2010, année de la saucisse (Fin)

– 2010, année de la saucisse!

Mike Giver se tenait sur le seuil, en
brandissant une clé que je qualifierai à outil.

  • Bonne année 2010! Il a répété.
    Je viens réparer avec ma clé de six!

  • Ah…

Il a commencé à fourrager dans les
radiateurs, en nous expliquant que le froid avait non seulement fait
éclater une conduite d'eau chaude mais que du coup, il avait
sédimenté les résidus de poussière déposés au fil des mois à
l'intérieur pour en faire une boue noirâtre qu'il a tenu à brandir
sous nos yeux.

  • Tenez, regardez! Il a fait en
    étalant la boue qui sentait le caca sur un courrier ministre laissé
    malencontreusement à découvert. J'ai 80 radiateurs à aller
    désengorger ce matin, quand je suis déjà parti hier soir à
    minuit zéro! Je bosse pire qu'un cadre A+++ moi!!

  • Mike, a articulé avec difficulté
    la Cadette, vous avez étalé la boue sur un courrier de Mitrand…

  • Ah ça, c'est pas les Enarques qui
    sauraient réparer 80 radiateurs… a poursuivi Mike Giver comme
    s'il était sourd, en une seule journée qui plus est! Ils ont de la
    chance ici que j'ai un diplôme d'électro-mécanicien, ah ça oui!
    Allez faire marcher vos supérieures méninges par 5 degrés, si je
    n'étais pas là pour décrasser vos radiateurs et souder vos
    vieilles conduites d'eau! Ah ça oui, moi aussi, le Livre, je
    contribue à le sauver!


Sur ces bonnes paroles, Mike Giver est
tombé à genoux, devant le radiateur, et s'est mis à le désosser.
La Cadette a secoué le courrier au dessus de la poubelle, mais de
longues stries noires demeuraient de haut en bas. Elle a fait tsit
tsit avec sa langue, et je lui ai suggéré de le laisser sécher
puis de le photocopier. Après tout, ça n'était jamais qu'un
exemplaire pour info.

  • Mais t'imagine quand la Cour des
    Comptes viendra nous auditionner? On lui exhibera ce courrier plein
    de caca, et qu'est-ce qu'elle dira hein? Elle a tonné.

Je n'ai pas répondu. La Cadette savait
parfois se montrer plus royaliste que le roi, et personnellement, je
ne voyais pas en quoi un fonctionnaire de la Cour des comptes
viendrait renifler tous nos courriers. J'ai préféré sortir appeler
Aveline avant que d'aller à mon RV chez la Colonette, Mike Giver,
sauveur du Livre, s'étant mis à donner de grands coups sourds sur
le chauffage à mon flanc droit.

Aveline avait passé les fêtes seule
avec sa paire de, son chat, autorisé exceptionnellement à venir
passer les fêtes à Paris, ainsi que sa mère dont le troisième
mari donnait des signes de faiblesse qui nécessitaient de se
retrouver près d'un hôpital, fut-il une maternité. Son semi-maori
à Aveline avait renoncé à trouver un billet qui lui permette de
faire en six heures un voyage qui se faisait habituellement en 24
heures minimum. Il avait tout d'abord assuré qu'il allait donc
rester avec elle et leur paire de, mais il s'était montré si
morbide, si torturé par l'angoisse et la culpabilité de ne pas
passer avec sa paire de habituelle, leur dix-septième Noël
ensemble, qu'Aveline avait accepté de guerre lasse, qu'il rentre au
pays.

Je l'avais trouvé bien bonne avec lui
mais elle m'avait fait remarquer que là, non plus, elle n'avait pas
le choix. Avoir un pauvre hère malade de culpabilité à ses côtés
et triturant son portable toutes les cinq minutes, ne lui semblait
pas être ce qui s'appelle, passer un Noël en famille. J'avais
appelé Aveline pour le premier de l'an mais je n'avais pas réussi à
la joindre, ce qui m'inquiétait légèrement.

  • Année 2010, année de la
    saucisse!

J'ai crié, à titre préventif quand
elle a miraculeusement décroché.

  • Mimi, ça va bien? Elle a répondu.
    Me dis pas que toi aussi, t'es devenue toc toc?

  • Pourquoi, tu as déjà une toc toc
    dans tes parages?

  • Un toc toc… le Peter…
    ou plus exactement, son père… c'est le chef de la tribu
    d'Auckland district 9… il a menacé de venir taper un scandale à
    Paris district 6, de me traîner dans tout Paris par les cheveux…
    avant que de me les raser et en faire des bonnets de poil pour ses
    vrais petits-fils… la paire de officielle de son fils quoi…

  • Tu déconnes?

  • A peine… le paternel est un
    patriarche de pur sang maori comme on n'en fait plus et la coutume
    demande à ce que, celle avec qui le fils a péché, paye de ses
    cheveux transformés en bonnets à poils pour les héritiers
    légitimes…

  • Mon Dieu Aveline! Tu vas déposer
    une main courante auprès des flics?

  • Que pouic! Je ne suis pas
    franchement inquiète, Auckland n'est pas la porte à côté et son
    père n'a jamais les pieds dans un avion, tout juste s'il saurait
    installer une chaussure à chacun de ses pieds alors…

  • Tout de même, j'ai fait, t'as
    vraiment dégoté le gros lot…

  • Tu peux le dire, parfois je me dis
    que je vais… elle a hésité.

  • Vais quoi?

J'ai haleté, pleine d'espoir. Et
d'inquiétude. Que deviendrait Aveline si elle se retrouvait vraiment
toute seule avec sa paire de?

  • Que je vais déménager… à
    Auckland… ça sera plus simple, au moins il sera à côté des
    filles.

  • Quoi? J'ai fait, paniquée.
    Aveline, que feras-tu à Auckland? Avec un chef de tribu hystérique
    et un père de paire de, absent?

  • T'inquiète! Je n'ai même pas de
    quoi payer le billet de mon chat avec ce qui me reste d'argent…
    une fois payé couches, lait, petits pots, ostéopathe (le crâne de
    Pomme), le kiné (les poumons de Prune), sage femme (mon périnée),
    toutes choses ignorées par les soldes, ahaha, il doit me rester à
    peine de quoi payer une fausse souris au chat… mais je vais devoir
    te laisser, Prune a viré rouge à force d'essayer de sortir de son
    siège, et le chat, qui est sur le départ, la regarde d'un air
    inquiétant… ciao!

Année 2010, année de la saucisse, je
me suis répété, cela signifiait, une bonne ou une mauvaise année?
Est-ce que c'était une saucisse d'or comme il y avait eu l'année du
cochon d'or pour les Chinois qui avaient pondu tout azimut parce que
ce signe là assurait à celui ou à celle naissant en son cours, la
fortune des fortunes?

Je suis rentrée dans le bureau,
recouvert de papiers noirâtres avec une Cadette qui soufflait dans
les poumons de Mike Giver, pas même déconfit d'avoir ainsi salopé
tous nos courriers qui traînaient.

  • Vous n'aviez qu'à les ranger,
    s'ils étaient si Importants! Il a protesté.

  • Parce que vous, si vous voyez un
    courrier sur un bureau, vous trouvez ça normal de vous essuyer les
    mains dessus hein? A hurlé la Cadette.

  • Ne le prenez pas sur ce ton! A
    beuglé le Mike en retour. Vous êtes bien contente d'avoir chaud à
    nouveau (12 degrés) et ne vous croyez pas supérieure sous prétexte
    que vous êtes une spirituelle quand moi je suis un manuel!

  • Mais ça n'a rien à voir! A
    protesté la Cadette très énervée.

  • Si!

  • Non!

Etc. J'ai réussi à lire sur un
post-il jaune vif émergeant du tas de courriers merdoyés, la
colonnette annule RV, pas utile si chef pas là…

Je me suis assise, mortifiée (et
soulagée). Année 2010, année de la saucisse, peut être, mais pas
franchement dorée me concernant.

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