La mère dans tous ses états

  • Ra ben dis, t'as vraiment  la belle vie!

Me dit à chaque fois en
matière de conclusion cette amie qui bosse pour la télé, son rêve
de petite fille, et qui mère d'un enfant d'un an, me répond ensuite,
invariablement…

  • Oh moi? Rien de
    spécial à te raconter! Juste le quotidien harassant d'une mère de famille qui
    bosse à plein temps…

Et pof, culpabilise donc un peu Mimi-san feignasse.

Alors oui oui c'est vrai,
je ne le nie pas, j'ai la sacrée bonne vie… les jours avec du
moins. Il fait beau, j'ai eu mes deux bonnes heures tranquilles et
silencieuses, pour écrire, faire du japonais, de l'anglais, je suis
loin du Syndic où je m'ennuyais tellement que j'étais devenue une
sorte de morte vivante, je discute dans la cour du youchien
avec une maman japonaise, Kaoru, et je me rends compte qu'elle est
très sympa, voilà qu'elle me propose même de venir mardi parler
japonais chez elle ou bien je bavarde avec Elinda, une Philippine
rigolote comme tout, mariée à un Japonais, qui veut apprendre le
français car elle a des amis français, et avec qui je conviens de
lui donner une heure de cours chaque semaine à partir de janvier…

  • Et ta pièce de
    théâtre, alors, elle avance? Comment ça s'appelle déjà…?
    Quand j'étais écrivain… c'est ça?

Ma Jimminy cricket de
mère avec Cléa culpa qui rajoute par derrière que c'est obscène,
ma belle vie, quand en France, on frôlera bientôt les 4 millions de
chômeurs et que la soupe populaire verra même d'ici peu des
employés du Syndicat du crime ès lettres venir prendre leur unique
repas quotidien, leur parapheur sous le bras.

Certes.

Mais il y a les jours
sans, aussi. Kaoru me propose de venir parler japonais mais ai-je
bien compris? Et est-ce gratuit? Car ce lundi, le Zébu a été
invité à une fête d'Halloween chez elle et c'était payant, 500
yens, autant dire rien du tout, mais ça me troublerait de devoir
payer pour parler sans que ce soit précisé… Et puis les cours de
français avec Elinda, fort bien, mais c'est en janvier et d'ici là,
on a tout le temps d'oublier, tout ce temps et ces relations aussi
chaleureuses que furtives qui se perdent dans les sables humides de
nos semaines à la fois si vides et si remplies…

On se rencontre beaucoup,
à l'étranger, mais on se perd aussi beaucoup. L'adage Un clou
chasse l'autre
pourrait être l'Adage absolu de l'expatriation.

  • Ah ça, j'en étais
    sûre! L'expat type c'est le coeur d'artichaut en sa version vie
    sociale!

Mon amie de Montreuil,
Francine de France, dont la plus lointaine expatriation est d'avoir
traversé le périf pour acheter un deux pièces dans cette banlieue
qui est devenue son coeur de Terre.

Quoiqu'il en soit, si en
France, on peut avoir cette sourde impression de non compréhension
de la part de l'entourage quand vous vous retrouvez dans le rythme
allo maman bobo allo maman j'arrive pas à faire ce pont maman elle a
encore cassé mon pont pan paf bing Zébulon arrête de taper
ta soeur etc etc, au Japon, outre qu'il ne faut jamais se plaindre
(sauve ta face et tais toi), la Mère est de toute façon tout
sacrifice à ses enfants.

  • Ah ça m'étonne
    pas! Qu'est-ce je te disais ma Mimi! Tu t'es fourrée dans un beau
    pétrin! Ta vie de femme libre et indépendante est FOUTUE!

Tante Babe, toujours le
mot pour vous remonter le moral.

Au Japon, c'est
déroutant. Je n'en connais certes pas encore beaucoup de ce pays
mais il est certain qu'un grand nombre de femmes, qu'elles soient
employées de bureau, caissières ou directrices des ressources
inhumaines, arrêtent de travailler aussitôt que la tête de leur
premier enfant a franchi le cap de leurs cuisses jadis de femmes
libres et émancipées.

Si elles possèdent une
grand-père et un grand-père sous leur toit, elles peuvent néanmoins
peut être espérer reprendre leur travail d'avant. C'est le cas de
la femme d'un collègue français de A, qui a retrouvé ses 12 h de
travail par jour une fois sa fille âgée d'une année, sa mère
ayant élu ses quartiers chez eux.

Mais le collègue est
français, et la mère, chinoise, ce qui change sans doute bien des
chose.

Ceci dit, certaines vraies Japonaises reprennent leur travail quand leur enfant a dépassé les un an,
jamais avant j'ai l'impression. C'est le cas de Tatami, mariée à un
collègue français de A, qui a repris au un an de sa fille… mais à
temps très partiel et dans une branche différente de sa boîte, où
elle s'emmerde quand avant, faisant de l'import-export, elle
s'amusait follement (si si c'est possible).

Car c'est souvent bien ça
qui se passe, retravailler pourquoi pas, mais adieu responsabilités
et reconnaissance professionnelle ou tout simplement même intérêt
professionnel, petites mains maternelles, venez donc par ici, on a de
quoi vous occuper avec ce que les jeunes célibataires ambitieuses
n'ont pas du tout envie de faire…

  • Ceci dit, Mimi-san,
    c'est un peu comme ça aussi dans votre pays né?

Kaotenshi, c'est à dire
en français de chez moi Gardienne de la face, celle qui lit toujours
par dessus mon épaule ce que j'écris sur son pays.

C'est vrai, il ne faut
pas le nier. Mais en France, cela reste malgré tout plus limité et
surtout combattu, et puis, je ne sais pas si au Japon on pourrait
voir une Secrétaire Générale du Syndic à l'instar d'Anne Merli,
pondre successivement trois enfants, les emmener de ci de là au grès
de ses déplacements en région de fin de semaine, ou alors en
commission où elle siégeait avec son fils de 2 ans sur les genoux
qui dessinait des Enarques sur l'ordre du jour, et puis même, tant
qu'à faire d'être lancée, en refaire un quatrième de derrière
les parapheurs.

  • Mais comment
    expliques-tu cela Mimi? Me demande la grande Simone d'un ton
    angoissé. Qui est réac? La femme ou l'homme?

  • Enfin voyons,
    Simone, l'Homme bien sûr! L'Homme, cet être universellement réac
    que seule la révolution féministe en Occident a permis de
    cantonner dans des limites raisonnables! Vocifère tante Babe en
    donnant des coups sur l'écran de l'ordi ce qui fait qu'elle a l'air
    d'avoir bu tant elle est trouble.

Beaucoup de mères
japonaises ne s'imaginent tout simplement pas ne pas s'occuper de
leurs enfants petits à plein temps. Elles y sont certes sans doute
socialement contraintes : si elles choisissent de retourner à leur
travail d'avant (et encore, faut-il que ce soit possible), on risque
fort de les regarder de travers. Ensuite, leur éducation fait que
spontanément, elles vont préférer rester à la maison, et
s'occuper en permanence de leurs enfants.

Ce qui se traduit par un
allaitement prolongé, un enfant porté en permanence en écharpe
contre elle, enfant qui partage le futon de ses parents, le père
allant parfois dormir sur le tatami du séjour car rentrant à
minuit, il ne veut pas réveiller sa femme et son enfant collé à
cette dernière, surtout qu'il devra se lever à 6h30 pour, de sa
lointaine banlieue, regagner son entreprise et…

  • Bang!

Bruit sourd sur les ondes. Tante Babe
s'est évanouie en direct sur skype et vient de tomber par terre.

Oui, la Mère semble bel
et bien être au service absolu de son Enfant, du moins petit. Il y a
de ces choses curieuses comme cette maman a priori normale qui vient
chanter avec nous à la chorale de l'école le mardi matin,
accompagnée de son fils de 2 ans, a priori normal, mais qu'elle
piste comme s'il était en cristal de Baccara, ne le laissant jamais
jouer seul dans la cour à moins d'un mètre d'elle, cour où donc
elle a pris place pour faire le planton, délaissant pour se faire le
choeur, avec qui elle n'aura chanté en tout et pour tout qu'une minute
20… ce qui fait qu'au bout d'un moment, elle repart, l'air même
pas
contrarié.

Car c'est ça, le plus fort.

  • Non mais quelle
    truffe!

Une visiteuse sur skype,
nullipare et cantatrice.

Pendant ce temps là,
cette mère indigne et laxiste qu'est Mimi Chotek, laisse sa fille,
un an, escalader les bancs, monter et descendre les marches, sans
lever le petit doigt (de toute façon, il y aura toujours une
Japonaise pour se précipiter vers ma fille pour la sauver de ces
graves périls, dont ni elle ni sa mère ne semblent avoir
conscience).

  • Et elles ne pètent
    pas un boulard dès fois ces bonnes femmes attardées?

Tante Babe qui a
proprement un air de tueuse sur l'écran de mon skype.

C'est assez surprenant
mais on ne verra jamais une mère s'énerver contre son enfant qui
fait une Scène quand moi, parfois, à genoux devant le Zébu, je le
prends par les épaules et je le secoue en lui criant d'arrêter euh
de crier. Quand leur enfant fait un caprice et crie, je les observe,
rien ne transparait sur leur visage alors qu'elles essayent de le
raisonner, parfois même elles ne semblent rien lui dire, elles le
maintiennent, et attendent que ça se passe l'air un poil… ennuyé.

Mie, une Japonaise
anglophile, me dit que sans sa fille se conduit mal, elle lui murmure
à l'oreille d'une voix sourde, menaçante, sans qu'aucun trait de
son visage ne bouge, si tu continues à te comporter comme ça, je
te jure que tu vas le regretter une fois à la maison…

Quand moi, devant un Zébu
furibard, je m'énerve, je crie parfois, oubliant tout ce qui
m'entoure et mon visage, lui, passe par la fureur, la fatigue, la
colère, l'ennui, le dépit alors que le Zébu poursuit sa scène,
rouge de colère, hurlant comme une sirène et jetant ses jouets de
ci de là.

Bon mais Mie admet par
ailleurs que si elle connait bien les gens, si ce sont des amis, elle
peut se laisser aller à enguirlander sa fille devant eux… sans ne
jamais hurler cependant.

  • Mais alors, ces
    Japonaises, elles ne font donc que ça? S'occuper de leurs
    enfants? Elles n'ont même pas des clubs pour femmes prisonnières
    de leur foyer?

Une amie qui se dit
elle-même rescapée du congé parental de trois années et qui a
retrouvé avec soulagement son bureau où elle sue à nouveau avec un
chef caractériel qui lui donne des coups de rouleau de PQ sur la
tête quand elle ne fait pas assez vite ses rapports d'évaluation
qualitative sur le papier toilette bio que produit son entreprise.

Eh bien, elles ont de la
ressource, du moins celles de Matsumura, qui est paraît-il une sorte
de kindergarten bobo. Elles s'investissent par exemple à fond dans
les activités de l'école, préparation de la kermesse, préparation
de la fête du sport, et étant donné la masse de choses qu'exige
cette école des mères, elles le sont, très occupées.

  • Bof, moi aussi tu
    sais… l'école de mes enfants, elle me demande beaucoup!

Tu parles, un gâteau en
fin d'année et une bouteille de jus pour la Noël, si tu ne veux pas
en faire plus, alors profil bas.

Sinon, ces mères de Matsumura,
sous couvert par exemple d'une fête d'Halloween (payante) organisée chez elles,
proposent à la vente leurs objets handmade, sacs, chouchous,
vêtements, bijoux… Elles peuvent aussi organiser des ateliers,
payants, pour aider les pov gens du Tohoku, ateliers pour fabriquer
des lampes, des bijoux, apprendre à rouler son maki ou son onigiri,
etc etc.

Certaines comme Noriko,
mère de 4 enfants âgés de 10 à 3 ans, vont même jusqu'à bourrer
le coffre de leur voiture de biens de première nécessité,
vêtements, couvertures, nourriture pour les apporter après 8-9
heure de route où elles auront roulé toute la nuit, à ces mêmes
pov gens du Tohoku… et s'en reviennent avec des sacs handmade
ou des blouses, des robes, que les pov femmes du Tohoku ont fabriqué
moyennant finance avec le tissu qu'une des bourgeoises de Matsumura
(moi par exemple) leur aura donné pour se faire.

Ces mères me semblent
avoir véritablement transposé à leur métier de mère, ce qu'elles
pratiquaient dans leur métier professionnel auparavant.

  • Ouais mais bon, tout
    ça ça vous nourrit pas sa femme et ses enfants… c'est de
    l'argent poche qu'elles se font, tes bonnes femmes!

Une copine de tante Babe
qui aura passé toute sa vie dans une mairie à organiser des fêtes
à la con pour que les élus vendent leur soupe à leurs administrés
qui, abreuvés de mauvais vin, finissaient par voter à nouveau pour
eux faute de grive.

  • Certes, mais
    l'émancipation financière, et donc la Liberté, elle est où?

Eh bien chère maman, je
ne pense pas qu'on raisonne en ces termes dans le Japon même
moderne, même contemporain. Ici, on n'imagine pas, je suppose, un
mari entretenu par sa femme, impliqué de façon permanente dans les
soins et l'éducation de ses enfants tandis que sa femme, elle
ferait, sa chef de cadre chez Toyota, par exemple. Le mari rapporte
de l'argent et puis voilà tout.

  • Et si ça se gâte?
    S'ils divorcent par exemple?

Une fille mère de 45
ans, s'incrustant sur mon skype.

Eh bien, je ne connais
pas les statistiques de divorce mais j'ai comme le sentiment qu'il en
faut lourd pour que les couples divorcent. Bien des femmes doivent
tolérer l'infidélité de leur mari, il faut que mariage se fasse,
et donc, la question de leur survie financière ne doit pas se poser
tous les 4 matins. Et puis, en cas de divorce, la pension versée
doit je suppose être élevée…

Je vais me renseigner à
ce sujet, promis.

La seule chose que je
peux dire, en matière de conclusion, c'est que les femmes et mères
de Matsumura ne font pas du tout bobonne ou madame Tupperware. Elles
mènent leur barque, ont l'air réellement émancipé, et n'ont pas cette mine stupide de gentille petite fille paumée dans la vraie vie qu'avaient
certaines mères au foyer de mon enfance, ni cette sourde culpabilité
teintée d'angoisse et de frustration que certaines mère au foyer
françaises véhiculent en elles et qui leur vient de ce qu'elles ne
gagnent pas leur vie, à tous le sens du terme.

Mais peut-être que
derrière la Face, japonaise, il en est de même? On trouve angoisse,
ennui, culpabilité, frustration, regrets, amertume, aigreur..?

Quand je serai devenue
bilingue, je vous le dirai, promis!

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