En avoir ou pas

Passés 30 ans, la guerre entre celles qui en ont un (de mec) et celles qui n'en ont pas (de mec) couve sous la cendre et éclatera bientôt un jour ou l'autre sans que ce soit forcément à coups de fusil (dans le dos).
 
Tant qu'on était jeune, les rencontres des unes et des autres pinçaient forcément un peu le cœur mais cela restait acceptable. Très vite, on adoptait (ou non) le jules de la copine, qui peu à peu prenait sa place dans le paysage de l'amitié pour parfois devenir même un bon copain. On avait même ses couples modèles, ceux comme qui on serait, parce qu'à la fois sympas avec l'extérieur et bien aimants à l'intérieur.

Et puis, on avait le temps, c'était arrivé à la copine, ça vous arriverait bien un jour. Les aventures se succédaient à un rythme échevelé (une tous les deux ans) et la copine, casée depuis bientôt 2, 4, 5, 7 années, recueillait vos déboires, avec parfois une pointe d'envie (sisi) car c'est que vous En Viviez de Ces Choses. Vous faisiez ce qu'elle n'avait jamais fait (coucher avec un homme marié, avec un homme plus âgé de 20 ans que vous, avec un type rencontré dans la rue, avec un vendeur de kiwis…) pas parce que vous étiez plus grivoise et elle, plus coincée, non, juste parce qu'elle, elle avait rencontré à un âge encore tendre (25-27 ans), l'homme de sa vie, se privant ou s'épargnant des aventures sans lendemain, cependant plus excitantes à raconter que la 452ème soirée avec jules.
 
En résumé : la solitude, à l'époque, c'était pas marrant mais ça restait supportable, parce qu'on avait le TEMPS.
 
Arrive 30 ans. C'est classiquement, socialement et biologiquement une étape, peut être parce qu'on est à la moitié de sa fertilité et que l'on est à rembourser sur 20 ans un appart, avec ouvriers sous ses ordres et primes de fin de mois, signe qu'on est un vrai adulte. C'est gravé dans les cervelles, fêter ses 30 ans entourée de tas d'amis, c'est chouette, mais sans mec, ça commence à sentir le cramé, du moins quand on est une fille dite normale, mais pas forcément sage et réservée (non, merci, la fellation, jamais la première fois). On connaît ainsi des féroces de la chair qui ont psychoté grave le jour de leur 30 ans car elles avaient tâté à un tas de mecs sans jamais avoir abordé le thème de l'amour et de la stabilité. Et puis, même les féroces de la fesse ont des ovaires bornés par le temps et la liberté dans son deux-pièces entre boulot et vacances à l'étranger ultra aventureuses, ça commence à lasser.
 
Arrivent les enfants des copines. Ceux qui naissent de copines plus âgées ou en couple depuis leur naissance ne provoquent pas d'émois trop violents. Un pincement au cœur quand la copine annonce, devine quoi… je suis enc… Enc. Vous vous dites que vous n'avez toujours pas trouvé le plus petit bout d'homme à aimer pour de vrai, et qu'elle, elle en est déjà à la deuxième génération. Merde. Mais après tout, ça faisait des années que cette grossesse vous pendait au nez.
 
Mais viennent alors les coups de grâce des copines célibataires A VIE qui rencontrent ENFIN un mec avec qui ça marche. Gros choc. Vous perdez encore une avec qui faire la noce ou visiter les Aborigènes. Vous avalez le coup et vous attendez l'annonce. Devine quoi, je suis enc… Enc. Là, ça sera dur, très dur. Déjà que la plupart de vos copines sont en couple, voilà que les dernières des Mohicans trouvent chausson à leur pied de guerrière, et voilà même qu'elles vont à leur tomber enc… Enc.
 
C'est là que la guerre peut s'ouvrir. Les dernières des Mohicans, comme les vieilles copines casées depuis le lycée, y sont des soldates parfois malgré elles. Certaines sont indéniablement égoïstes et bornées, n'ayant jamais connu le célibat, elles se demandent encore pourquoi la copine seule préfère éviter les dimanche en famille (la leur) les jours de pluie de novembre, ou pourquoi la vision de leur dernier né ne provoque pas chez les Esseulées des glapissements de joie. D'autres comprennent, et mieux encore, compatissent. Avec lourdeur ou avec grâce. Mais elles sont là. L'esseulée, qui a désormais ses ovaires à porter dans un terrain qui plus est quasiment déserté par les amis et les amies (tous en couple), commence à penser qu'on lui en veut et que son sort relève d'une profonde injustice. Ce qui n'est pas faux (mais tout est injuste dans la vie, dès la naissance et dans tous les domaines).
 
Aussi, l'Esseulée, la dernière des Mohicans, elle tend à devenir belliqueuse, et donc injuste. Souvent, les dernières des Mohicans font la guerre à des copines qui ne demanderaient pas mieux que de les aider, sans leur jules, sans leurs enfants. Mais la situation est explosive et tout est mal interprété. Tu es libre pour un ciné ? Ca veut dire que le jules est parti, la souris danse ou s'ennuie, elle pense alors, comme par hasard, à l'Esseulée. Tu m'invites à dîner ? mais y aura que des couples ! Tu m'invites à dîner ? Mais y aura que des nazes dans les célibataires ! Tu m'invites à dîner ? mais y aura que toi et ton jules ! Tu m'invites à dîner ? Mais y aura que toi ! Etc.
 
C'est la guerre je vous dis et les tranchées se creusent et les tranchées éloignent. Moins on partage du quotidien avec ses copines, moins on partage tout court. Une amitié sans partage est une amitié en train de se chanter à la mode du cygne. L'Esseulée a l'impression (pas fausse) qu'on l'oublie, qu'on la laisse tomber, sachant que la naissance d'un couple, c'est la naissance fatalement d'un égoïsme, à moins qu'on fasse des trucs à trois. C'est le bonheur qui laisse tomber, pas parce que le couple est forcément calfeutré, barricadé chez lui, non, mais parce que ce bonheur là, il ne peut pas être partagé. Viens dîner chez nous ! Mais y aura que vous deux ! ben oui, mais comment faire autrement ? Et d'un autre côté, qui a envie, au creux de sa tristesse de solitaire, de se payer une bonne tranche de bonheur d'un couple ?
 
No way.
 
Alors la tranchée se creuse, l'Esseulée se tourne vers les rares Esseulées restantes et on se monte le bourrichon. On se monte le bourrichon, d'ailleurs, de part et d'autre. Bien naïves celles qui déclareraient qu'elles n'ont rien contre les célibataires… elles n'ont rien pour non plus ! Elles vivent quelque chose d'unique, l'amour, que les célibataires  A VIE ne vivent pas et c'est bien assez pour souffrir. Bien injustes seraient les solitaires qui déclareraient que les couples sont tous pourris et égoïstes, elles feraient la même chose, en pire si ça se trouve !
 
Alors quand la copine de combat annonce, je suis enc… Enc. Alors là, la tranchée devient plus grande encore, car qui dit bidon, dit enfant, et qui dit enfant, dit que ça pompe, ça pompe énormément (toute une amitié). C'est ce que se dit la malheureuse célibataire, se sentant encore un peu plus rejetée dans sa solitude par un ventre rond et un voile de mousseline blanche innocemment jeté sur un berceau.
 
Sauf si on les a en même temps, les enfants. Sauf si on les a bien avant que ce soit l'âge de la guerre avec les dernières des Mohicans, qui font d'ailleurs de très bonnes marraines (aimer les enfants des autres avant d'aimer les siens). Sauf si, parvenues à l'ère des tranchées, on combat avec ardeur, et dans le bon sens de la lutte, travaillant à les combler, ces tranchées, lorsqu'elles apparaissent et travaillant aussi contre soi, sa parano, son envie, sa souffrance, sa frustration. De quelque côté qu'elles se trouvent.
 
Au boulot.

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