Sainte Badinter, priez pour nous pauvres aliénées…

Ce jeudi matin (11 février), jour de Notre Dame de
Lorette, c'était la journée Elisabeth Badinter sur France inter.

Why? Me suis-je demandé. Serait-elle
morte? Apparemment non, puisqu'elle causait en direct dans le poste.
S'agissait-il alors de la future canonisation d'une des grandes
prêtresses du féminisme? Non plus (du moins, pas encore), car
renseignement pris, sainte Badinter était invitée parce qu'il y a
trente ans paraissait une de ses oeuvres phares, L'amour en plus,
qu'elle venait de faire paraître un nouvel ouvrage, Le conflit,
la femme et la mère.

Dans ce dernier ouvrage, il semblerait
que sainte Badinter analyse ce qui serait une guerre qui ne dit pas
son nom menée contre la femme, avec notamment le retour en force du
naturalisme (remise à l'honneur du concept d’instinct maternel et
éloge du sacrifice féminin), menaçant ainsi l'émancipation
toujours fragile de celle-ci et l’égalité des sexes toujours pas
super égale.


Pour lui tenir compagnie à l'antenne,
il y avait quelques autres prêtresses du féminisme, à savoir des
membres actifs de la presse féminine, comme Aveline Escarpin,
envoyée spéciale des défilés de mode pour le compte du magazine
Elle (mais qui n'a pas pu rester car un reportage à chaud l'appelait sur le terrain), et Maïté Vison, rédactrice en chef de Beauté
fatale
.

  • Ca me fait toujours marrer, a
    gloussé A en avalant bruyamment ses chocapic, quand pour parler de
    féminisme, on invite des journalistes de la presse féminine

  • Ah ouais? J'ai fait, un peu tendue
    par cette histoire de guerre larvée (A serait-il en plus du Syndic
    de la non muse et de Cléa Culpa, le nouvel Ennemi à combattre?).

  • Ben ouais… tu regardes les
    magazines de nos mères il y a trente ans, comment s'habiller,
    comment plaire à son petit mari, comment aménager son petit
    intérieur… et tu regardes Elle aujourd'hui, c'est la même
    chose… sauf que c'est devenu comment s'habiller sexe, comment se
    taper plein de mecs pour être une femme libérée, et comment
    aménager son appart façon mode et branchée, sauf que ça reste
    quand même un appart donc un petit intérieur…

  • Oui mais il y a des articles sur
    des femmes qui militent, qui travaillent, qui exercent les mêmes
    métiers que des hommes… j'ai argumenté.

  • Bull shit, a grommelé A.
    Si tu crois ça, c'est que t'es une aliénée comme disait hier le
    Legrand au sujet de la voilée de Besancenot…

  • Tu mélanges tout, j'ai protesté.

  • Il faut culpabiliser les
    politiques, a articulé à ce moment là férocement sainte Badinter
    dans le poste, il n'y a que comme ça que nous aurons des crèches
    supplémentaires, des congés maternité dignes de ce nom…

  • Bien dit! A glapi Cléa Culpa qui
    venait de se lever.

Elle avait encore raté son RER pour
aller tenir la caisse d'un hypermarché dans la zone commerciale de
Sarcelles, job que lui avait dégoté par piston son oncle de Sud
rail (j'avais du mal à voir la connexion mais bon, de toute façon,
Cléa Culpa avait raté le coche). Je voyais les pieds sales de la
non muse dépasser du canapé, j'avais pris ma journée, j'espérais
qu'elle allait faire la grasse matinée puis passer du temps à se
laver les pieds, vu leur état, ça me ferait bien deux heures en
tout d'écriture.

  • Les femmes en ont marre, a glapit
    à ce moment là une socio-témoin aux Etats Généraux de la Femme,
    les jeunes trentenaires n'en peuvent plus de cette pression qu'on
    exerce sur elles… pression pour qu'elles réussissent dans leur
    carrière, pression pour qu'elles aient des enfants, pression pour
    qu'elles allaitent, pression pour qu'elles n'utilisent leurs seins
    que d'un point de vue érotique, pression pour qu'elles prennent
    leur mercredi pour garder leurs mioches, pression pour qu'elles ne
    prennent surtout pas leur mercredi afin d'être productive les cinq
    jours de la semaine, pression pour qu'elles restent à la maison
    pour élever leurs enfants, pression pour qu'elles rapportent un
    salaire à la maison et pour qu'elles valorisent leur diplôme…

  • Et les ouvrières? A demandé d'un
    ton aigre Cléa Culpa.

  • Et les quadragénaires? J'ai
    demandé pour ma part.

  • … alors comment faire donc pour
    que les choses changent? A interrogé la socio-témoin.

  • Il faut culpabiliser les pères, a
    répondu aussitôt la Badinter, il n'y a que comme ça que ça
    marchera… les pères sont des hommes qui travaillent, des hommes
    qui font des lois, des hommes qui donc ont des enfants, il faut
    qu'ils comprennent au besoin par la culpabilisation qu'ils doivent
    soutenir leur femme, les femmes dans leur lutte, leur combat pour
    exister en tant que femme, en tant que mère…

  • Et les célibataires? J'ai
    demandé. C'est le troisième sexe, c'est ça?

  • Tu vas pas nous remettre ça, a
    grogné A, on parle des mères, célibataires ou non, faudrait voir
    à pas tout mélanger…

  • Nous allons faire une pause
    musicale, a annoncé à ce moment là la journaliste. Puis après,
    Jean-Louis Murat, nous écouterons le témoignage d'une combattante
    des droits de la femme, Maïté Vison, qui en tant que rédactrice
    en chef de Beauté fatale, aura sans doute beaucoup de choses à
    nous dire…

Et là, je dois dire que je me suis
intérieurement marrée. Pas à cause de madame Vison, mais à cause
de Jean-Louis Murat. En effet, j'avais lu un portrait de lui en
décembre dans Libé, où il
avait quand même eu
de ces phrases décisives du style, mais
qu'est-ce que c'est que ces couples où la femme travaille, c'est
quoi cette mode qui veut que la femme travaille au lieu d'élever ses
enfants, précisant que sa femme à lui, bien sûr, restait à
demeure pour élever ses deux niards.

  • Maïté Vison, vous avez été de
    tous les combats pour l'émancipation de la femme avec vos articles
    dans Beauté fatale… comment j'ai couché avec le frère de mon
    amant marié… comment j'ai dégoté aux champs un tailleur Dior
    soldé 3500 euros… céline dion, son combat pour élever seule son
    chien… ou bien encore, Bernadette Chirac, une femme qui se lève
    tôt… dites moi, Maïté Vison, avec de tels sujets, les
    conférences de rédaction doivent être agitées et vous devez
    recevoir des courriers de menaces de la part de ces rétrogrades et
    liberticides que sont les hommes…

  • Chaque matin quand je me lève, je
    ne sais pas si je serai vivante le soir, a confirmé d'un ton
    modeste Maïté Vison.

  • Pourriez-vous me donner un exemple
    type de débat musclé au sein du comité de rédaction?

  • Eh bien récemment, il y a eu…
    bas ou collants… que porte la femme véritablement libérée… et
    aussi, une discussion très âpre et très enrichissante sur le fait
    de savoir si une femme voilée était une aliénée ou une connasse
    masochiste… cette discussion a surgit au sujet la candidate de ce
    faux ami des femmes qu'est le postier de Neuilly sur seine et donc
    nous…

  • Ah venons en à celle-là!, l'a
    coupée Sainte Badinter, comment peut-on oser se dire femme libérée,
    combattante des droits de la femme et de l'humain, quand on se voile
    ainsi la face?! Non non non! Ce sont des comportements comme ceux-ci
    qui peu à peu instillent dans l'esprit des gens (les hommes) que la
    femme est un être inférieur et maléfique! Une femme voilée est
    une femme aliénée!!

  • Ce n'est donc pas une connasse
    masochiste? A poliment demandé la journaliste.

  • Si! A braillé Maïté Vison. Nous
    on avait dit que si!

Avec ce fol débat, la non muse s'était
réveillée et elle se tenait derrière mon ordinateur portable, son
bol de café équitable à la main. Elle m'a demandé si je
travaillais bien, je lui ai répondu que j'écoutais parler les
prêtresses du féminisme, surtout Maïté Vison, que je sentais que
ça allait m'inspirer.

  • Maïté Vison, elle m'a fait,
    c'est pas la nana qui pose quasi nue sur l'affiche de l'arrêt du
    102 en bas de chez nous?

  • Tu crois?! J'ai demandé en
    sursautant.

  • Ah nous avons en ligne le
    témoignage d'un homme qui se présente comme étant un ami des
    femmes et de la nature… allez y Patrick, nous vous écoutons…

  • Bonjour… voilà, je m'appelle
    Patrick, j'ai 32 ans, deux enfants et ma femme et moi sommes
    écologistes convaincus… aussi nous utilisons des couches lavables
    et j'ai été très choqué, madame Badiner, de vous entendre
    déclarer que c'était là une régression pour la femme…

  • Bien sûr que c'en est une! Votre
    femme utilise-t-elle en plus une coupelle de recueillement des
    menstrues? A demandé d'un ton sévère sainte Badinter.

  • Pardon? A sursauté le Patrick.

  • Non parce qu'en général, ça va
    avec… écoutez monsieur, j'ai vu toute mon enfance, ma mère laver
    des couches à genoux dans le ruisseau… moi-même je porte encore
    aux mains les stigmates du lavage des couches de mes propres
    enfants… alors, je vous en prie, laissez donc les jeunes femmes du
    deuxième millénaire utiliser des couches jetables, ce n'est pas ça
    qui va trouer la couche d'ozone!

  • Mais madame, a protesté le type,
    c'est moi qui lave les couches (bio), c'est moi qui fait les courses
    (bio), c'est moi qui prépare les repas (bio), moi encore qui donne
    le sein (bio) à notre petite dernière Cassiopée, et…

  • Monsieur, l'a coupé la Babeth, je
    vous félicite mais vous n'êtes absolument pas représentatif, vous
    êtes une micro exception et rien d'autre! Circulez!

De toute façon, je me suis dit in
peto
, un couple qui décide d'utiliser des couches lavables est
forcément un couple dont les deux parties sont prêtes à mettre la
main à la couche sale. Fallait pas qu'elle panique, sainte Badinter,
ça ne risquait pas d'être la Ghislaine au Robert qui allait se
mettre à utiliser des couches lavables.

  • Et concernant votre participation
    au capital de Publicis, a demandé ensuite la journaliste d'un ton
    embêté, vous vivez ça comment?

  • Je le vis très bien! A répondu
    sainte Badinter.

  • Mais comment dire… a insisté la
    journaliste mal à l'aise… cette entreprise est tout de même
    connue pour ses publicités un tantinet dégradantes pour l'image de
    la femme… telle cette ménagère qui fait ses carreaux nue ou
    cette femme qui mange un yaourt en position dit de la levrette…

  • Maïté Vison, nue à l'arrêt du
    102… a murmuré la non muse.

  • Taratata, a rétorqué sainte
    Badinter, ce ne sont pas les pubs qui font la société et donc
    l'image que l'on a de la femme, elles ne font que la reprendre au
    vol… c'est les hommes qu'il faut culpabiliser!

  • Euh comment ça? A demandé Maïté
    Vison qui devait se sentir un peu écartée.

  • Eh bien en leur faisant honte de
    ce que pour leur faire manger des yaourts, il faut qu'une femme soit
    nue et en posture dégradante… que pour les pousser à regarder au
    travers des vitres propres, il faut qu'une femme les ait astiquées
    nue sur son escabeau…

  • Ah oui je comprends, a fait la
    journaliste d'un ton soulagé.

  • Bon, c'est pas tout ça, a conclu
    sainte Badinter, il faut que j'y aille, j'ai les courses à faire
    et les chemises de Robert à repasser…

  • Non?! Ont presque de concert hurlé
    Maîté Vison et la journaliste.

  • C'est une blaque…a gloussé
    follement sainte Badinter. C'est juste que ma disciple et aliénée
    préférée Marie Chotek doit tout de même bosser un peu…

Je me suis frotté les oreilles.
Avais-je bien entendu? La non muse était partie se laver les pieds,
Cléa Culpa comptait ses bons promos, A était parti emmener le Zébu
chez sa nounou et moi, moi j'étais devant mon ordinateur devant une
magnifique page blanche (enfin gris bleu).

Je me suis sentie poussée aux fesses
par sainte Badinter, cette sorte de grande Simone en plus humaine et
incarnée. Une prêtresse du féminisme au sens complet du terme, je
me devais de le reconnaître mais qui, en vieillissant ou en raison
même de son combat, avait attrapé quelques rigidités dommageables pour cause de dogmatisme aigu,
fourrant ainsi dans le même sac écolos radicaux et écolos sincèrement
militants, femme voilée et femme forcément aliénée, sans oublier
sa désespérance de voir les femmes actuelles choisir parfois de
rester à la maison avec leurs enfants en bas âge plutôt que de
garder un emploi, ce passeport de leur liberté… sans s'interroger plus avant sur le sens que revêtait ou non ce travail dans leur vie.

Je me suis dit qu'il fallait vraiment
que je me mette à écrire sérieusement, mon petit combat de la
femme à moi était là. Et j'ai commencé cette journée de travail par lui tailler un joli
petit tailleur Chanel…

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