Le pervers pas pépère

Si vous avez raté la suite du début… Après avoir ramé, la princesse Marie Chotek parvient enfin à ses fins avec Marc, ce garçon très prometteur rencontré lors du mariage de sa cousine en pays bigouden : avoir une relation sexuelle avec lui. La dite relation s'est révélée plaisante, surtout dans sa conclusion, je vous parle pas d'orgasme mais d'ambiance relationnelle réciproque (bavardage, petit-déjeuner…), bref, tout laissant à penser que cette première nuit serait suivie de plusieurs autres… La princesse est partie, confiante, re-féminisée, se faire casser la margoulette (repas dominical chez ses parents). L'attente, à nouveau, s'installe…
 
Après avoir attendu pendant plusieurs jours, puis une semaine, puis… que Marc m'appelle, me laisse un message, un i-mail, m'envoie une lettre, un pigeon voyageur, après avoir cédé à la tentation, qui a consisté en le rappeler (message), re-rappeler (message), l'i-mailer, le re-i-mailer… après lui avoir envoyé une lettre tout à fois émouvante et détachée (comme vas-tu yau de poêle), dépêchée par un pigeon voyageur (Ernesto)… j'ai du me rendre à l'évidence : j'étais tombée sur un pervers pas pépère.

Cette triste révélation me fut faite alors qu'Ernesto s'en revenait, bredouille, de chez ce Landru de la pastille, après avoir traîné en route (chasse à la mouche sur les bords de Seine), et que j'étais au bord de l'arrêt cardiaque.

  • Il était LA?
  • Ben euh oui…
  • Il était pas MORT?
  • Ben euh non…
  • Tu l'as VU?!
  • Ben euh oui…
  • Tu lui as donné la lettre?
  • Ben euh non…
  • Mais pourquoi NON Ernesto? Misérable crapaud!
  • Ben ça aurait servi à rien… visiblement, ce type s'en fiche…
  • J'y ai dit que j'avais fait une erreur…
  • Mais il était tout SEUL?
  • Ben euh oui… je crois…
  • Et il avait l'air COMMENT?
  • Ben euh, normal…
  • TRISTE, MALHEUREUX, DESESPERE?!
  • Ben euh non… pas vraiment… il avait un éclair au chocolat dans la main et un catalogue dans l'autre… laisse tomber… c'est un pervers!

Ernesto avait raison dans sa grande sagesse de batracien, j'étais tombée sur un pervers pas pépère, espèce qui faisait plutôt habituellement partie de l'hommier de mes copines. Comme quoi, de vieillir, ça permettait d'ouvrir son champ d'expériences, comme c'est merveilleux.
 
Le pervers pas pépère est un type qui a tout du type normal, il est généralement beau parleur, séduisant sans être forcément une beauté à vaciller sur soi-même. Il a le don de vous faire exister, de vous donner l'impression que vous êtes unique, drôle, jolie et futée.

  • Ben euh, les autres hommes aussi… proteste MArielle, la des-années-casées.

Oui sauf que ceux là sont comme ça avec toutes, un clou chasse l'autre, essentiellement parce que Dieu a créé trop de femmes et qu'une vie ne suffit pas à en baiser plus d'1% du stock. Alors le pervers pas pépère est éperdu, souvent sincère à l'heure h où il est sur vous, et beaucoup moins dès lors que vous n'êtes plus dans son champ de vision. Il est obsédé par l'idée que cela puisse marcher, que la femme qu'il a levée puisse devenir sa copine, puis, horreur des horreurs, la mère de ses enfants. Cela voudrait dire renoncer au 1% de femmes du stock total qu'un homme de bonne volonté et un peu séduisant, est en droit d'espérer baiser avant sa mort (s'il meurt dans les 80 ans). Il ne jouit que dans la conquête, et sa perversité réside dans le fait qu'il fait tout pour vous faire croire qu'il n'est pas ça, un pervers pas pépère, et qu'il y arrive très très bien.
 
J'avais déjà testé le N'attends rien de moi, explicite ou implicite, qui peut être brutal et désespérant parfois, mais qui du moins, ne vous promettant certains pas des demain, on rase gratis, vous laisse en définitive une impression d'honnêteté, surtout par rapport au pervers pas pépère.
 
Ma copine Eglantine a vécu ainsi des années accrochée au rêve de Il va divorcer, le type ayant été jusqu'à faire une tentative de suicide quand elle a craqué et décidé de le quitter, elle est donc revenue vers cet homme visiblement si attaché… pour le larguer, enfin, définitivement quand elle l'a croisé bras dessus bras dessous avec sa femme, enceinte jusqu'à la péridurale, alors qu'il lui avait juré sur ses beaux draps qu'il n'avait plus aucune relation sexuée avec cette dernière depuis leur rencontre (3 ans) avec elle, Eglantine. On avait arrosé ça au champagne, sa rupture, pas la grossesse de l'autre, car fallait bien se remonter le moral.
 
J'ai arrosé mon pervers pas pépère au champagne avec Aveline, qui avait eu aussi tâté du pervers pas pépère, il y a quelques mois, dans la personne d'un ami d'ami, rencontré à une soirée, et qui, à chaque fois qu'il était pied du mur (du lit), trouvait toujours un moyen de se défiler. Dès qu'elle s'éloignait, il accourait, piquette et fleurs en plastique à la main (un garçon au goût peu sûr), mais dès qu'en elle renaissait l'espoir que peut être qui sait, car il était drôlement chouette en dehors de tout ça (la piquette), il fichait le camps.
 
Je suis rentrée, bourrée. Ernesto est sorti de derrière le frigidaire pour me passer un savon.

  • Tu vas pas devenir alcoolique à cause d'un salaud?
  • J'étais déjà alcoolique avant…
  • Mais ce SALAUD accentue la pente!
  • C'est pas un salaud… hips… c'est un pervers pas pépère…
  • N'importe quoi! Il a grogné. Un pervers pas pépère… encore un truc de marketing! Un chat est un chat, aussi sûr que je suis une grenouille, et ce mec est un SALAUD!

J'étais certes reconnaissante à Ernesto d'essayer à sa façon (la colère) de me sortir de cette ornière, ultime avatar de ma vie d'ex jeune fille mais ça n'était d'aucun effet sur moi. Tant il est vrai que je succombais à une certaine forme de désespoir, car si les mecs biens et avec qui on avait une relation visiblement indéniablement sympa, pour ne pas dire sonnant juste (je n'ose pas dire vraie), à quel sein se vouer ? hein ?

  • Ce type était peut être et sympa et salaud… il a marmonné avant que d'aller poursuivre sa nuit derrière le frigidaire, en me le tenant pour que je puisse m'y glisser derrière lui.

Ce que j'ai fait. Je suis restée les yeux ouverts dans le noir, longtemps, me sentant vidée, l'effet champagne commençait à se dissiper et ma bonne vieille plaie, Marc-coup-de-couteau, se réveillait lentement mais sûrement. Qu'est-ce que ça faisait mal ! Un mal de chien, pire que quand j'étais petite, alors que j'aurais été censée m'endurcir avec les années.
 
Avant, c'était déjà dur mais là, ça devenait insupportable. Plus le temps de se tromper. Et si on se trompe, on recule de dix cases en soi au moins. Le genre de rencontre qui vous fait dire, il aurait mieux valu que je ne le rencontre pas, alors qu'avant, je me disais, toute expérience est bonne à prendre. Je ne cessais de me répeter avec douleur, il aurait mieux valu qu'il rate son train pour Kimperlé, que ma cousine ne se marie pas, qu'il meurt écrasé par sa grand-mère, que…

  • On peut dormir?! A râlé Ernesto en me donnant un coup de coude.

Je ne pardonnerai jamais à Marc de m'avoir ainsi si « justement » roulée dans la farine, il aurait mieux valu qu'il joue franc jeu, je veux pas de toi, tu me dégoûtes, c'est physique, on se fait la bise et puis, ciao, ou, écoute, j'ai une femme, cinq enfants, on baise et on se fait la bise, et puis ciao, ou alors, écoute, j'ai pas envie d'avoir une nana dans mes meubles, déjà que j'ai ma grand-mère, alors on se paye un petit coup vite fait, et on se fait la bise, et puis ciao, ou alors…

  • Marie, tu me les casses! A hurlé Ernesto, rouge de colère. Comme si c'était crédible toutes ces révisions d'histoire! T'es tombée sur un salaud, donc un faible, un lâche et un égoïste, ces trois éléments étant vendus toujours ensemble, alors maintenant, passe à autre chose… ça fait bientôt un mois que tu me pleures dans les oreilles, ça commence à me pourrir le moral que j'avais toujours sec jusqu'à présent!

Je suis donc partie sangloter dans mon lit. Parce que je pouvais pas m'empêcher de penser tout haut, j'aurais tant préféré qu'il n'ait pas existé, qu'il m'ait plu mais juste un tout petit peu, que j'en aurais été alors soulagée qu'il ne s'accroche pas, etc.
 
La boucle, quoi.
 
Le matin m'a trouvée dans un état lamentable. Et en plus, c'était le jour madame Irma revenait travailler avec nous. A l'essai. Hôpital psy de jour, mi-temps thérapeutique. Je me suis ré-enfoncée sous mes draps, la couette clouée sur les cheveux, qu'Ernesto a violemment tirée en braillant :

  • Debout, debout! Le prince charmant sonne à la porte!
  • Hein quoi?! MARC!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
  • Euh non, le releveur de compteur électricité…

En soupirant, je me suis levée. La mort plus que dans l'âme, partout dans moi.

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