J’arrive pas

J'arrive pas à écrire, que je gémis à Ernesto qui râle. D'habitude, je disparais toute la journée, là, j'ai eu la bonne idée de prendre quelques jours pour écrire. Avancer vers la gloire. Mais rien ne vient et je l'empêche de vivre sa vie. Je suis assise comme une vieille femme constipée sur sa chaise percée et rien ne vient, que je lui dis. Excédé, il me met dehors avec un, va chier ailleurs.

Il fait un temps superbe froid. Ciel bleu, soleil, lumière rasante d'automne, mais miss Culpa ne me lâche pas. Elle hante tous les artistes, bons ou mauvais, mais aussi les salariés très motivés, d'accord, les fayots du système qui veulent toujours en faire plus, et elle me hante moi. Qu'est-ce que je fous dehors alors que j'ai sacrifié 3 de mes congés pour décrocher le Nobel. Je me retrouve à errer dans les Tuileries, et si l'héroïne à force de désespoir solitaire avait une aventure avec Jésus qui l'initierait au paradis? Je soupire et mes pas me conduisent au jeu de paume, une expo de photos. Lee Friedlander, une peinture sociale des Etats-Unis, années 50, 60, jusqu'à 2000 avec échappées au Japon, à Paris ou au Caire. Allons y. C'est bien les expos de photos en noir et blanc, l'œil glisse dessus et la tête continue de penser avec miss Culpa à la batterie. 

Murs recouverts de petits cadres blancs avec des photos noir et blanc. Je suis poursuivie par un obsédé qui n'en a que pour ces cadres, il les mesure de l'index et se désole de ne pas pouvoir trancher, blanc  blanc, blanc crème, ou blanc ivoire ? Et si je faisais entrer Baba dans l'histoire, un arrière-fond historique et dramatique, ça donne tout de suite de la profondeur non? Les commentaires des gens empêchent parfois miss Culpa de faire son travail. Ohlala t'a vu leurs têtes. Auto-portrait, auto-portrait, mais il est où le mec ?! C'est son ombre, l'auto-portrait, regarde, il apparaît mais sous forme d'ombre, c'est pas fantastique ça ?! Magnifique, tout simplement magnifique, s'esbaudit une vieille dame en orange devant une photo qui représente des branches d'arbre enchevêtrées. Est-ce mon état ? Moi ça ne me paraît pas magnifique. Je ne vois que le premier degré, des branches mortes qui pendouillent, c'est la faute de miss Culpa, elle m'enlève mes dimensions.
 
Je reste plantée devant un mur de femmes nues. Je n'y vois que de la bidoche, encore un coup de miss Culpa, une mère de famille entraîne au loin de cet étalage bidochesque, son jeune fils qui se tord le cou pour essayer au moins d'attraper une demie foufoune. Des parents et leur fille adolescente restent plantés devant. Je les trouve sacrément pas épilées, finit par constater le père, tu as raison chéri, opine du bonnet sa vénérable épouse, que de poils… sans compter que leurs seins pendent, confirme d'un ton dégoûté la gamine, on dirait des pis de dinosaure. L'homme qui regarde à côté d'eux n'a pas l'air de cet avis. Je vois bien qu'il bande, j'en suis sûre, il va se jeter soudain sur une des photos, celle aux seins de dinosaure, ou celle de miss foufoune écartée, si c'est pour penser à des trucs aussi stupides, tu aurais pu aussi bien rester sur ta chaise percée, râle miss culpa.
 
Photos d'ouvriers au travail, Ontario. Un ouvrier a un fil de fer qui lui traverse la tête. Effet d'optique, commente laconiquement un homme à mes côtés. Ah bon, fait sa femme d'un ton déçu. Photos d'employés de bureau à l'air inspiré, on dirait nous au travail, un air d'ennui et de dépression nord-américaine aggravé par le noir et blanc, on les pousserait presque à en finir. Et si je créais un huis clos dans un exposition de photographies, salle I, chapitre I, salle 2, chapitre II… et Jésus qui fait son chemin de photos jusqu'à la salle douze où tous les visiteurs le punaisent au mur, ahahaha quelle bonne idée, glousse miss Culpa.
 
Je rentre à la maison, lessivée, la tête plus lourde qu'un lingot. Ernesto regarde Adapation, avec Nicolas Cage, d'un certain Kaufman, c'est l'histoire d'un scénariste, gros, laid et raté (son propre constat), qui peine affreusement à adapter un livre sur les orchidées, tout en peinant parallèlement à réussir à enfin quéquéter une blonde, visiblement partante mais ses complexes à lui sont trop patents comme on dit. Je veux regarder les pubs, je pleurniche à Ernesto, un truc creux, vide et coloré. Chut! Il m'exhorte d'un air furieux. Regarde plutôt ! 

Je regarde, je retrouve miss Culpa version scénariste américain, je la laisse avec soulagement s'en prendre à ce malheureux, mélange de fiction, de réalité, allers retours entre le livre, le scénario et la vie « réelle » du scénariste, j'abandonne enfin miss Culpa, c'est captivant et la fin est rudement bien menée.
 
Mais je retrouve ensuite miss Culpa dans la chambre, assise sur le radiateur. Tu vas bosser maintenant j'espère ? Elle me fait. J'allume l'ordinateur, pour faire semblant, et je m'en vais me coucher derrière le frigidaire avec Ernesto. Miss Culpa est mon ombre, l'ombre de l'auto-portrait du photographe qui, lui, a réussit à laisser scotchée sur une bobine. Trouver la bonne bobine. Ouais c'est ça, grogne Ernesto, mais demain. Bonne nuit.

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