2010, année de la saucisse (Partie I) 1

Voilà le gros titre que j'ai cru lire
dans mon journal ce matin, alors que je reprenais le chemin du
turbin.

Un gros titre vraisemblablement généré
par le grand ébat euh débat national sur l'identité, nationale de
même, de haute tenue certes si on l'en croit Besson le pantalon (à
peine 10% des contributions contiendraient les mots islam, mouton
égorgé, bougnoule, raton, etc). Un gros titre qui devait sans nul
doute être suivi d'un article exhortant dans le cadre de la dite
identité à consommer de la saucisse (de porc), jusque dans les
aéroports où la terreur régnait à nouveau depuis qu'un dénommé
Umar Faruk avait manqué de faire sauter un traineau dans le ciel le
jour de Noël.

Bon, ensuite, une fois assise dans mon
métro, j'ai fébrilement feuilleté mon journal pour lire l'article
en question et je n'ai jamais retrouvé ce gros titre. J'en ai
piteusement déduit qu'il était purement sorti de mes fantasmes de
blanche refoulée néo-banlieusarde.

En tout cas, quand je suis arrivée au
Syndicat du crime ès livres, j'ai manqué me faire renverser par la
Colonette qui a déboulé à toute berzingue, penchée sur un
improbable vélo de course, version Louison Bobet, et vêtue d'un
vison roux flamboyant.

  • Bonne année! M'a-t-elle lancé en
    sautant de sa selle comme une écuyère de chez Pinder. La santé
    hein surtout, du sport, du sport, et des indicateurs de performance,
    n'oubliez pas! Cette année est l'année où je vais mettre le
    Syndic sur les rails de la culture du Résultat, je vous sonne comme
    prévu dans la matinée avec votre supérieure hiérarchique,
    Labanel, pour qu'on établisse les quotas!


Comme prévu. J'ai bredouillé un
« bonne année à vous de même, la santé aussi, un nouveau
vélo peut-être », en me disant que l'année commençait un
peu trop sur les chapeaux de roue et que je n'avais pas prévu
d'aller déjà la voir. La Colonette avait garé son vélo de course,
en un tour de main elle lui a bouclé autour des boyaux une chaîne
(en or fin), et maintenant, elle me tenait la porte l'air de dire, tu
grouilles la Suisse? Ce qui fait que j'ai dû presque courir pour
qu'elle n'ait pas à me tenir la porte plus de 5 secondes chrono.

Dedans, un froid d'ère glaciaire
régnait. Le standardiste était revêtu d'une doudoune et il tapait
sur son ordinateur avec des moufles.

  • Bonne année Marie! Il m'a clamé.
    T'as apporté ton damart j'espère?

Je me suis demandé si j'avais un look
ménagère de 40 ans pour qu'il me lance ça en guise de démarrage
de l'année 2010 quand Bécassine a surgi, serrant dans ses bras une
bouillotte.

  • Bonne année, Mimi, et bonne
    santé! Tu vas en avoir besoin, il fait moins zéro dans le bureau
    et la Colonette nous attend, pour 10 h 30 dans son vison pour qu'on
    invente des quotas!

  • Bonne année à vous aussi, j'ai
    marmonné, le nez dans mon écharpe, mais qu'est-ce qui se passe
    ici? La Ergépépé a encore frappé?

  • 2010, année de la saucisse!

Elle m'a lancé en s'éloignant avec sa
bouillotte dans les bras. Enfin, c'est ce qu'il m'a semblé entendre.

Je me suis dirigée vers le bureau où
j'ai retrouvé la Cadette en train de boire un thé bouillant, un
bonnet énorme sur la tête, enroulée avec un air misérable dans
son manteau façon SDF dans son sac de couchage.

  • Bonne année, Mimi! Elle m'a fait.
    Tous mes voeux, à commencer par le ballon qui t'enlèvera loin
    d'ici!

  • Bonne année à toi aussi, j'ai
    répondu. Tous mes voeux de même, à commencer par un contrat qui
    ne soit pas une addition de rompus de temps partiel et qui dure
    jusqu'à la retraite…

  • Ou bien la mort, a répliqué
    Bécassine d'un air sinistre, en rentrant dans le bureau avec sa
    bouillotte dans les bras. Les filles, vous irez chez la Colonette
    sans moi lui trouver des quotas, moi je rentre chez moi, pas envie
    de finir comme Guillaume Depardieu, vaincue par une stupide
    pneumonie à la fleur de l'âge!

Et Bécassine a filé. La Cadette m'a
expliqué que les chauffages avaient lâché hier, la Ergépépé
ayant interdit à tout organisme culturel de procéder au changement
de ses tuyaux d'alimentation en eau chaude, le nôtre avait pété
sec et Mike Giver (le manuel du lieu) avait ordonné l'évacuation
immédiate des locaux par crainte qu'un court circuit ne fasse
exploser tout le bâtiment.

Tout le monde s'était retrouvé sur le
trottoir et le bruit avait couru parmi les employés du Syndic comme
les antiquaires de la rue que le frère d'Umar Faru en personne, de
retour depuis peu de Sanaa (Yémen), avait tenté de faire sauter le
Syndicat du crime ès livres, par pure haine de la liberté de penser
et de publier, en se faisant passer pour une chercheuse salafiste
emmitouflée dans son niqab de polaire noire venue toucher sa bourse
d'année sabbatique.

  • 2010, année de la saucisse! A
    conclu la Cadette.

  • Qu'est-ce que tu as dit? J'ai
    sursauté.

  • J'ai dit, et voilà tu sais tout
    la miss!

  • Ah…

  • Les vacances ont été bonnes?

  • Ouais…

  • Combien de lignes? Elle m'a
    demandé en serrant un peu plus son manteau sur ses épaules.

  • De coke?

Ahahaha. La vérité c'est que j'en
avais pas fait tant que ça des lignes. Entre un Zébulon hyper
actif, la sous-traitance du travail du père Noël qui m'avait
déléguée pour aller quérir de quoi fourrer un peu la botte du
Zébu et de son père, sans compter la grande Simone qui m'avait
demandé de lui dégoter une édition ultra rare des oeuvres
apocryphes d'une cheminote féministe du début de l'ère
industrielle dans l'Angleterre victorienne, ce qui m'avait obligée à
traverser toute la capitale car ce genre de choses, bien sûr, ne se
trouvait pas à la Fnac, sans oublier la visite d'amis provinciaux
venus s'étourdir la vie à la capitale…

  • Bref, tu n'as rien foutu, a conclu
    la Cadette en me regardant d'un air navré.

  • Si, j'ai protesté, j'ai repris
    une nouvelle, que j'ai tellement allongée qu'il va falloir
    maintenant que je recoupe tout mais bon, c'est le métier qui veut
    ça…

Dring. J'ai regardé mon téléphone,
sans aucune envie d'y répondre. Difficile de croire qu'un éditeur
me sonnait pour me présenter ses bons voeux car, à égalité avec
la pingrerie (on ne risque pas avec eux d'être accusés de
corruption pour cadeaux déplacés), la muflerie est chez eux la
seconde mamelle.

  • Allo, j'ai néanmoins décroché,
    que puis-je pour vous?

  • Année 2010, année de la
    saucisse!

  • Pardon?!

Voilà que ça continuait. L'année de
la saucisse semblait décidément décidée à poursuivre sous les
mêmes auspices que l'année de l'oeuf, qui s'était terminée sur
une séquence schizoïde avec le dédoublement de Bécassine (voir
Bécassine I, II, III).

  • Bonne année 2010, Mimi, je suis à
    Nice! Tu m'entends?

One comment on “2010, année de la saucisse (Partie I)

  1. Reply ln22 Jan 11,2010 16:45

    bonne année saucisse !
    mais on lui pique ses idées au fifi ………………………..
    toit aussi t\’as eu des pannes de chauffage ? Nous on en a au moins pour 3 jours à cailler dans nos bureaux !
    big bises

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