Angela 1

{mosimage}Aujourd’hui, il fait trois brins de soleil dans la Ville. Ah et puis non, les voilà déjà partis.
Je hais les gens qui ont un jour décidé que le cerveau du pays, comme chez n’importe quel mammifère, serait installé là haut, en son nord, gris et pluvieux. Résultat, ils sont des millions, manants, rois, reines, fées, et autres à devoir rester collés à sa mangeoire parce qu’ailleurs, il n’y a rien pour eux. Vous me direz, duchesse Chotek, vous n’avez qu’à vous casser au Sud avec tous vos millions.
Mais là est encore un sort de famille : je n’aurais droit à toucher le million que quand j’aurais trouvé chaussure à mon pied, et que la dite chaussure aura été approuvée par la majorité relative familiale selon un vote soumis à une proportionnelle très difficile à établir puisqu’elle prend en compte non seulement le vote des grandes personnes mais aussi le vote des animaux, des bébés, et des herbes du jardin (vous suivez ?). Sans compter que ma mère, Carla Brosse, a perdu la clé du coffre, alors que pouic. 

J’ai donc décidé de me téléporter aujourd’hui au Maroc où, s’il est souvent dur d’y vivre quand on en est citoyen (et surtout citoyenne) du roi, il y fait toujours bon voyager quand on est touriste et blanc. Mais évidemment, ça a foiré et j’ai atterri en premier lieu dans un commissariat de police alors qu’Angela, une Africaine –haïtienne de sa nationalité m’a-t-elle corrigée- essayait d’expliquer pourquoi la France, même sans papiers.

– Angela, ce que vous faites est mal ! (le commissaire)
– Mal mal mal ! (répète un affidé du commissaire)
– Pas bien pas bien pas bien ! (traduit le traducteur)
– Je parle français monsieur, précise Angela.
– Vous n’aviez pas à rentrer sur le territoire national sans papiers ! (le commissaire)
– Toi pas avoir à venir dans France sans papiers ! (le traducteur)
– Mais monsieur, proteste Angela, j’ai toujours précisé depuis mon arrivée à Roissy, que je venais déposer une demande de statut de réfugiée politique !
– Mon œil ! (l’affidé)
– Vous n’avez pas une tête de militante politique, proteste à son tour le Commissaire
– Toi pas avoir gueule de fouteuse de merde ! traduit aimablement le traducteur.
– Je suis pourtant persécutée à cause de ce que je suis ! Assure Angela.
– Et qu’êtes-vous donc ? S’enquière le commissaire.
– Toi qui es tu ? (le traducteur)
– Je suis femme, noire et pauvre, je suis mère sans mari ni père, scande Angela.
– Je n’appelle pas ça faire de la politique personnellement, glousse le commissaire.
– Toi pas être politiquement recevable ! (le traducteur)
– Elle est bien bonne ! Glousse de même l’affidé. Si toutes les bonnes femmes prétendaient la même chose, tu verrais pas qu’après un pédé à la Mairie, on aurait une pétasse à la Présidence !
– Je pourrais vous faire poursuivre pour ce que vous venez de dire, constate calmement Angela. C’est contraire à bien des lois, française comme européennes voire universelles, ce que vous venez de dire là.
– Ta gueule ! (le préposé)
– Singesse ! (le traducteur)
– Je ne vous ai pas demandé de traduire à ce que je sache ! (le commissaire)
– Scuzez moi (le traducteur, déconfit)
– En tout cas, soupire le commissaire, il y a un gars chez nous qui s’appelle Nicolas…
– Je sais commissaire, le coupe Angela.
– … et il est en train de faire passer à l’Assemblée un projet de loi visant à réduire fortement l’immigration clandestine, imposant également au demandeur de venir nanti de compétences professionnelles certaines et de diplômes certifiés conformes auprès de la Mairie de son lieu de résidence habituelle…
– Ohlalala, trop compliqué à traduire ça ! Geint le traducteur.
– Je suis qualifiée, monsieur le Commissaire, assure Angela.
– Ah tiens… et puis-je savoir en quoi ? (le commissaire goguenard)
– J’ai un doctorat de lettres créoles, conçu autour de l’œuvre d’Aimé Césaire !
– C’est bien ce que je pensais, soupire le commissaire, vous ne savez rien faire !
– Toi bonne à rien (confirme le traducteur).
– Bonne ni pour le statut de réfugiée politique (de toute façon, refusé de droit à tout Haïtien), ni pour le statut de cadre supérieur (déjà qu’en France, une femme noire cadre supérieure, ça n’encombre pas les bureaux, si ce n’est celui de l’APEC)
– Mais enfin, monsieur le Commissaire, proteste ardemment Angela, qui vide vos poubelles ? qui nettoie vos bureaux ? qui construit vos routes, immeubles et ponts ? Qui garde vos enfants ? Faut-il avoir fait Polytechnique pour cela ?
– Hors sujet, clame le commissaire. Nous allons vous reconduire à Roissy T9. Il y a un charter qui part pour Dakar…
– Mais Dakar n’est pas à Haïti, proteste le traducteur. La capitale de ce vaste merdier s’appelle Port-au-Prince !
– Dakar, Port-au-Prince, tout ça c’est un peu la même chose… grogne le commissaire.
– Commissaire ! Non ! je vous en supplie ! NON !

Le cri d’Angela me résonne dans les oreilles alors que fermant les yeux, je réussis à me téléporter du commissariat dans la vallée des roses, qui part de Boulmane-Dadès. Nous sommes tous coupables. A partir du moment où l’on est hors de ce danger là, au chaud, protégé, nous sommes tous coupables. On peut parler de lois, de quotas, de la nécessité de protéger les plus pauvres d’entre nous en ne leur ajoutant pas une autre misère, exotique et insolite, des équilibres culturels, économiques, tout se tient mais tout est faux parce que tout repose sur l’injustice. Une injustice aussi vieille et impénétrable que l’existence des Dieux. Celle qui fonde le monde et qui fait partie de notre vie comme la forme de nos yeux ou le grain de notre peau. Coupables.

J’atterris dans la vallée, enfin. Je boirai bien un peu d’alcool de figue, distillée par des musulmans qui ne veulent pas ressembler dans les usages à Mahomet, cela me permettra peut-être d’oublier ma honte et ma culpabilité qui me poursuivent avec dans les oreilles, toujours, le long cri d’Angela. 

One comment on “Angela

  1. Reply Helene Mai 23,2006 20:17

    super beau ton texte et c’est vrai, on est tous coupables. En plus avec ce qui nous attend en 2007 , il va pas faire bon vivre en france ! Mais pourquoi les immigrés sont ils tous stigamatisés, comme s’ils étaient la thèse , l’antithèse et la synthèse de nos malheurs en France? Et les enttreprises qui délocalisent à  l’étranger, et les actionnaires qui veulent vivre de leurs rentes, ils sont pas un peu coupables ?????

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