ! -
Mais c’est
n’importe quoi ! J’ai littéralement hurlé. Qui a parlé
de musulmans ? C’est du délire ! -
Oh la menteuse !
A braillé Bécassine. La menteuse qui traite son voisin barbu à
djellaba de légume sous prétexte qu’il prie vautré par terre
quand elle, elle… -
Jésus !
Jésus !
Fort heureusement, la
vierge de Lourdes de Bécassine nous a interrompues. Il était donc
midi. La Cadette était partie depuis longtemps, outragée par la
tournure que prenait le non-débat, et Bécassine au cri de Jésus !
Jésus ! a décampé tout aussi sec, sa cousine nonne de Rome
devant arriver à la gare de Lyon dans les 15 h 00, elle préférait
prévoir un peu large pour aller la chercher.
Avec tout ça, j’étais
enfin en vacances. Et si on avait beaucoup non-débattu ce matin dans
le bureau, je n’avais strictement rien fichu. Tant pis, j’étais
en congé, quinze jours de liberté se profilaient devant moi…
Et c’est la tête loin
des minarets des vierges de Lourdes et des casquettes à l’envers
que je me suis délicieusement enfuie du Syndicat du crime ès
lettres.