On mange tous de la merde à un moment ou à un autre

Fast food Nation. Voici un film tranquillement décapant, peut être pas follement original mais qui pose indéniablement de bonnes questions.

En Arizona, non loin de la frontière mexicaine, une chaîne de restauration rapide (imitation MacDonald) a implanté son usine de fabrication de steaks hachés congelés. Les vaches entrent par une porte et ressortent par une autre sous forme de galettes rouges et glacées pour être expédiées dans tous les restaurants Mickey's de la chaîne à travers le pays. Entre ces deux opérations, un immense ballet de femmes et d'hommes en blanc qui tuent, coupent, découpent, rangent, nettoient au jet bouillant les sols tachés de sang pour 10 dollars par heure. Ce qui n'est pas volé, me direz-vous, certes, mais encore faut-il tenir la cadence, ne pas s'asphyxier aux odeurs délétères du lieu et surtout ne pas perdre un bras, une jambe dans une de ces machines qui coupent, tronçonnent, hachent la bidoche.

Autour de cette usine, et d'un des restaurants Mickey's situé dans la ville d'à côté, gravitent une galerie de personnages qui prêtent ainsi leur visage et leur vie à cette triste fable de l'agroalimentaire moderne (avalé fissa). Des ouvriers mexicains, clandestins démarrant au bas de l'échelle, accumulant les heures de travail dans l'usine, recourant parfois à la drogue quand ils craquent, et offrant leur corps (pour certaines des Mexicaines) par amour ou par intérêt (désespéré) au contremaître « gringo ». Un jeune cadre dynamique, responsable Marketing du groupe Mickey's, venu enquêter suite à d'inquiétantes rumeurs qui voudraient que les steaks contiennent des traces de merde (ce qui, comme dit à moitié en rigolant une de ses associées, « ce qui est grave, quand on vend de la merde, c'est qu'on risque de tuer un client qui ne reviendra plus acheter chez vous, principe de base de tout bon marketing »…). Son enquête le conduit à s'alimenter (du bout des lèvres car la rumeur tend à s'avérer des plus fondées) dans le Mickey's du coin, à sympathiser de façon très américano-commerciale avec la jeune lycéenne, Amber, qui tient la caisse, un autre des personnages récurrents du film, et à rencontrer différents individus ayant maille à partir avec cette usine.
 
Il rencontre ainsi l'oncle de la femme du manager du Mickey's local, un ancien rancher qui a vendu en son temps ses vaches à l'usine. Sa femme de ménage explique diligemment à Don, l'homme du marketing donc, comment de la merde arrive à se retrouver dans votre steak… Les préposés à l'enlèvement des viscères doivent faire vite, de plus en plus vite, alors, dans la précipitation, la chose est mal faite et leur contenu tombe sur la viande qui part se faire transformer en steak. Il n'y a ni bons, ni méchants, explique l'oncle (mais les gérants de l'usine sont tout de même de sacrés pourris de chez pourris!!!! récrimine-t-il), c'est juste une machine qui contrôle tout dans ce pays et qui s'emballe de plus en plus…
 
Il rencontre aussi un autre individu, interprété par Bruce Willis, assez impeccable dans le genre cynique mais logique, qui négocie le prix de la viande pour Mickey's tout en s'occupant de ce qu'il faut bien appeler, sans rigoler, du service suivi qualité. C'est lui qui a d'ailleurs cette phrase définitive, "on est tous amenés à un moment ou à un autre à manger de la merde… Il suffit juste de bien cuire le steak et tout ira bien". Mais quand même, s'indigne Don, ce n'est pas honnête ! Ce n'est pas normal ! Les ouvriers mexicains sont qui plus est exploités ! Ah tiens ? Rigole l'autre. Dans leur pays, ils gagnent environ 4 dollars par jour, ici, ils en gagnent 10 par heure ! Demande leur donc s'ils veulent que l'on ferme cette usine ! Suit après un cortège de menaces voilées, où il recommande à Don de se méfier du grand chef (qui se méfie du manager), qui, de toute façon, va avoir la tête coupée (corruption et autres petits tracas).
 
Le film se termine sur des images plutôt rudes… Le film était jusque là, non pas léger, mais assez paisible. On voyait même les Mexicains qu'on avait suivis jusque là, commencer à tirer leur épingle du jeu. L'un d'entre eux a un accident très grave (un autre perd sa jambe), on découvre à cet effet de la drogue dans ses urines, et sa femme est obligée de coucher avec le gringo pour avoir un emploi sur la chaîne qu'elle avait quittée pour travailler dans un hôtel (job moins bien payé mais bien plus supportable). Elle se retrouve à traverser l'enfer des salles d'abattoir où les bêtes s'écroulent électrocutées pour être ensuite dépecées dans un style et une ambiance parfaitement trash. A voir le visage de la malheureuse, on devine combien, outre les images atroces, l'odeur est insupportable (respire par la bouche, lui recommande le sémillant gringo qui se tape toutes les Mexicaines).
 
Voici ainsi les (plus ou moins) bonnes questions posées… Qui est coupable ? Dites nous ! A qui profite le crime ? Comment faire si les plus démunis y trouvent leur compte ? Acceptez-vous de manger de la merde à partir du moment où elle est cuite ? Avez-vous encore envie de manger de la viande quand vous savez comment elle a été tuée et préparée ? Faut-il être très courageux ou très stupide pour envoyer balader ce système (démissionner de son poste de manager par exemple) ? Avons-nous conscience de ce qui sépare le steak dans notre assiette de la bête qui courait joyeuse et nue dans son champ… Etc.
 
Seule Amber, la jeune fille qui tenait la caisse chez Mickey's, semble épargnée par ce cynisme environnant, qu'il soit factuel ou rhétorique. Elle quitte son poste chez Mickey's et se met à militer contre l'usine ainsi que l'exploitation des animaux, parqués par centaines dans leur ranch (25 kilos de merde et de pisse par joru par bête déversés dans les eaux alentour…). Quant à Don, on le sent prêt de jeter l'éponge et s'en aller vendre du dentifrice ou des savonnettes, mais non, lui aussi fait partie de cette machine qui ne s'arrête jamais. La dernière image le montre présentant le dernier produit phare de la chaîne Mickey's…

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