Je m’ennuie déjà

A
fait écrire sur sa tombe la mère de Sophie Calle, Rachel Monique
Szyndler, Calle, Pagliero, Gonthier, Sindler (qui se rechignait pas
par ailleurs à se faire passer, dans sa jeunesse, pour Ava Gardner).
« Sa vie n'apparaissait pas dans mon travail. Ça l'agaçait. »
écrit Sophie Calle. « Quand j'ai posé ma caméra au pied du
lit dans lequel elle agonisait, parce que je craignais qu'elle
n'expire en mon absence, alors que je voulais être là, entendre son
dernier mot, elle s'est exclamée : "Enfin". »

Et
au vu de cette installation, voilà une mère que Sophie Calle, la
fofolle, peut difficilement renier, les chattes, gentiment
extravagantes et passablement délirantes, ne faisant décidément
pas des petites souris, timides et timorées.

Jugez
en plutôt… Déjà, Sophie enterre maman Calle à la mode tribale,
à savoir accompagnée d'une foultitude de petits objets-clins
d'oeil, qui donnent déjà une idée de ce qu'était cette mère :
des bonbons (elle s'en goinfrait), des photos de « l'homme de
sa vie, de ses amis, de ses enfants, de ses maris et de quelques
amants… », une vache en caoutchouc (elle les collectionnait),
un CD de Mozart qu'elle écoutait en boucle à la fin de sa vie, un
Que sais-je? de Spinoza qu'elle avait entrepris d'étudier le dernier
mois de son existence, une photo du pôle nord (elle rêvait d'y
aller)…

Au
pôle nord, Sophie sa fille s'y est plus tard rendue, saisissant
l'opportunité d'une croisière où elle était invitée. Elle
voulait y enterrer, à l'extrême pôle, une photo de sa mère et…
un diamant (et si on n'arrivait pas à accoster? S'inquiète la
Sophie. Tu n'auras qu'à le mettre dans les toilettes et tirer la
chasse, lui conseille une amie). Cette pierre précieuse, elle la
tient de son grand-père, juif, qui l'avait reçue en échange de sa
maison à Grenoble qu'il craignait de voir saisie durant la seconde
guerre mondiale. Sophie Calle réussit finalement à accoster à
l'extrême pôle et enterre donc sur la banquise le précieux bijou,
imaginant avec délectation les spéculations sur les rites inuit des
chercheurs du futur quand ils retrouveront ce bijou éjecté par la
fonte des glaces…

Mais
avant que sa mère ne meure, elle en a aussi filmé les derniers
instants, 11 minutes exactement que l'on peut voir dans cette
installation, laps de temps durant lequel, dit-elle, elle n'a pas su
si sa mère était morte ou pas (ma mère est morte le 15 mars 2006
quelque part entre 15 h 04 et 15 h 15), et si elle doit donc mettre
du Mozart conformément à sa volonté (tu mettras du Mozart dès que
je serai morte). Sa mère qui déclarait ne pas vouloir mourir,
remarquant que c'était bien la première fois de sa vie qu'elle n'était
pas impatiente et qui, sur son lit de morte, a néanmoins cet air
paisible que l'on voit à ceux et celles qui sont partis sans se
débattre, comme sagement résignés (peut-on supposer).

Auparavant
encore, Sophie Calle, début 2006, se sera rendue à Lourdes suivant
en cela les ordres des cartes tirée par une voyante consultée en
désespoir de cause (les cartes indiquent des montagnes, par
élimination, les Pyrénées, Lourdes plus exactement, mais Lourdes n'est pas dans les
Pyrénées, proteste Sophie Calle, la voyante sort son atlas,
Lourdes, département des hautes Pyrénées, et en avant pour Lourdes
donc). Elle espère trouver à Lourdes une apparition (?), mais dit
être à la recherche d'une idée (??). Elle quête les signes, tel
cet hôtel Monique, fausse piste, et cette rencontre avec le père
Périer dont elle espère on ne sait trop quoi (Périer, comme l'eau
minérale, lui dit la personne qui lui a conseillé de le rencontrer,
vous verrez, c'est un homme qui a du peps…), plutôt énigmatique,
le curé, à la mode gourou obscur et pénétré.

Elle
se rend aussi à la fameuse grotte. Comment dois-je m'adresser à la
Vierge s'inquiète-t-elle, chère vierge, chère mademoiselle, lui
suggère son amie Florence Aubenas qui, note-t-elle, après avoir
disparue, a réapparu alors que sa mère s'apprête maintenant à
disparaître. Sophie Calle dans la grotte s'efforce de prier, une
longue demie heure, une main posée sur la statue (un moment « pas
désagréable en soi »), environnée de pèlerins extatiques ou
pénétrés. Elle se rend ensuite au bureau des guérisons « où
exerce le seul médecin au monde qui ne guérit pas mais constate les
guérisons ». 67 maladies répertoriées au total, sauf, hélas,
le cancer du sein dont souffre sa mère.

De
retour à sa petite chambre d'hôtel, elle appelle sa voyante, que
dois-je faire maintenant? Rentrez immédiatement! Lui ordonne sa
madame Soleil, les cartes sont formelles, on pourrait bien vous
retrouver violée et coupée en petits morceaux dans votre chambre
d'hôtel…

Sophie
Calle enterrera finalement sa mère deux mois plus tard, et lui rend maintenant ce drôle d'hommage très dans l'esprit Calle, mère
et fille. Une douce ironie, un air de ne pas y toucher, du fantasque
où l'on suit des rencontres de hasard ou les ordres données par des
cartes de tarot, tout ça sur un fond un peu glauque (filmer sa mère
morte, par exemple) qui passe, grâce à la magie Calle, sans souci.
Le dernier mot en définitive de Rachel, Monique… (« Ne vous
faites pas de souci »).

 

Rachel,
Monique,
installation de Sophie Calle dans les sous-sols glauques
du Palais de Tokyo, jusqu'au 28 novembre (plus que 5 jours!)

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