Carte postale III

Paraît que le prix
Goncourt a été alloué et paraît aussi que comme c'est piston et
compagnie, c'est pas la Marie (Chotek) qui l'a eu. Mais paraît il
aussi que ce serait un écrivain du dimanche, parfait outsider, qui
se le serait reçu, un qui aurait surtout pratiqué l'écriture le
dimanche, donc, et par le biais de son blog.

En attendant, après la
Marie noire 2010 et le pantouflard blanc 2011, c'est toujours pas moi
qui…

  • … encore faudrait
    il avoir écrit un livre ma fille! Et un VRAI!

Remarque sagace de mon
akaasan (mère) de grande Simone.

  • Ca avance tes
    relectures de nouvelles sur la maternité?

  • Et ton livre Mes
    impressions à moi de mon japon à moi? (Que tu devrais écrire hein
    car le japon c'est à la mode alors même un petit truc superficiel
    et mal écrit ça devrait trouver preneur…)

  • Et ta pièce de
    théâtre?

  • Et tes concours de
    nouvelles!!!

  • Et le texte envoyé
    à la Femelle du requin? T'as été retenue finalement?

Eh bien autant vous le
dire de suite, que question création littéraire, c'est la jauge à
zéro, la friche en friche ou le désert désertifié. Faut dire
aussi que j'ai à peu près 5 minutes à moi toute seule dans la
journée et que…

  • Bon ça on le sait
    déjà ma vieille!

Ok, ok… Et puis, je
suis happée par l'apprentissage du japonais, une langue de prime
abord rébarbative pour qui garde en souvenir les leçons d'anglais
de la madame Caddie du lycée Dinro, toumoro morningue aille ouile go
tou ze marquete ouive maille caddie a roulettes… ou plus tard,
celles en arabe de madame Marche ou crève, qui m'avait fessée en
public parce que je n'arrivais à lire al Watan après 2 leçons
d'apprentissage de cette langue.

Apprendre le japonais se
révèle plutôt rigolo, au point que dès que j'ai un peu de temps à
moi, c'est du japonais que je fais, ou du moins essaye de faire.
Hitotsu, futatsu, mizzu…

  • Maman, la zouflette
    mange de la craie!

  • Maman, jus d'orange!

  • Maman, j'ai fait
    caca, tu viens?

  • Maman, elle a encore
    pris mon shinkansen!!

    (pim pam poum)

  • Ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiin!!!

Si je ne risque toujours
pas de remporter le Goncourt en 2012, le bilinguisme franco-japonais
ne me menace pas non plus.

  • Bon mais alors, et
    cette carte postale alors? Ca vient?

Une lectrice, bilingue et
potentiellement goncourable.

Oui oui ça vient. Quand
je ne suis pas employée de l'ONU à la maison, quand je ne fais ni
la cuisine ni le ménage ni la lessive, quand je ne japonise ou
n'anglicise pas, quand je ne fais pas le piquet dans la cour de
l'école, le playground, la garderie ou le Yoyogi Koen, je pars en
week-end avec A, les enfants et notre couple d'amis français, Ana
Freud, Pierre Curie et Adelou, leur fille de 5 ans.

  • Ah tiens, qu'est-ce
    que je te disais! A peine 4 mois au Japon, et tu est déjà à la
    colle avec un couple d'expats français!

Toujours cette Francine
de France, obnubilée par l'ethnocentrisme des expatriés et
l'universalisme des ethno-natifs sédentarisés.

Certes mais parler
français avec des gens qu'on apprécie EN PLUS c'est juste…
appréciable, et même, vital! Et puis, les enfants jouent bien
ensemble et ça repose. Le Zébu n'est pas mécontent de son sort de
petit gaijin parmi les locaux mais bon, il commence à aimer se
construire des univers et des histoires avec des mots (et si on
disait que c'était? Et si on jouait à… etc), ce qui pour le
moment n'est pas possible avec Akira-ku, Koutaro-ku ou Youya-ku, mais
tout à fait plausible avec Adelou chan avec qui, par ailleurs, il
s'entend à merveille.

  • Bon mais alors,
    cette foutue carte postale, elle vient d'où?

Eh bien elle vient de
Hakone, une région située à 2 petites heures de train de Tokyo,
plantée d'arbres aux couleurs automnales, pas tout à fait rouge
mais pas très loin, semée de sources d'eau chaude (onsen) , et fréquentée parfois
comme la station Shinjuku, marchez en file et ne doublez pas votre
prochain comme vous-même.

Bon, soyons juste, ce
week-end là, nous n'avons pas trop souffert de l'encombrement des
sentiers et des transports quand, Ximena, partie la fleur au fusil en
famille à Takao, à une heure de Tokyo, a dû faire la queue une
heure trente aux télésièges et a vu, après la bento de midi
relativement bucolique, jaillir littéralement de tous les sentiers la
moitié au moins de la population du grand Tokyo, au point qu'ils ont
marché le nez sur le dos de leur prochain tout le restant de
l'après-midi…

  • Bon et à part ça,
    vous avez fait quoi à Hakone à?

Nous avons visité un
musée de plein air, sous un soleil assez chaud pour faire oublier
que l'on était aux portes de l'hiver. Marbres, bronzes, Rodin,
Picasso, couleurs fofolles et personnages tout aussi zinzins de Nikki
de saint phalle et puis… plein d'autres sculptures diverses et
variées d'artistes aussi bien japonais que pas japonais.

  • C'est bien la peine
    d'aller si loin pour voir ce que tu peux voir en France… jusque
    dans la cour même de ton lycée Dinro!

Ma mère, toujours
constructive.

Certes mais c'est
toujours comme ça avec les artistes devenus très célèbres, ils
sont partout sur terre. Et puis il y avait des Japonais aussi merde à
la fin.

Ensuite, les enfants ont
joué dans une toile d'araignée multicolore et se sont poursuivis
avec les papas dans un labyrinthe végétal pendant qu'Ana et moi, on essayait de
faire des mots croisés en japonais (niveau -12) car on ne se refait
pas, les otoosan jouent et les okaasan bossent.

Le soir, on a atterri à
la Youth hostel, peuplée que d'ex jeunes, désormais quadra, quinqua
voire sexa, car vu le prix japonais du tatami-futon-wc sur le palier,
surtout à Hakone qui a le tort d'être trop près de Tokyo, on
renoue vite avec ses hébergements de jeunesse, par ailleurs tout à
fait corrects.

Ce qui nous a le plus
plu, à A et moi surtout, c'est le onsen privatif où on a pu
s'enfermer deux fois une demie heure sur le week-end pour se laver et
se baigner nus en famille…

  • Quoi Mimi? Tu te
    montres NUE devant tes enfants?

  • Et A aussi?!

Oui Maman, oui Tata, au
Japon, si les gens sont pudiques voire puritains, il est tout à fait
normal de prendre des bains nus en famille ou entre même sexe si
c'est un bain public, et c'est sans doute si ordinaire qu'aucun
enfant japonais ne semble perturbé de voir ses vieux tout nus. Après
tout, à mon sens, c'est le regard que l'on pose sur une façon de
faire qui le plus souvent crée l'impression positive ou négative.

Et puis, se montrer ou ne
pas se montrer nu devant ses enfants, c'est après tout qu'une
question de convention sociale ou de culture, familiale ou autre.

  • Bon et ensuite,
    après l'épisode à poil tout nu, vous avez fait quoi?

On a mangé ce que l'on
avait apporté de Tokyo, du riz de la ratatouille des nouilles des
chips des cacahuètes et du poulet, pour les omnivores du moins.
Adelou, apprenant que son collègue le Zébu était végétarien, a
déclaré avec force, moi je suis pas végétarienne, je suis
Française! ce qui nous a tous bien fait rire ahah.

  • C'est idiot, vous
    auriez dû en profiter pour lui expliquer ce que c'était le
    végétarisme, cette merveilleuse posture de Vie…

  • Et en profiter pour
    faire goûter à ce pauvre petit Zébulon du bon poulet bien plumé
    que diable!

Ce qu'on a fait, madame
la graine, mais le poulet en moins, monsieur la bidoche.

Le lendemain, on a
enquillé sur une virée en funiculaire, téléférique, envahis par
des armées de vieux Japonais en tenue de combat (sac à dos et gros
croquenots), ainsi que de famille, leur bébé sur le dos ou le
ventre, la poussette parfois à la main puisque le bébé japonais
est ainsi fait qu'il ne peut souvent pas s'endormir tout seul dans
son inhospitalère poussette, préférant de beaucoup pioncer sur sa
mère (ou son père, les moeurs changent…), qui ensuite, avec
moulte précaution, tentera de le refourrer dans l'engin à roulettes.

A ce propos, on a
abandonné la poussette de la Zouflette, cassée, dans une poubelle
d'altitude, face au Fuji-san, enfin aperçu, mais décevant car sans
calotte de neige et apparaissant sur la photo prise des voitures à
ses pieds (parkings juste devant).

La Zouflette sur le
ventre de son père, on a pris d'assaut la rampe qui menait aux
sources d'eau bouillante et souffrée, qui fleurait l'oeuf oublié
depuis plusieurs mois dans le frigo en panne, accompagnés d'une
petite dizaine de centaines d'autres touristes qui avaient à coeur
de se prendre en photo devant les fumerolles puantes ou manger à
même la dalle les oeufs cuits dans les bains et à la coque toute
noir.

Je suis redescendue
promptement avec le Zébu et sa sucette, car les émanations étaient
un peu dangereuses et puis mon fils ne saisissait pas l'intérêt
qu'il y avait à s'esbaudir sur de l'eau bouillante sentant mauvais.

  • Bon mais alors,
    toujours pas de palais Ming à l'horizon?

Emet Tante Dolores, déçue
et toujours aussi obtuse quand il s'agit de l'histoire de l'art
asiatique.

  • Bah Chine, Japon…
    c'est la même chose! Surtout que, Mimi, ne fais pas ton arrogante,
    je sais fort bien que le Japon a TOUT piqué à la Chine!

Sauf le communisme.

Quoiqu'il en soit, on a
poursuivi par un pique nique au bord du lac, plus bas, cernés par
des chats plus ou moins sympathiques, qui auraient bien aimé tâter
du kiri ou de l'oeuf même pourri. Le Zébulon a refusé d'un air
horrifié de manger son oeuf dur noirci, acheté et offert par Pierre
Curie, et il n'a eu de cesse que l'on grimpe dans le bateau de
pirates, un bateau normal avec juste deux gars costumés façon
pirates des caraïbes en plus chic, et qui en se pavant sur le pont
des premières classes, offraient de se faire prendre en photo avec vous.

Ceci étant sans doute
destiné à donner ce petit côté Disney sans lequel, pour les
Japonais en général, une sortie culturelle ou autre, n'est pas une
sortie digne de ce nom.

  • Mimi-san, n'essayez
    pas de nous faire passer pour des benêts!

Proteste ma Kaotenshi
(gardienne de Face).

Non point, c'est juste
que els Japonais, de 1 à 111 ans, entretiennent, dans leur majorité,
un goût avéré pour tout ce qui est, ou entertainement à
l'américaine (entendez naïf et lourdingue) ou ce qui est kawai-i
(mimi), et donc, où qu'on aille, à part les temples et le palais de
l'Empereur, il y a toujours un petit côté grand enfant qu'il faut
continuer à amuser, au moins un peu… A tel point que A, comme
sortie de travail, a eu droit au Disney d'Odaiba (l'île artificielle
dans la baie de Tokyo) et que Airi m'a confirmé d'un air un brin moqueur, que des filles de son âge (34 ans) n'imaginaient pas ne pas
aller au moins une fois par an s'amuser en groupe à Disney.

Bref, une fois accosté,
on a mis le cap sur un temple, le fameux temple au toori rouge, aux
pieds plantés dans l'eau du lac, et nous avons pu prendre, à la
volée, des clichés d'une mariée en costume traditionnel (kimono
chatoyant) et de son marié, en smoking, encadrés par leurs parents,
le tout avec un air d'ennui qui donne envie de prôner le sexe libre
et la vie à la colle à vie. Ceci dit, cet air là, on l'a aussi
dans nos mariages français, car le dira-t-on jamais assez, où que
l'on soit, ce n'est pas à son propre mariage que l'on va s'amuser.

Le soir, re belotte à la
YH, onsen, riz, nouille, poulet, tofu, et origamis pour Adelou avec
une gentille étudiante japonaise tokyoite venue passer un jour à
Hakone, le Zébu préférant de beaucoup faire
vrrrrrrrrrrrrrrrrrrroum, assis sur un futon, un oreiller dans les
mains en guise de guidon, et sa soeur, elle, ravissant les cocottes
en papier pour venir les déchiqueter à nos pieds sous la table. Un
étudiant chinois skypait follement avec la Chine entière, et
d'ailleurs, le lendemain matin, après avoir mitraillé nos gosses
avec son panoramique, il m'a appris, en français, d'une voix
curieusement sur-aigue, qu'il étudiait à Osaka le material chose
muche, que j'ai pas compris ce que c'était, si ce n'est que c'était des haikus ou de la poésie antique.

  • Ah tiens, encore un
    que le Japon va piquer à la Chine!

Euh, pas sûr, le marché
du travail japonais est un peu compressé en ce moment.

  • La France, tu
    l'aimes ou tu la quittes!

Charlie tango, réveillé
soudain devant sa cb de papi kaki.

En attendant, il
pleuvait, on n'avait plus de poussette et une marche sous la pluie
sur un sentier de montagne avec trois enfants petits était comment
dire… compromise.

On s'est donc décidé
pour le musée du petit Prince, à deux pas de la YH, situé dans un
décor de maisons type provençal, datant de l'époque qui vit naître
le célèbre écrivain aviateur inventeur (on va dire début du
vingtième siècle hein vu qu'il est né dans ses eaux là), le tout
sur fond de flonflons d'un bal musette ou, un peu plus tard, du
Georges à la moustache s'exclamant, gare au
gori-iiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiille! tandis que les japonais se photographiaient devant la statue du petit prince, écharpe au vent.

Comme je vous le disais,
toujours ce petit côté Disney indispensable à une visite
culturelle réussie, avec cette France de mythe, bien peignée et
gentiment colorée dans les tons pastel, aux façades fleurant bon
Arles, et ses platanes, au point que, je vous l'avoue, j'ai senti une
sourde nostalgie monter en moi, avec une envie soudaine de me
retrouver à une petite table de café sur une place de provence, un
petit pastis devant moi (euh en fait je déteste le pastis).

  • Ah vous voyez,
    Mimi-san, vous n'êtes pas insensible vous non plus à cette touche
    là!

Certes, Kaotengi-san,
certes, j'admets. Mais point trop n'en faut puisqu'il paraît que le
Japonais, bercé d'images idéales d'un Paris mythique, tout droit
sorti d'Amélie Poulain, se retrouve à collapser grave quand mettant
le premier pied sur le pavé parisien, il dérape dans une crotte de
chien, s'asphyxie aux gaz des voitures, manque de s'évanouir dans
des toilettes publiques que l'on veille scrupuleusement à maintenir
toujours malpropres, ou se retrouve aux prises avec chauffeur de
taxi, serveur de brasserie, fonctionnaire du métro ou de
l'administration, tous également mal aimables et monolingues. Au
point qu'il doit parfois se faire rapatrier sur sa terre natale,
comme ces jeunes de 20 ans mis à mal par la mother India…

En tout cas, il y avait
plein d'archives de l'Antoine, avec décors de ses bureaux, bases
militaiures, avions reconstitués (Disney toujours) qui permettait
d'accéder au fond (relativement) de sa pensée tout évitant cette
forme rébarbative genre lettres placardées sur des murs nus et
vitrines austères, qui retient tout quidam moyen d'aller voir plus
loin.

Ensuite, on s'est fait un restaurant chinois…

  • Ah encore un volé à
    la Chine! Ah ces Japonais je vous jure!

Euh oui mais en même
temps, tata Dolorès, des restaurants chinois y en a un peu partout
sur terre non?

Et comme il pleuvait
toujours, que demain, c'était retour à la fausse vraie vie, que les
enfants étaient fatigués, et nous aussi, on a changé nos billets
de train, après moulte palabres entre Pierre Curie, A et le préposé
heureusement aidé par un étudiant anglophone, sinon on y serait
encore, et on est repartis pour Tokyo, en RER, ce qui fait toujours
un peu bizarre.

Et quand on a poussé la
porte de la maison, on a eu la joie d'entendre le Zébulon s'écrier,
ah ça fait du bien de retrouver la maison!

  • Ah bon, pourquoi la
    joie?

Parce que, maman, ça
veut dire que le petit a adopté notre appartement japonais comme son
home, et donc qu'il a une racine quelque part dans ce pays, et donc
qu'il n'est pas si mécontent que ça de vivre au Japon, loin de
petits enfants parlant sa langue et aimant jouer au train avec des
oreillers et des pyjamas, et que donc, on a quand même bien fait de
partir là bas.

  • Mimi, tu sais que la
    centrale de Fuck-shima crache toujours ses atomes? T'as été voir le blog d'Eva Toutebelle qui est venue exprès au Japon pour vous voir?! Il y a du plution, du radion et du euh…

Mais là, skype coupe, désolée tante Dolorès,
c'est tard et c'est marre, il fait froid, il pleut et mes pâtes sont
cuites, alors, on parlera thermonucléaire une
autre fois.

Mata kondo!

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