Bananas pas assez mûres 1

Qui dit Inde, dit mendiants. On n’y coupe pas. Des mendiants de toutes sortes, dans les rues, les gares (impressionnantes les gares), les bus. Des rues de mendiants pas si différentes que ça des nôtres finalement (surtout au mois d’août à Paris), excepté le nombre de petits enfants, des lépreux et des difformes en tout genre, que l’échographie à 2 mois chez nous ainsi qu’un bon suivi à la PMI permettent de faire disparaître. Car si on évite les bidonvilles de Calcutta, de Bombay ou de Delhi, les décharges à ordures, les asiles de nuit et certains trottoirs, il faut être honnête, ce n’est pas tellement pire que dans nos grandes villes. A part les petits enfants, les lépreux et les difformes en tout genre, d’accord.

Rencontre la plus répandue : la femme jeune, si possible enceinte, avec le dernier né (6 à 14 mois) sur la hanche, mendicité à la mode roumano-gitane. Mimiques de supplication, a faim, geste vers la bouche, my baby, on agite le petit bras du bambin, on vous l’approche même du visage (arrière), on vous touche (bas les pattes), on gémit, on supplie, etc. Je n’ai pas le cœur à me moquer de ces dames, soyez rassurés, la journée du 2 août est derrière nous, mais il se trouve qu’en France, seules les femmes gitanes, (ou de l'Est) mendient de cette façon là, quand les autres mendiants, Sdf dit-on, le font pour la plupart avec une certaine dignité, s’adressant à vous d’égal à égal sans geindre ni supplier avec en plus ce côté femme qui simule (mal) l'ogasme.

Bref, que c’est plus fort que moi, je le confesse, la mendicité en gémissant, ça me braque aussitôt et ces femmes ne trouvaient que rarement le chemin de mon porte-monnaie. Mimiques à mon tour, non, secoue la tête, air navré, non, montre mes mains vides, non, avec un sorry et généralement, elles laissaient choir l’affaire. Le pire était cependant de voir le même show se répéter chez les bambins. Ainsi, deux pauvres gosses, celui de 5 ans qui agitait de son petit bras, le petit bras de son frère, 3 ans, en gémissant, please, give, for my baby, please… Leurs petits visages étaient tristes, fatigués, deux petits vieux avant l’âge, j’ai eu alors le cœur serré, l’estomac plié, le rouge au front, la goutte à l’œil, alors j’ai donné…

Mais dès fois, foi de Chotek, c’est la colère qui l’emporte. Colère contre les femmes qui donnent une vie pour qu’elle les serve, colère contre les hommes qui laissent tomber ces femmes, colère contre la mondialisation (qui accentue sans doute des situations qui existaient avant elle) et surtout colère contre les Indiens (il y en a des riches et des moins riches) qui acceptent un tel système parce que pour partie légitimé par le fatalisme et la religion, système des castes hindoues où certains naissent non seulement mendiants, intouchables (dalis) mais sont mendiants. Alors on donne, si possible pas d’argent aux minots mais quelque chose à manger et on récolte parfois un pauvre sourire.

Mais généralement, le mendiant indien ne remercie pas. Que nenni. Quand il ne vous engueule pour votre pingrerie ou parce que les bananes ne sont pas assez mûres. Ainsi, cette dame, enceinte de 4 mois, avec un mioche de 8 sur la hanche, qui me montrant des bananes, me geint dans l’oreille, madame, please, banana, for my baby (était-il seulement en âge de s’enfiler ces fruits celui-là?). Ok, je l’emmène illico devant la marchande de bananes, choisit une grosse brassée de fruits, mais voilà que la femme me tire la tronche car figurez-vous, ils ne sont pas assez mûrs. Vexée, je lui mets le sac dans la main mais elle continue à faire la gueule. Pas un thank you ou un namasté de trop. Je râle comme une baronne, you can say thank you tout de même. Mais la mendiante est déjà occupée à essayer de troquer son lot de bananes vertes contre un plus à son goût, engagée en cela dans une croisade houleuse avec la marchande (pas coopérative du tout la marchande). Je m’éclipse, vaguement honteuse, et quand je repasse, un peu plus tard, j’aperçois de loin les deux femmes en train de se hurler dessus comme deux pétroleuses électrisées. Ouille. Je longe les murs, évite une nouvelle-femme-à-enfants-sur-la-hanche et m’enfuis comme pet sur toile cirée.

Je ferai ainsi souvent ce constat. Le plus souvent, on ne remercie pas le donateur, à moins que vous ne mettiez la dose, on râle, on demande plus (tu m’as filé les bananes, file moi le sac plastique qui va avec) et on jette des regards mauvais à sa bienfaitrice même pas d’ici. Bon, vous allez me dire, je peux pas refuser les gémissements et demander la gratitude éternelle avec yeux mouillés. Ok.  Et puis, peut être parce que la mendicité fait partie de la société indienne comme le cadre en électronique, le brahmane et la vache sacrée, que c’est une fonction, un rôle, on entend bien le défendre à sa juste valeur… Chais pas.

Des mendiants, des mendiants… certains trottoirs sont de véritables dortoirs à toute heure du jour, mendiants, misérables et travailleurs des lieux réunis dans un même ronflement. Une famille entière campait dans la gare routière de Leh, Ladakh, et envoyait ses membres les plus jeunes geindre dans les jupes des routardes. Deux bananes données à une gamine de 5 ans environ, aux yeux luisant de faim et de fatigue, m’ont fait l’impression d’avoir laissé tomber un sac d’or dans les menottes de la petiote. Pas joyeusant non plus. Trop de faim, trop de crasse, de sommeil dans les yeux de la fillette… dont le père, allongé telle une diva sur un banc, prenait sans doute le juste repos de qui a trimé toute sa vie d’enfant. Cohorte de femmes aux hanches peuplées. Lépreux aux mains disparues. Vieille femmes plus légères qu’une anorexique d’Occident. Saddous (clochards célestes) avec leur mini slip façon couche-culotte, maigres et charbonneux, recevant votre dîme sans qu’un iota de leur visage ne s’en émeuve. Un enfant difforme se traînait en gémissant dans la boue de Pahar Ganj, à Delhi, sans que nul ne s’en émeuve. Spectacle pourtant insupportable. Un vieux à la sortie du métro, cassé, déformé, le menton sur le ventre, à croire qu’on ne savait plus le démêler, et trempé de pluie, agitait sa sébile sans discontinuer…

Mais comment fait-il, mais comment font-ils tous ceux là pour ne pas être morts ? Impression (lamentable je sais) de se trouver parfois face à ces organismes primitifs du style paramécie qui nous enterreront tous en cas de cataclysme nucléaire tellement leur acharnement à survivre est violent, quand en Occident on parlerait de soins palliatifs, voire d’euthanasie…

En conséquence, je conseille à qui va en Inde de se munir telle la Bernadette de menue monnaie, environ 50 roupies par jour, d’acheter des bananes mais mûres (et pas trop non plus, mon sac garde le souvenir ému de la bouillie maronasse que lui a valu deux bananes qui n’avaient pas trouvé preneur) et d’évaluer le mendiant. Cela évitera de faire comme la princesse Chotek qui a donné deux bananes (encore!) à un pauvre hère qui se traînait avec sa sébile au sol, à moitié nu. Il n’avait donc aucune poche pour remiser le mirifique butin, et a dû continuer de se traîner en ce triste équipage, encombré par ces deux fichues bananes qu’il ne savait où mettre… Bon voyage.

One comment on “Bananas pas assez mûres

  1. Reply helene Août 10,2006 19:44

    c\’est bô, j\’en ai versé des petites larmes. Mais pourquoi la misère alors qu\’il y a tant de egns riches en Inde. Pour un peu on deviendrait communiste pour un partage des richesses.
    Une occidentale qui aime les bananes pas mûres….

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