Faut-il manger les animaux? 1

Se
demandent Jonathan Safran Foer dans son dernier livre (Faut-il manger les animaux? L'Olivier, 2011), un essai sur
la question du végétarisme, et A qui, de son côté (tout comme le
jeune auteur américain), a trouvé sa réponse, à défaut de La
réponse : non.

Si
je peux me nourrir sans tuer aucun être vivant, explique A, alors je
me dois de le faire. Il ajoutera bien volontiers que c'est là simple
affaire de conscience personnelle et que chacun fait ce qu'il veut,
même si, de fait, il convient de noter que la Planète tend à être
sérieusement mise en danger par notre mode de vie, à nous les pays
riches, notamment en raison de notre alimentation reposant sur
l'ingurgitation massive de protéines animales.

A,
tout comme Jonathan Safran Foer, ne compte plus le nombre de fois où
le simple faire de dire, je suis végétarien, enclenchait
automatiquement une volonté de le prendre en défaut (tu ne manges
pas de viande, mais tu portes des converse faites en Chine hein!) ou
de trouver une faille dans une argumentation qu'il n'avait pas même
cherché à développer.

A,
tout comme Joanthan Safran Foer, ne compte plus le nombre de fois
également où il a dû rassurer son interlocuteur (oui il existe des
protéines autres qu'animales et oui elles peuvent les remplacer). Le
nombre de fois où il a dû expliquer que non, le soja cultivé au
Brésil, véritable désastre écologique et agricole, ne l'était
pas pour nourrir des végétariens égocentriques et obtus, mais bien
plutôt les animaux que les omnivores que nous sommes,
majoritairement, consommeraient par la suite. Sans oublier le nombre
de fois où, chiffres à l'appui, il a pu démontrer à un conducteur
de 4×4 ou même de 4L, qu'il trouait finalement moins la couche
d'ozone que la tranche de viande dans son assiette ne l'avait fait
quand la dite tranche était un boeuf vivant qui pétait toute la
sainte journée (l'élevage est 40% fois plus responsable de l'effet
de serre que les automobiles, ça laisse rêveur non?).

Moi-même,
avant que A ne devienne végétarien, et au début où il l'était,
j'ai fait preuve d'intolérance, et d'ignorance. J'ignorais tout
simplement que la façon dont je mangeais n'était pas naturelle.
Elle m'avait été transmise par mon éducation, ma famille, ma
société. Que ce soit à la cantine scolaire ou d'entreprise, chez
ses parents ou chez des amis, au restaurant, tout le monde doit
manger à l'identique en une forme de laïcité du tube digestif,
avec juste quelques exceptions (parfois) mais uniquement concernant
les régimes alimentaires des religieux et des allergiques.

J'ignorais
aussi parfaitement la provenance de ce que je mangeais, au sens le
plus concret qui soit, et pire encore, je ne me posais même pas la
question. Je ne parle pas des engrais, pesticides et tout autre
composant chimique enrobant nos fruits et légumes mais de la façon
dont notre nourriture quotidienne est produite, plus exactement, de
quelles façons, par exemple, on fait passer l'animal de l'état
d'être vivant à l'état de viande morte. Si on se rend dans des
fermes pour y cueillir la pomme ou la patate, jamais on ne se rendra
dans un abattoir tuer de sa propre main le veau qui finira dans son
assiette. D'une certaine façon, c'est un peu comme les ordures, une
fois descendues à la poubelle, on est dans la plus complète
ignorance de ce qu'elles deviennent. Caché. Honteux. Passez votre
chemin…

Si
vous lisez cet essai, il y a des chances que vous vous posiez la même
question que moi : ne vais-je pas devenir finalement végétarienne à
l'instar de Jonathan Safran Foer et de A? Le pire n'étant même plus
la question de la mise à mort des animaux (atroce, entre les
poissons laissés agonisant sur un tas de glace, estropiés par les
filets de pèche, les 5 à 10% de ratés dans la mise à mort des
porcs, poulets et autres bestioles achevés à la main ou laissés de
même agonisant…) mais la façon dont ils sont élevés, c'est à
dire leur vie avant la mort, puisque 99% de l'élevage aux USA est
industriel. Ce qui donne des animaux génétiquement modifiés,
incapables de marcher parfois, de voler (les dindes), de se
reproduire, bourrés d'antibiotiques pour pallier à un système
immunitaire déficient, enfermés dans des hangars plongés dans le
noir ou au contraire éclairés 24 h sur 24 pour les poules
(accélérer le rythme de la ponte), etc etc.

C'est
bien simple, à lire son enquête, on se dit que rien que pour sauver
sa propre vie, à défaut de celle des bestiaux, il conviendrait
de devenir de toute urgence végétarien…

Quoi
manger, c'est toute une histoire. De même nous nous racontons des
histoires sur tout, écrit Jonathan Safran Foer, nous nous racontons
des histoires sur la nourriture. Sa grand-mère, juive, qui a failli
mourir de faim durant la seconde guerre mondiale alors qu'elle fuyait
à travers Ukraine et qui a survécu en mangeant des racines ou les
détritus des autres, l'a nourri de ses récits en même temps que de
de son légendaire poulet aux carottes, le meilleur au monde qui soit
(puisque, dit-il, c'était le sien, celui de notre grand-mère qui
avait failli mourir de faim etc etc). Décider que mon fils sera
végétarien, explique-t-il, ce sera le priver d'une partie du roman
familial, le poulet aux carottes de l'arrière grand-mère, et ce
sera aussi écrire un nouveau roman familial, une nouvelle histoire
sur la nourriture chez les Foer.

 Mais après tout, les histoires, outre que ce n'est pas naturel, sont faites pour être réécrites ou écrites autrement… Qui a dit que l'humanité devait continuer à manger de la viande sous le prétexte qu'elle a toujours fait comme ça, ou plutôt, s'est mise un jour à faire comme à ça?

Mais
revenons à A. Je vous livre en vrac le genre de réactions que
suscite son régime alimentaire et celui de son fils puisque j'ai
admis que Zébulon serait primitivement végétarien et qu'ensuite,
il déciderait de ce qu'il ferait. Même moi qui ne suis pas
végétarienne et qui aime manger de la viande, j'arrive à être
confondue par cette forme d'obscurantisme sûr de lui dont font
preuve des gens en général intelligents, cultivés, voire, qui plus
est, ouverts d'esprit.

  • Je
    trouve ça gênant que vous décidiez pour Zébulon… qu'il soit
    obligé de devenir végétarien. C'est un peu… idéologique non?

Comme
si on ne décidait pas toujours du régime alimentaire de ses
enfants. Comme si on ne décidait pas qu'ils vont manger de la viande
au même titre que l'on va décider qu'ils n'en mangeront pas. Comme
si tout ce qui a trait à ce qui n'est pas naturel, soit 95% de notre
quotidien, n'était pas idéologique. Et ceci dit, en
dehors de tout jugement de valeur.

  • Oui
    mais la viande, c'est indispensable pour être en bonne santé! J'ai
    lu un article sur un couple à qui on avait retiré leur enfant car
    ils étaient végétaliens* et l'enfant présentait de graves
    carences alimentaires!

Outre
qu'un cas particulier ne fait pas une généralité, leur aurait-on
retiré leur mouflet si ce dernier avait été rendu obèse par
l'ingurgitation excessive de steaks, de glaces et de barres
chocolatées engouffrées heure après heure devant son écran télé?
Je suis sûre que non. Quant à la bonne santé… oui, c'est un
souci effectivement, même si les végétariens comme les végétaliens
d'ailleurs n'ont pas trop de mal à compenser les protéines animales
par des protéines végétales, leur principal problème résidant
dans les carences en fer. Qui sont presque tout autant le problème
des omnivores.

  • Ah
    mais on ne va tout de même pas manger que des carottes! On n'est
    pas fait pour ça!

Comme
si être végétarien se résumait à ne manger que des légumes. Les
Américains, note Jonathan Safran Foer, ne mangent que 0,25% des
denrées comestibles de la Planète, et par « Les Américains »
on peut supposer qu'il entend les Américains omnivores, ceux qui
mangent de tout et donc de la viande. Ceux qui ne se contentent pas
de manger des carottes. Ceux qui ont une large palette de choix.

  • Oui
    mais la viande, tout le monde en mange! Là vous lui imposez un
    choix minoritaire!

La
raison, on la reconnaît facilement, c'est ce qu'exprime et fait La
majorité. Ainsi, si La majorité décide qu'il est bon de manger de
la viande de bêtes élevées dans 430m2, soit moins qu'une feuille
A4, de couper les dents des porcs qui, comme ça, ne se dévoreront
plus mutuellement les oreilles ou la queue, c'est elle qui a raison.
Et encore, question majorité, par souci de ne pas envenimer le
débat, j'en resterai au rayon animal.

  • Ah
    mais tu fais de l'anthropomorphisme! Arrête, les bêtes, c'est les
    bêtes, point barre!

Admettre
qu'un animal souffre quand on le contient dans 430 cm2 en compagnie
de congénères eux-mêmes assignés à ce périmètre, ou parce
qu'on le jette vivant dans une broyeuse à bois ou dans un grand
conteneur en plastique où il s'asphyxiera de suite ou un peu plus
tard, compressé du poids de ses congénères jetés pèle mêle par
dessus, sans oublier ceux qui, de terreur, mourront d'une crise
cardiaque en attendant leur tour à l'abattoir, c'est juste faire
preuve d'anthropomorphisme. Ou alors de sensiblerie. On hésite à
décider de ce qui est pire.

  • Un
    jour, on a eu des voisins végétariens. Même leur chien était
    végétarien! Le pauvre, il dépérissait alors on le nourrissait en
    douce de morceaux de viande qui nous restaient… c'est comme ça
    qu'il survivait!

Ce
type d'exemple cité pour illustrer toute la bêtise qu'il y a à
être végétarien, sans compter le côté parfaitement
contre-nature, une fois de plus, de ce régime. Même si A jamais n'a
jamais défendu l'idée que des espèces carnivores se devaient de se
mettre à manger des légumes. Même si A ne fait généralement que
répondre aux questions soulevées par son régime végétarien et ne
milite en rien pour que tout le monde, du chien à la dernière née
en passant par la grand-mémé, ne devienne végétarien. Mais après
tout, souligne Jonathan Safran Foer, mon régime semble intéresser
beaucoup plus les gens qu'il ne m'intéresse moi.

  • Oh
    moi je n'aime pas les gens qui ne mangent pas de tout! Il faut
    manger de tout!

Inquiétant
non? Avant que A ne décide de changer de régime, je me souviens
avoir acheté les yeux fermés au supermarché des oeufs de poule
élevées en batterie, du poulet rachitique sous cellophane, des
surgelés sans jamais regarder ce qu'il y avait au juste dedans, des
légumes aux couleurs quasi psychédéliques, etc. Comme chez tout
être humain qui a de quoi manger, la nourriture, pourtant vitale,
n'occupait aucune place dans mes préoccupations qu'elles soient
éthiques, médicales ou même gustatives. Il a fallu qu'A devienne
végétarien, et se mette à prêter attention aux étiquettes pour
que je commence à me poser quelque questions sur ce qui
atterrissait dans mon assiette.

  • Ah
    et puis la nature est cruelle! Arrête de faire de l'angélisme,
    tout le monde mange tout le monde!

Peut-être
mais tout le monde n'a pas le même choix que nous, qui pouvons très
bien décider de manger sans tuer, et tout le monde ne parque pas sa
nourriture dans 430cm2 ou dans des hangars privés de lumière. Tout
le monde, par ailleurs, ne met pas en danger sa source de nourriture
en la nourrissant pour le coup de produits contre-nature, des vaches,
herbivores, se sont retrouvées à manger la carcasse de leurs
propres congénères réduite en bouillie… et elles sont devenues
folles et il a fallu les abattre en nombre pour protéger l'espèce
qui les avait obligé à se nourrir ainsi! Le tout en polluant cet
environnement qu'elle, notre espèce, partage avec sa source de
nourriture, les bêtes, à savoir la Terre, dont la première menace
est l'effet de serre engendré pour l'essentiel par l'élevage
intensif (sans oublier les océans peu à peu vidés de leurs
espèces, rares ou non, par une pèche industrielle dont les
techniques dérivent directement de l'industrie militaire, une
occupation humaine pour le moins non naturelle n'est-ce pas?).

Etc,
etc.

En
vérité je vous le dis, je souhaiterais plutôt que le Zébu mange
de la viande parce que j'en mange, parce que c'est plus facile en
société et plus simple aussi en termes d'équilibre nutritionnel
mais quand j'entends ces réactions, et que je lis Jonathan Safran
Foer, eh bien je me dis que peut-être, avec nos deux exemples sous
les yeux, le Zébu, et la Zouflette, quand elle quittera son biberon,
auront un vrai choix… et qu'ils feront au moins preuve d'un peu
moins d'ignorance arrogante que leurs futurs petits collègues
mangeurs de viande.

* les végétaliens ne mangent rien qui ne soit animal donc ni lait ni fromages ni oeufs

 

One comment on “Faut-il manger les animaux?

  1. Reply ln22 Fév 2,2011 18:29

    ah ça ma bonne dame j\’suis ben d\’accord. Le lien à la nourriture est compliqué et fait d\’affect, d\’intellect, d\’enfance et d\’ignorance. Bref, cela ferait du bien à la planète si dans nos pays occidentaux on s\’habituait au moins à manger 2 jours sans viande (mais vraiment sans produits animaux; pas seulement \ »sans viande rouge\ »!) par semaine. Ce serait déjà un grand pas. Les nutritionnistes le rappellent pourtant. Et la viande ne doit être qu\’un accompagnement parcimonieux des légumes !

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