Sauve qui peut, Quasimodo arrive!

La semaine commençait plutôt bien.
Des sièges libres dans des métros à l'heure, du soleil, des feux
rouges quand j'arrivais aux passages piéton, ce qui fait que j'ai
franchi la porte du Syndic avec à peine 7 minutes de retard sur mon
horaire déclaré. Le bureau était vide, une odeur de chaussettes
mortes par auto-asphyxie y planait, ainsi qu'une température de 25
degrés environ (Ergépépé peut être mais on ne mégotait pas sur
le chauffage) et il y avait ce silence du début de matinée qui est
le meilleur moment de la journée en communauté de bureau.

Puis ensuite, la Cadette est arrivée,
de mauvais poil (rhume des foins et oreiller allergène), puis
Bécassine, encore de plus mauvais poil (avion pour Rome pris
d'assaut par une armée de curés ritals sans foi ni loi car restés
bloqués plusieurs jours à Paris pour cause de nuage volcanique,
obligeant ainsi Bécassine à renoncer à aller s'acheter des
chaussures piazza Navona pour se rabattre sur la place Vendôme, une
modeste paire de boucles d'oreille en forme d'escarpins à 3000 €).

A peine installée derrière son bureau
(soit une heure plus tard, entre le pipi, le café, la cigarette au
foin mentholé avec les tabageux dans la cour, le re-pipi, le
re-café…), elle nous a lancé :


  • Les filles, bad niouze verrrrry
    bad niouze… mister Président débarque en fin de semaine, et
    j'aime mieux vous dire, fi-nie la rigolade!

Comme si on rigolait follement.

  • Qui ça? J'ai demandé, blasée.

  • Le nouveau président! A presque
    crié Bécassine. Colosimo! Le cerbère de l'Eglise ultra-orthodoxe
    de Notre-Dame-de-Serbie!

  • Qu'est-ce qu'il vient foutre ici
    alors? J'ai platement demandé.

  • Détruire, dit-il… a marmonné
    la Cadette.

  • Eh bien… a commencé Bécassine.
    J'ai ouïe entendu parler qu'étant un ami intime de Pat Bosquet, le
    conseiller culturel de notre Président à tout le monde… Nicolas
    Ier…

  • Merci de préciser… a grincé la
    Cadette, décidément très mal lunée.

  • … ce dernier… Pat Bosquet…
    aurait glissé à Nicolas que son grand ami et intellectuel ultra
    cérébral et certes radical, aimerait bien, et même beaucoup,
    enfin si cela était possible oh oui, devenir grand Chef du
    Syndic…

  • Mais pourquoi donc? J'ai encore
    insisté.

  • Ecoute Mimi, tu lui demanderas
    toi-même quand il fera la tournée des bureaux!

M'a répliqué sans tendresse
Bécassine, avant que de refermer violemment la porte de son bureau.

  • J'ai lu quelque part, a commencé
    la Cadette, un article de Colissimo qui parlait de la France
    d'après-guerre en la qualifiant de France utérine…

  • C'est à dire? J'ai demandé, un
    brin alarmée.

  • Eh bien… une France qui ne
    pensait qu'à écarter les jambes et à se reproduire…

  • Charmant…

  • Les
    fiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiilles! On est
    foutuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuues!

Ca, c'était Claudie van der Truyot qui
venait de pénétrer dans notre bureau.

  • Euh ça va? Je lui ai demandé.

  • Comment pourrait-on aller bien…
    quand on apprend le lundi que jeudi matin, le bourreau sera dans nos
    murs… Quasimodo… le Serbe fou…

  • Euh tu n'exagères pas un peu?
    J'ai questionné, un gros brin alarmée maintenant.

  • Si peu… Depuis la semaine
    dernière, depuis que l'on sait que le décret de nomination va être
    signé par Eric Besson le pantalon…

  • Eric Besson le pantalon, qu'est-ce
    qui vient foutre là celui-là? J'ai blatéré.

  • … un autre ami intime de Pat
    Bosquet… mais qu'importe… ce que je veux dire c'est que depuis
    la semaine dernière je reçois des messages de condoléances de la
    part des éditeurs ayant eu pour leur malheur affaire à lui… et qui
    se sont même cotisés, c'est dire quand on voit leur atavique
    pingrerie, pour me faire porter une couronne mortuaire et une boîte
    de prozac…

  • Ils forcent un peu le trait, non?
    J'ai demandé, carrément paniquée.

  • Oh si peu… je vous laisse les
    filles, je dois écrire mon testament d'ici jeudi matin…

Et sur ce, Claudie, l'inoxydable et
détonante Claudie, la seule qui lors de l'écroulement des tours du
World Trade Center avait continué à gratter sa grille de loto en
racontant celle du mec qui en avait trois (tours), est repartie avec,
dans la silhouette, l'allure accablée de la future candidate au
bûcher.

Plus tard, à la cantine, alors qu'on
attaquait nos frites, soeur Sourire, qui était entre deux
dépressions nerveuses, ne nous a pas franchement remonté le moral.

  • J'ai eu ce matin au téléphone une chercheuse en sciences
    socio-théologiques du CRS… Cérélesfesses… enfin bref, le truc
    donc il vient, Quasimodo…

  • CNRS… a grincé la Cadette.

  • Ah oui ça doit être ça… eh bien, elle m'a
    assuré que lors d'une conférence intitulée, La trinité en
    lévitation, info ou intox?
    , Quasimodo avait exigé que les
    femmes assises au premier rang, aillent s'asseoir au fond de la
    salle, au motif « qu'il ne pouvait supporter cette odeur de
    menstrues alors qu'il était en train d'analyser le rapport délicat
    unissant le fils à l'Esprit saint dans le Père céleste »…
    enfin un truc de ce genre…

  • Et alors? J'ai fait, l'appétit
    soudain coupé.

  • Et alors quoi? A rétorqué soeur
    Sourire en remontant d'un doigt ses lunettes à une seule branche
    sur le front.

  • Elles ont été s'asseoir au fond?
    J'ai demandé.

  • C'est vraiment important de savoir
    ça?! A glapit la Cadette.

  • Ben oui… j'ai protesté. Ça
    détermine un peu notre avenir à nous tu vois…

  • Eh bien moi, j'ai lu dans la Croix
    de bois, a émis Cassandra Portelapoisse qui venait d'arriver avec
    son plateau, que Quasimodo avait largué les Jésuites parce qu'il
    les trouvait bien trop à la cool… en tout cas, manquant
    sérieusement d'esprit transcendantal… au point qu'il s'est finalement
    tourné vers l'Eglise ultra-orthodoxe, avec messe célébrée en
    cyrillique et dos tourné aux patients…

  • … croyants… j'ai
    mécaniquement corrigé.

  • … surtout si c'est des
    patientes… et aussi, j'ai lu qu'il a une certaine admiration
    certaine pour ce grand peuple orthodoxe qu'est la Russie mais aussi
    la Serbie… au point que dans certains hauts lieux, on le surnomme
    le Tchetnik français…

  • Non?!

  • Si…

J'ai eu la vision de fonctionnaires
égorgés jetés en tas dans la cour du Syndic avant que d'être
brulés sur un bûcher allumé par un vacataire recruté à cet
effet, tandis que Qasimodo, le crâne tondu et l'oeil draculesque,
embrasserait la scène en en brandissant une énorme croix sculptée
dans un style belgrado-moscovite en lançant aux rares rescapés des
imprécations aussi mortifères que transcendantales.

Bon, en même temps, me suis-je
rassurée, Cassandra Portelapoisse était une sorte de membrane molle
qui diffusait parfois des nouvelles aussi extravagantes que fausses.
Parfois. La Cadette a finit son pot de yaourt d'un air dégoûté
puis elle a quitté la table, sans un mot.

  • Ben dis, elle est pas très cool,
    ta collègue de coeur… a fait remarquer d'un ton pincé Cassandra
    Portelapoisse.

  • De bureau… j'ai corrigé et j'ai
    ajouté, c'est toutes ces histoires autour de Quasimodo… ça la
    rend nerveuse… son contrat se finit quand même à la fin de
    l'année tu vois…

  • Ohla la pauvre, elle est cuite! A
    aussitôt rétorqué la Portelapoisse d'un air enjoué. Il paraît
    que Quasimodo a toute une clique de pratiquants serbo-orthodoxes,
    pour certains ex criminels de guerre en Bosse… euh Bouanie…
    enfin tu sais la guerre…

  • Bosnie, j'ai fait.

  • Oui c'est ça! Eh bien, il a toute
    une clique à placer, du standard au poste de secrétaire général…
    à ce propos, les jours de la Colonette seraient comptés!

  • Ah bon?

  • Oui… figure toi qu'elle aurait à
    ses yeux trois énormes tares!

  • Lesquelles?

  • Elle est femme, vélocipédiste et
    corso-agnostique! Le genre qu'il ne peut absolument pas
    encadrer, m'a dit une chercheuse en priérologie, qui connaît bien
    Quasimodo pour avoir fait avec lui le pèlerinage sur la tombe de
    Milosandwich histoire de fêter le master of devinity qu'il venait de décrocher aux
    States…

  • Milsosevic, j'ai mécaniquement
    corrigé car je n'y étais plus.

Puis je me suis levée, la vie de
bureau continuait après tout bon sang. Je suis rentrée au Syndic où
l'on m'a annoncé que trois tentatives de suicide avaient eu lieu,
que la Colonette était partie se recueillir dans le maquis corse, on
l'aurait vue partir en courant et en hurlant, le décret a été
signé, aux abris, l'Ensoutané arrive! Ce qui donc, aurait conduit
trois collègues à s'asseoir sur le rebord de la fenêtre de leur
bureau en menaçant de sauter.

Dans les couloirs, régnait une sorte
de morne hystérie. Les agents du Syndic préparaient leurs effets,
prêts à prendre le chemin de l'exil si jamais Quasimodo se lançait
dans une purification bureaucratique, car mieux valait encore garder
la vie sauve qu'un emploi à vie, et moi, moi j'ai rangé mon bureau,
passé l'encaustique, vidé ma boîte mails car moi, figurez-vous, je
partais le lendemain me ioder l'organisme en Bretagne, en compagnie
du Zébulon et de A, en laissant, je l'espérais bien, ma non muse et
sa clique à elle, à Montreuil city.

On verrait bien dans dix jours ce que
je trouverais en rentrant, j'aurais peut-être après tout dégoté
un emploi de marinière ou de crêpière dans le 2-2 et ni le
Quasimodo ni le Syndic n'aurait alors ma peau, et toc.

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