Indignez-vous!, qu’il disait

Vous
n'avez pas pu passer à côté à moins que vous n'ouvriez jamais la
radio, la télé ou un journal autre que l'Equipe ou les pages saumon
du Figaro.

Indignez-vous!
C'est le titre du petit livre qu'a écrit Stéphane Hessel, ce vieux
monsieur tout pétri de douceur et de bonnes manières, ex-fils à sa
maman, aimée de Jules et Jim, ex-résistant, ex-déporté,
ex-fonctionnaire international etc… demeuré un grand indigné au
temps présent, et auteur donc de cet essai? pamphlet? méditation?
paru juste avant les fêtes de Noël et que l'on trouvait
judicieusement disposé en pile aux caisses des librairies comme les
bonbons le sont à celles des supermarchés.

En
dehors même de savoir si ce petit livre peu cher (sauf si on
rapporte le nombre de pages au prix de vente, comme l'aura fait toute
bonne ménagère) est un ouvrage nécessaire et intelligent, ou un
truc nul et creux, on peut dire que son objectif au gentil papi aura
été atteint : c'est fou le nombre de gens qui s'en indignent. Soit
qu'ils s'indignent avec lui des motifs de son indignation, soit
qu'ils s'indignent de la forme que prend son indignation, qu'ils
jugent bâclée et superficielle, par exemple, soit qu'ils
s'indignent de ce qui l'indigne (mais non enfin comment peut-on oser
émettre même l'idée que les Gazouis asphyxiés et massacrés
puissent caresser l'idée de l'action violente?!), soit, last but non
least, qu'ils s'indignent qu'on ne puisse pas s'indigner de ce qui
l'indigne, lui, le vieux pépère, ou qu'ils s'indignent de ce qu'on
s'indigne de ce livre jugé indigne.

Euh
vous avez suivi?

En
bref, qu'on l'apprécie ou pas, ce livre, ou ce monsieur, on est tous
indigné! La distinction livre/monsieur est importante, à mes yeux.
Car moi qui vous parle, et qui n'est fait que parcourir certains
motifs d'indignation de ce petit livre, je considère que ce court
ouvrage n'est pas Stéphane Hessel, loin s'en faut. C'est une sorte
de powerpoint de la pensée de Stéphane Hessel ou plutôt de sa
posture vis à vis de sa société, son pays ou bien le monde entier.
Cette attitude qui aura guidé toute sa vie, celle du refus de ce qui
lui semblait injuste, et/ou contraire à ce qui faisait sa morale à
lui.

C'est
donc lui faire un bien mauvais procès que de le réduire à ce
simple petit ouvrage. Ainsi, Aveline, qui me l'a fait découvrir (le
monsieur), vous le dira, elle a été déçue à sa lecture, c'est un
peu court vieil homme, elle a trouvé, et elle a préféré
considérer que c'était une sorte de produit d'appel à aller plus
loin dans la connaissance de cet homme. Braves gens, commencez par
lire ces quelques lignes, puis passez à l'étape suivante en lisant,
Danse avec le siècle
, la Déclaration universelle des droits de
l'homme 
(à la rédaction de laquelle il a participé) ou Citoyens sans frontières. Et ensuite, jugez en par
vous-mêmes.

Mais
de fait, le produit d'appel risque de ne rien appeler du tout, ou
disons, de ne pas appeler ce qu'il aurait dû appeler. A savoir ce
que je disais ci-dessus, un moraliste au bon sens du terme, un vieil
homme qui a traversé le siècle précédent et entamé celui
présent, qui a beaucoup vu et vécu, qu'il s'agisse de la Résistance
en très jeune homme, des postes occupés dans les hautes sphères
institutions internationales comme l'ONU, avec une participation à
la rédaction de la déclaration universelle des droits de l'homme ou
à la création d'Israël, comme de ses engagements actuels auprès
des sans-papiers, des mal-logés ou des Palestiniens.

A
ne lire que ce court ouvrage sans tenir compte de tout ce qui le fait
lui et que j'ai résumé ci-dessus, on l'accuse promptement
d'antisionisme, bientôt on l'accusera d'antisémitisme à la mode
Abbé Pierre en vieux gaga soutenant contre vents et crucifix son ami
Garaudy. On le taxe également de naïveté (pas beau le monde,
méchant mon gouvernement), on lui reproche ses contradictions (sur
le terrorisme, est-il pour? Est-il contre?) ou bien on le suspecte
d'obscurantisme en faisant référence au lointain  (et donc dépassé) Conseil National de la
Résistance en tant que base d'une société
française d'après-guerre, orientée vers le partage et l'égalité
(Sécurité sociale, transports publics, beurre et sauciflards pour
tout le monde) et que le gouvernement actuel est en train de
massacrer méthodiquement (tout en s'y référant).

En
tout cas, produit d'appel ou pas, on peut dire que tout est devenu
très confus. On est passé de super Papi en super sage indien, à
papi super Gaga qui voudrait s'en revenir à la France de Charlie,
puis, carrément, à super papi facho qui justifie les vilains barbus
et appelle à affamer le peuple israélien en refusant de lui acheter
ces olives qu'il a peut-être cueillies sur l'arbre de son voisin et
néanmoins ennemi.

Et
puis ensuite, l'affaire se corse, on ferme désormais certaines
portes à l'ex-gentil super papi… est-ce dû à ce passage dans
Indignez-vous où, concernant Israël, Stéphane Hessel est
soupçonné de complaisance à l'égard du Hamas voire de haine à
l'égard d'Israël? Normale Sup la prude a préféré se barricader
derrière ses murs toutes portes verrouillées pour empêcher le
dangereux papi de venir animer le débat sur le thème, faut-il
boycotter les produits israéliens, tous les produits israéliens ou
ceux en provenance uniquement des Territoires occupés? Débat qui
plus est contradictoire où ceux qui l'auraient souhaité, auraient
pu tout à fait exposer leurs points de vue comme quoi, mais oui, la
justice et l'équité réclame qu'on achète l'huile d'olive pressée
sur l'arbre du palestinien mais vendu sous l'étiquette israélienne
et ne pas vouloir le faire, c'est faire preuve de racisme à l'égard
des Israéliens.

Alors,
en conclusion, je vais à mon tour pousser un grand cri d'indignation
sur ce qui moi m'indigne, l'occupation israélienne des territoires
occupés et toute l'hypocrisie ou la mauvaise foi qui l'entoure.

Car
oui, je m'indigne de ce qu'Israël, après avoir massacré plus de
mille Palestiniens en 2009, dont plus de la moitié était des femmes
et des enfants, quand en face on dénombre 4 civils tués pour 13
morts en tout et pour tout, court encore nu et libre dans les champs
de la justice internationale. Oui je m'indigne qu'après avoir tué
tous ces braves ou moins braves gens, laissant qui plus quelque 80
000 Palestiniens sans abri, on puisse avoir le droit de vertueusement
s'indigner que certains vieux schnoques aient l'outrecuidance
d'appeler à ne pas consommer des olives, des jarres de miel ou des
tapis de souris fabriqués par ce pays qui, il y a peu encore, a
réussi à couler une flottille de pacifistes sans qu'on ne lui dise
rien ou si peu. Et puis oui, je m'indigne également que l'on ne
puisse même pas avoir le droit de débattre de l'idée même de son
boycott avec les vieux chnoques indignés et je m'indigne par
ailleurs que le MRAP ait qui plus est utilisé le nom de BHL
(notamment) en prétendant que ce dernier était opposé au débat,
ce qui était faux et je m'indigne que cela n'est pas été dit et
redit, et que le BHL en question ne se s'en soit même pas indigné.

Et
à propos de boycott, je m'indigne qu'on puisse mettre en balance des
morts de civils avec la sacro-sainte liberté de commerce, les
considérant aussi maléfiquement égales. Et je m'indigne que ceux
qui trouvaient très bien qu'on boycotte les produits sud-africains
au temps de l'apartheid en Afrique du sud, poussent des cris
d'orfraie quand il s'agit de faire de même avec ceux d'un pays qui
accule au désespoir un peuple à ses frontières et fait tout ce
qu'il faut pour que le processus de paix soit une mascarade en
construisant notamment des logements dans la partie palestinienne. Et
enfin, je m'indigne d'avoir entendu ce matin à la radio un gus dire, "ah
mais c'est sûr qu'Israël c'est toujours celui qu'on critique, c'est
facile aussi", quand la critique à l'égard de ce dernier ne demeure
jamais que de pure forme (enterré le rapport Goldstone, enterrées
les résolutions de l'ONU condamnant occupation et bains de sang…)
alors que les morts palestiniens et la vie merdique des survivants ne
le sont pas, eux, de pure forme.

Voilà.
Maintenant non seulement je suis indignée, mais je suis carrément
furax, je boue, j'ai chaud, je fulmine et je tremble. Et ça me sert
à quoi hein? A rien. Car le problème est là, s'indigner c'est très
facile, ce qui est plus difficile, c'est d'agir au sujet des motifs
de son indignation. Ce qu'a fait Stéphane Hessel, lui, et ce que ne
font pas ni ses détracteurs ni ses laudateurs (enfin, pour la
plupart).

Alors
promis, pour les fêtes prochaines, on s'indigne et on agit.

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