Résolues

A
y est. Les fêtes sont passées et derrière elles, flottent encore
dans l'air les plumes des dindes et oies sacrifiées tout ça parce
qu'il y a 2011 années naissait un bébé que ses parents appelèrent
Jésus.

Zébulon
a eu sa première vraie visite de père Noël. Incroyable comme un
enfant ne demande (parfois) qu'à croire ce qu'on lui raconte, allant
même, quand on gaffe, jusqu'à rendre à César ce qui n'est
pourtant pas à lui…

  • Mais
    non maman, c'est pas mamie qui m'a donné les légos, c'est le père
    Noël!

On
me fera remarquer que c'est plutôt sain, tant il est tellement plus
magique de croire que c'est un gros bonhomme blanc et rouge venu du
pôle nord qui vous apportent vos jouets plutôt que votre mère qui
aura pesté à la caisse de superjoujouclub (½ heure d'attente) puis
sué à les rapporter jusqu'à son quatrième étage avant que d'en
massacrer la présentation avec des paquets cadeaux mal fichus parce
que pas assez de papier, pas le temps, etc.

En
bref, qu'il faut vraiment avoir sombré profondément dans la société
de consommation pour ne plus croire au père Noël.

Le
Zébu a ensuite absolument tenu à emporter son lecteur CD chez
Aveline, ce qui n'était pas idiot remarquez car sa mère avait
emporté tous les appareils électroniques par peur des
court-circuits (elle aussi avait peut-être lu Nos étoiles ont
filé
…), et on n'a pas été mécontents d'avoir un peu de
musique pour égayer la veillée du premier de l'an, même si c'était
Jean petit qui danse ou La baleine bleue cherchait de l'eau.

  • Tu
    te rends compte, Aveline m'a fait en englobant d'un geste large les
    biberons sales sur la table, les paquets de couches à moitié
    éventrés, les jouets dans tous les coins, les croûtes de pain
    sous la table, etc etc, tout le chemin parcouru…

  • Sûr…
    j'ai admis.

  • Qui
    aurait cru il y a seulement 5 ans que nous nous retrouverions à
    passer le nouvel an en quasi couple avec des enfants qui seraient à
    nous, vraiment à nous, avec pour fond sonore Jean petit qui danse
    et la Baleine, obligées de boire du café pour tenir éveillées
    jusqu'à minuit?! Quel miracle!

  • Ah
    ça, tu peux le dire…

Miracle
ou pas, A était couché avec une gastro carabinée, lui qui, en tant
que végétarien, pensait légitimement y échapper quand nous, les
bouffeurs de foie gras, nous en étions sortis la panse indemne, et
Peter, le semi-maori, était retenu à Auckland par un « important
besoin de solitude pour faire le point ». Ce qui fait que nous
étions d'une certaine façon célibataires pour ce nouvel an, même
si, par miracle comme dirait Aveline, je ne l'étais pas en vrai au
contraire d'Aveline à qui sa mère avait d'ailleurs tenu à
présenter un chasseur veuf de la région en l'invitant à un brunch
post-christmas juste avant qu'elle (la mère) ne parte rejoindre son
quatrième mari sur les pistes de Morb' (Morbier les Marais) dans le
Jura.

  • En
    2011, a fait Aveline en chopant sa tasse café contre la mienne, je
    prends la résolution de rompre définitivement avec le père de mes
    filles s'il ne se décide pas à franchir le pas en ne prenant plus
    qu'un aller simple pour la France…

  • Ok,
    j'ai fait à mon tour. Tu as raison…

Et
en espérant qu'il ne prenne pas dans la foulée, saisi de remords,
un retour pour la Nouvelle Zélande.

  • Ce
    serait bien son genre, a admis Aveline, alors je vais être plus
    précise… qu'il verse six mois de loyer à Paris, qu'importe la
    surface, jette son passeport à la Seine et examine de plus près
    les différences entre un PACS et un mariage… non pas que je
    tienne à légaliser ce fatras qu'est notre histoire mais ça serait
    une foutue preuve de stabilisation non?

  • Sûr,
    j'ai encore répliqué en avalant un peu de mon café, et ensuite?

  • Ensuite
    quoi?

  • Eh
    bien… quelle autre résolution?

  • Eh
    bien… a fait Aveline, trouver enfin un vrai travail je suppose…
    un emploi stable… encore que, entre nous soit dit, s'il n'y avait
    pas le problème de l'argent, je me passerai bien de cette forme de
    stabilité là…

Heureusement
que ma mère et tante Babe étaient loin loin loin…

  • Même
    si en fait, a repris Aveline, ce n'est pas tant le travail qui me
    gêne, j'aime travailler mais…

  • Je
    n'aime pas être enfermée dans un bureau, avoir des horaires fixes,
    des collègues douteux, le genre à qui on pourrait presque se
    confier (j'aime boire du vin chaud le soir dans mon lit) et qui en
    fait intriguent dans votre dos pour eux et contre vous, je n'aime
    pas non plus les réunions où l'on ne vous écoute jamais si vous
    n'êtes pas l'animal dominant… j'ai poursuivi.

  • Je
    n'aime pas non plus devoir aligner toute la sainte journée des
    données, devoir me dépêcher follement pour rendre un travail qui
    restera à pourrir dix ans sur le bureau de la
    personne-très-pressée-et-très-supérieure…


  • ni n'avoir le
    choix qu'entre slide et tableur pour occuper mes jours et donner un
    sens à ma vie! J'ai presque jappé.

  • En
    bref, a conclu Aveline, faisons le voeu de trouver du travail et du
    travail qui nous plaise et nous épanouisse! Bon, il est quelle
    heure ma vieille?

  • 23
    h 30, j'ai répondu.

  • Encore
    une demie heure, seigneur, je meure de fatigue… tiens, je fais le
    vœu de ne plus prendre Pomme dans mon lit la nuit quand elle se
    réveille, dussè-je la laisser hurler jusqu'à l'extinction des
    réverbères!

A
ce moment là, on a entendu la sirène caractéristique de la Pomme
s'éveillant après ses trois premières heures de sommeil et
attendant que sa pauvre mère émerge de son sommeil pour la cueillir
et la fourrer avec elle dans son lit où elle dormirait pas à coups, reléguée sur le bord du lit par les membres très actifs de sa fille. On a continué à discuter
comme si de rien n'était, la Zouflette dormait à mes pieds dans son
panier, avec son air de perpétuelle bienheureuse, son frère
ronflait aux côtés de son père, enfin je l'espérais car il
n'était pas rare de le retrouver à des minuit et quelques lisant
sous ses draps Proust ou Angot à la lampe de poche (à même pas 3 ans!!).
Mais à 23 h 46, on ne s'entendait plus causer tellement Pomme
braillait.

  • Bon,
    j'y vais, a lâché Aveline dans un gros soupir, je commencerai à
    sévir demain…

Quand
elle est revenue, Pomme sous le bras, elle m'a demandé :

  • Il
    faut aussi que je rajoute comme voeu celui que mes filles mangent à
    nouveau normalement et non plus comme des anorexiques doublées de
    grévistes hystériques de la faim… et toi, quelles sont tes
    résolutions pour l'an 11?

  • eh
    bien… j'ai intensément réfléchi… des tas de résolutions se
    bousculaient sous mes cheveux, c'est à dire dans ce lieu quelque
    peu ramolli qu'était (devenu?) mon cerveau depuis qu'il n'avait
    droit qu'à des nuits tronquées et des exercices mentaux du style
    quoi acheter quoi manger quoi nettoyer.

  • Alors…?
    Elle a insisté en berçant frénétiquement Pomme.

  • Bon
    eh bien déjà, je fais la résolution de…

Trouver
un boulot ailleurs qu'au Syndicat du crime ès livres

Un
temps partiel dans le sud qui ne transforme pas ma cervelle en
vieille éponge d'évier

Finir
mon recueil de nouvelles

Ecrire
un court roman puisqu'il n'y a que ça qui marche

Refaire
du sport, piscine un jour par semaine, une heure de marche par jour

M'inscrire
à une activité à la Maison pop derrière la maison

Ne
plus me laisser…

  • Ohla
    je t'arrête! M'a coupé Aveline. Il est minuit, bussi bussi et au
    lit! Bonne année Mimi, je te souhaite aussi la santé, tu avais
    oublié ça tiens, que vous laissiez enfin tous ces miasmes derrière
    vous!

  • Bonne
    année à toi aussi Aveline! Que tu la finisses en bonne compagnie,
    Peter ou un autre, et que tes mouflettes l'adoptent (si c'est un
    autre) sans faire d'histoire, qu'elles mangent à nouveau, que tu
    trouves le travail de ta..

  • Hop
    suffit, la bise Mimi et au lit! Je n'en peux plus!

On
s'est donc claqué la bise rituelle dans la cuisine que la mère
d'Aveline avait retapée sur le mode champêtre-pour-gens-de-la-ville
et nous sommes parties nous pieuter. Moi j'avais au moins la chance
de retrouver un lit chaud du corps d'un homme (certes fourni avec ses
ronflements) quand Aveline, elle, devait partager sa couche avec
Pomme qui à peine rangée dans son lit cage s'était mise à hurler.

Le
lendemain, le Zébulon s'est levé avec une fièvre de cheval, il a
vomi sur nos pieds puis il a passé sa journée au lit à écouter la
Baleine bleue et Barbababor en boucle, picorant des grains de riz aux
repas, gémissant dès qu'on lui demandait de faire quelque chose
d'autre que d'écouter ses cd, tandis que les filles d'Aveline ont
continué pour leur part à bouder leurs assiettes, pleurs et
grincements de dents, Aveline multipliant les offres de concessions
façon danse du sceptre autour de Laurent Gbagbo : des morceaux, pas
de morceaux, des pâtes, du riz, chaud, pas chaud… pour finalement
après 2 heures 34 de combat, céder au chantage en leur donnant ce
qu'elles voulaient : fromage et laitages.

  • Au
    moins elles mangent quelque chose, elle a constaté d'un air
    coupable, dès fois, c'est rien de rien…

Dans
le cadre de mon programme sportif, j'ai voulu aller faire ma marche
mais la Zouflette a réclamé son biberon puis les bras. Après il
faisait nuit et c'était l'heure des bains pyjamas dîners. De toute
façon je me sentais dans la peau de Liliane Bettencourt après un
repas de famille, à savoir profondément éreintée. En matière de
dîner, A a plaisamment suggéré à Aveline la perfusion pour ses
filles, ah bon tu crois? Elle lui a fait d'un air hagard, troublée
qu'elle était par cette étonnante grève de la faim.

Puis
nous sommes rentrés à Montreuil et, rapport aux résolutions, malgré la couleur du ciel, la
tessiture de l'air, les miasmes de l'un, les nuits de l'autre, l'état
de moi, je me suis juré de m'y mettre dès le lendemain. Résolument.

Leave a Reply