Drame autour d’un panier de fleurs 1

Non non je ne vais pas
vous raconter une séance d'ikebana (art floral) où, histoire de ne
vraiment pas avoir de temps pour écrire, je me serai rendue et qui
aurait viré au drame (forcément) feutré entre ikebanistes… mais
d'un spectacle de théâtre No où je me suis rendue par « devoir
culturel », comme me l'a dit Pierre Curie lorsqu'il m'avait
proposé, le lundi matin, une de ses places restées en rade suite à
un grand nombre de désistements de la part de ses jeunes collègues
(mon expérience à terminer, ma thèse à rédiger, ma belle-mère à
balader, ma soupe miso sur le feu etc etc).

  • Comment ça par
    « devoir culturel »? pour une fois que tu sors le soir
    et dans un cadre ENFIN un peu intellectuel!

Ma mère, à qui je me
jure d'offrir 4 séances de théâtre no quand elle viendra fin mars.

No comme no mouvement, no
expressivité, no compréhension et no entertainment. Car autant vous
le dire d'emblée, je n'ai pas franchement rencontré le no (ou vice
versa).

Déjà, ça n'était pas
le soir, chère maman, mais à 17h30 dans une salle relativement
comble, étant donné l'horaire de bureau, mais il est vrai comblée
par un troisième voire quatrième âge extrêmement attentif (ou
très bon simulateur). J'ai même vu une petite vieille montée sur
cannes et courbée comme qui va à la chasse aux champignons,
descendre la rampe en tremblant vacillant tanguant, au bas mot, 97
ans, la mémé-san et certes toujours la dernière mais également
toujours là dès qu'il s'agissait d'un bon petit spectacle de no de
derrière les fagots…

Alors que tout le monde
s'ébrouait, le spectacle avait déjà démarré (bruit de voix dans
les coulisses), tous feux allumés, tandis que Pierre Curie me disait
d'un air presque ravi qu'on avait trouvé du césium pourri dans tous
les coins du Japon, excepté Kyushu… ce qui fait que j'ai attaqué
ce spectacle de haute volée à nouveau hantée par le spectre de
Fuck-shima avec vision de mes enfants tombant malades ou m'accusant,
adultes, de leur avoir pourri leur espérance de vie.

Avec tout ça, une
créature en pantalons bouffants était en train d'entrer en scène, glissant à 2 à
l'heure sur ses chaussettes à tong, tandis que des hommes à l'air
sinistre prenaient place à l'autre bout de la scène, assis sur
leurs talons (peut-être étaient-ils en train de penser au taux de
césium de leur terrasse?)

Après 5 minutes 20, la
première créature est enfin arrivée au milieu de la scène et
s'est mise à déclamer d'une voix grave aussi vibrante que
tremblotante.

  • Ahhhhh ohhhhhhh
    iiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii ehhhhhhhhhhhhhhhhh….

A côté de moi, une
vieille dame très digne tenait sur ses genoux un livre écrit à
l'encre euh de Chine…

  • Ah encore un truc
    qu'ils ont piqué aux Chinois, tes Japs!

Si tu veux, tata Dolorès,
si tu veux. Livre sur lequel elle suivait le déroulement de
l'histoire comme la moitié au moins de la salle, dont ce petit vieux
en costard gris devant moi, genre prof de lettres honoris clausus à
la retraite qui tenait même un crayon en papier à la main pour
émarger le texte de ses remarques sagaces (diction trop rapide,
déplacement excessivement véloce, voix pas assez tremblée…?).

Le type a bien déclamé
de sa voix vache folle pendant au moins dix minutes tandis que la
vision de ma Zouflette malade de césium et de son frère bourré de
plutonium ne me lâchait toujours pas. Pierre Curie gloussait à côté
de moi en manipulant son i-phone tandis que son jeune collègue, de
très bon niveau en japonais, n'entravait que dalle à la pièce
(d'où peut-être ces spectateurs, leurs livrets sur les genoux?).

Enfin, le type s'est tu
et une femme est entrée sur scène. Enfin, un homme déguisé en
femme, c'est à dire habillée d'un kimono vert et arborant un masque
blanc rigide sur le visage, genre mon ami Pierrot. Là aussi
déclamation d'une voix grave et tremblotante. Dix minutes.

Et encore un autre, dix
minutes, un gros lard avec un pantalon bouffant porté bas, genre
couches pampers, qui a déclamé longuement la voix en gelée. Ah
non, c'était celui du début, excusez moi, j'avais sorti mon carnet
de verbes pour réviser un peu le temps que l'action se mette en
place…

  • Bravo Mimi, dans le
    genre perles jetées aux cochonnes…

Une amie, fan de no et de
tabukiki, enfin, en théorie.

Ensuite, les hommes à
mine sinistre se sont décidés à faire quelque chose alors que le
gros en pantalons couches continuait ses déclamations d'un ton mi
accusateur mi plaintif. Les papys se sont mis à chanter, scander
serait plus juste, tandis que deux zigues, un vieux sec comme un
biscuit oublié dans une boîte en fer et un plus jeune, gras comme
un sumo maigre (c'est à dire pas trop trop gros), se mettaient à
taper alternativement sur un petit tambour niché dans leur cou, sans
se départir de leur mine sinistre et sans qu'aucun trait de leur
visage ne bouge d'un millimètre malgré que chacun d'entre eux, sur
fond de flûte (un troisième larron), poussait tout à tour une
sorte de cri, de hululement entre hibou et loup…

Et ça donnait ceci.

  • Houphip… plong!

  • Houuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuu…
    bing!

  • Ohahahahah…
    hooooooooooooooo…

  • Pilpililipliiiiiiiiiiiiiiittt
    (la flûte)

  • Houphip… plong!

  • Houhouuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuu…
    bing!

Etc, etc, le tout pendant
20 minutes.

Et moi, pendant ce temps
là, je cogitais, cette histoire de césium, à mille siècles de
l'époque d'Edo ou des fastes de Nara. Ceci dit, A m'avait dit le
matin même qu'on avait relevé en Europe des taux de césium
inquiétants, signe d'une centrale de merde était en train de fuir
quelque part dans cette Europe de merde qu'est l'Europe de l'Est aux
centrales pourries, excusez moi, j'ai un coup de chaud là.

Pierre Curie m'a donné
un coup de coude. Un infant était en train d'entrer, 12-13 ans
d'âge, habillé de jaune et de violet, sous un dais orange, porté
par des types qui auraient plutôt préférer lécher le sol de
Fuck-shima plutôt que de sourire, tandis que le jeune infant prenait
place dans un coin de la salle, dont il n'allait pas bouger pendant
tout le spectacle, et que deux femmes, enfin deux hommes déguisés
en femmes…

  • En effet, Mimi, tu
    devrais savoir que le no est un art strictement réservé aux
    hommes… qui interprètent donc les rôles de femmes…

L'amie, spécialiste
d'arts théâtraux asiatiques, et qui bosse le concours de générale
des armées, pour le jour où il sera un jour ouvert aux femelles.

… deux femmes donc
portant chacune un panier de fleurs (en papier) se sont mises à
discourir au milieu du cercle formé par les papys sinistres, leurs
hululements, leurs tambourins, leur flûte, et le gros qui soudain,
grand emballement de l'action, a envoyé balader d'un coup de patte
le panier porté par kimono vert tandis que kimono blanc poursuivait
sa complainte avec son panier bien en mains.

L'infant lui restait de
marbre, assis sur son petit siège, se tournant juste à un moment,
soit 22 minutes après son entrée en scène, de trois quart face
alors que kimono blanc lui désignait son panier (grand moment
d'action…).

Et toujours, pendant ce
temps là, allant même crescendo…

  • Houphip… plong!

  • Houuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuu…
    bing!

  • Ohahahahah…
    hooooooooooooooo…

  • Pilpililipliiiiiiiiiiiiiiittt
    (la flûte)

  • Houphip… plong!

  • Houhouuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuu…
    bing!

Comme de lire par dessus
de l'épaule de ma voisine, qui tournait les pages d'un air pénétré
toutes les dix minutes (bon parfois ça descendait à 5 ou au
contraire, ça montait à 15), ne m'aidait pas plus à comprendre les
tenants et aboutissements de l'histoire, j'ai fait marcher mon
imagination.

Les deux femmes
participaient à un concours d'ikebana orchestré par le gros lard en
pantalons bouffants, leur sensei en matière d'arrangement de
pétales et de tiges, panier dont la récompense était d'avoir
l'insigne honneur de l'offrir à l'infant, fils de l'Empereur, qui
adorait avoir des fleurs dans sa chambre décorée de shinkansen, euh
non de carrosses en or, de chaises à porteur, de dais oranges et de
chevaux à la robe noire fumante sous le froid de la blanche neige
dans les rayons d'un soleil hivernal à la fois vif et diffus.

Et qui, en attendant que
le sensei tranche, se faisait grave chier sur son petit
tabouret mais bon, il n'avait qu'à pas naître fils d'Empereur au
Japon.

Le coup de patte du
sensei, c'était parce que kimono vert s'était un peu trop
poussé le col, kimono blanc, très fair play, essayait cependant de
plaider pour elle, allant même jusqu'à lui tendre son propre panier
de fleurs dans un geste qui n'était pas sans rappeler la maxime
chrétienne, tends l'autre joue et ferme la. Panier que kimono vert
finissait par accepter avant que de le rétrocéder à kimono blanc
au bout de 15 minutes, sans doute pénétrée du sentiment que ce
serait une victoire à la Pyrrhus.

  • Papyrus, les vl'à
    qui volent les Egyptiens maintenant!

Ma tante Dolorès, à qui
un spectacle de No ferait le plus grand bien.

Avec tout ça, il était
presque 18h40, ma voisine était en train de ranger soigneusement son
livret dans son petit sac à mains après en avoir tourné la
dernière page, et d'ailleurs, l'infant était en train de se lever,
sans avoir pris un seul des deux paniers, glissant sur ses
chaussettes à tong en direction de la sortie,
youpiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii!

Pierre Curie, lui qui
n'avait cessé de ricaner, pouffer et consulter son i-phone, a
déclaré qu'il avait beaucoup aimé, c'était peut-être une
plaisanterie… comme le coup du césium? Me suis-je demandé pleine
d'espoir, en m'enfuyant alors que le deuxième spectacle commençait
tandis qu'une fois encore, la moitié de la salle était debout, à
s'agiter et à chuchoter.

Je ne peux pas dire que
j'ai regretté d'être venue. Les sièges étaient confortables, il
faisait bon, je n'avais pas de cris dans les oreilles, ni de disputes
à régler, mes enfants étaient entre de bonnes mains (Ana Freud)…

  • Mimi, tu me fais
    honte!

  • Au nom de la France
    toute entière (moi), je te l'ordonne, le no, tu l'aimes ou tu le
    quittes!

Ma mère et Charlie
Tango.

Bon, et puis c'était
malgré tout intéressant à voir, surtout gratuitement, et en plus,
ça me faisait toujours un sujet de billet à la fois culturel et
exotique à vous narrer!!! Ceci dit, hein, sans pour autant préférer
Bigeard ou On purge bébé, un spectacle un petit peu plus
vivant et drôle, j'aimerais mieux…

Mata kondo (à la
prochaine)!!

One comment on “Drame autour d’un panier de fleurs

  1. Reply Le mais scène Nov 25,2011 14:07

    je ne consultais pas mon i-phone, j\’enregistrais les sons
    tuiiiit taka tak houhou
    afin de les réécouter le soir histoire de m’imprégner. Faut pas pleurer après si t\’arrives pas à jacqueter le nippon si tu réagis comme cela a un spectacle \ »relativement\ » animé. Va faire une cérémonie du thé. En plus là c\’est jouasse au niveau des articulations.

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