Quand mercredi, en bonne fille, j'ai appelé ma mère pour lui soutenir le moral, c'est une petite voix d'enfant qui m'a répondu.
-
Qui c'est? J'ai bramé à l'autre bout du fil.
-
Orneille! Le roi de la groseille! A glapi le petit con.
-
Mais qu'est-ce que tu fiches ici? J'ai demandé, peu amène.
C'est vrai ça. Qu'est-ce que fichait cet avorton chez ma maman à moi ?!
-
Ben c'est mercredi, il a répliqué, mercredi, c'est grand-mère Carla qui nous garde!
-
Mais je croyais que…
-
On revient du musée Guimet! A jappé une voix dans le téléphone.
C'était ma mère.
-
Une projection admirable d'un film sur la guerre en Afghanistan! Des paysages somptueux! Grandioses!
-
Mais je croyais que Parfaite te boycottait…
-
Comme tu y vas, a protesté ma mère, Parfaite tient à nous et elle m'a appelée ce matin avec grande délicatesse pour me proposer de garder Orneille cet après-midi…
-
Ah tiens, j'ai fait d'un ton déçu, elle s'est rendu à la raison?
-
Oui! A répondu ma mère. En plus, elle voulait faire les soldes et sa «mère» ne pouvait pas garder Orneille cet après-midi!
-
Ah tout s'explique… j'ai répondu en jubilant intérieurement. Elle a fait appel à toi parce qu'elle avait besoin de toi!
J'ai raccroché car Orneille voulait que sa « grand-mère chérie » lui fasse des tartines de Nutella, Nutella que je lui aurais tartiné avec bonheur sur sa sale trogne de gluant.
Quand j'ai raconté ça à Eveline, ce soir là, alors que nous commencions notre régime d'hiver pré-printanier par un pré-régime à base de fondues savoyardes avec charcuteries de tous les pays, elle m'a répondu ceci :
-
Ta parfaite m'a l'air d'être véritablement parfaite… du genre à être toujours élue, même après détournement de fonds de campagne ou bourrage d'urnes…
-
Son truc, c'est qu'elle arrive aussi toujours à te faire sentir coupable… en tant que grande coupable, je ne supporte pas ça les gens qui ne sentent jamais coupables de rien!
-
Moi non plus, a admis Aveline, c'est insupportable, on est tout seuls à porter les croix, la sienne et celles des autres!
-
Et tu te sens en plus merdeuse de lui prêter de mauvais sentiments, et d'oser émettre l'idée qu'elle n'est peut être pas très réglo… Elle est du genre à te faire avaler les pires trucs avec le sourire, ce qui coupe court à toute protestation: c'est bien simple, c'est la vierge Marie en personne jurant à sa mère qu'elle n'a pas fauté et que c'est Dieu qui l'a voulu!
-
Ca me fait penser, a dit d'un ton songeur la Parfaite, que quand j'étais plus jeune, 45 printemps, j'ai eu une histoire avec un type… il n'a jamais voulu sauter le pas et habiter avec moi… à l'époque on disait «se marier avec moi»… je me suis dit qu'il ne fallait pas le brusquer, que c'était la dernière chose à faire et que ça allait tout gâcher… qu'en plus, un marié forcé, c'est un futur divorcé… résultat des courses, il est parti avec une autre fille, un an après, avec laquelle il s'est marié de suite!
-
Peut être qu'au fond, c'était pas un homme pour toi… qu'il aurait véritablement fait un divorcé dans l'année…
-
Attends, à la même époque, j'avais une copine qui avait le même problème… eh bien elle a pris ses clics et ses clacs, et elle s'est installée chez une copine… le type est venu la récupérer quelques jours après, ils se sont mariés et depuis, ils ont cinq enfants!
-
Mais peut être ne sont-ils pas heureux? Ai-je demandé pleine d'espoir.
Merde, un peu de morale bon sang !
-
Si! Ils baignent dans le bonheur! S'ils pouvaient, ils se remarieraient une deuxième fois ensemble!
-
Mince alors…
On a médité tristement devant une vodka caramel cette triste amoralité de la vie qui voulait que si on était une fille honnête, on se fait tout sauf mettre dans la légalité.
-
Je ne vois pas le rapport avec la Parfaite, a protesté Ernesto quand je lui ai raconté ça. Ca n'a rien à voir!
J'ai vainement tenté de lui expliquer en quoi, le fait de se conduire comme une opportuniste et une ingrate avec mes parents, était à la fois une insulte à la chance que la Parfaite avait dans la vie, et en quoi, cette chance qu'elle avait dans la vie, était un vol caractérisé à l'égard des filles honnêtes qui « ne veulent pas brusquer les choses » et qui respectent ainsi plus les gens qu'elles-mêmes…
-
N'importe quoi, a grommelé Ernesto, je ne m'étonne plus que tu sois seule avec des raisonnements pareils!
Je l'ai laissé ronfler derrière le frigidaire. Moi-même j'avoue je n'arrivais pas bien à comprendre ce que je voulais dire. J'avais juste le sentiment que les poches de la Parfaite débordaient quand les miennes étaient vides et que sa triste attitude vis à vis de mes parents était encore là le signe que les gagnants sont forcément impunément malhonnêtes, empêchant qui plus est les justes d'accéder à leur part de bonheur (tout en les faisant apparaître comme des grands handicapés de la vie).
LA PARFAITE PAS SI PARFAITE QUE ça !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!