On meurt de plus en plus autour de nous… 1

Avec Aveline, cette semaine, on s'est fait un plan gravement morbide. On a recensé les morts de préférence jeunes de notre entourage (tous les plus de quatre vingt ans étaient exclus de notre étude) et on a chocotté velu. Je lui ai raconté que la mère d'une petite copine de Ambre, la fille de Parfaite, venait de quitter le navire suite à une tumeur au cerveau. Nous avons longuement analysé cette terrible information qu'Aveline a complété par le récit qu'elle tenait dune voisine de sa mère, elle-même atteinte d'une maladie rare et sans issue, l'histoire d'une famille dont un des enfants était handicapé et devait mourir très prochainement (c'est le médecin qui leur avait dit) et quelques jours après, la mère se réveille à côté de son mari froid comme un cadavre.

  • C'est pas vrai?! J'ai glapi.
  • Si! Je te le jure! Affreux!

Du coup, la gamine handicapée a suivi de quelques semaines son père dans la tombe.

  • Mais qu'est-ce que tu fais quand un truc pareil te tombe dessus? J'ai gémi à Aveline.
  • Tu te bats! M'a-t-elle répondu d'un ton emphatique. Ou tu te jettes par la fenêtre…

Avec tout ça, on s'est rendu compte qu'on avait toutes les deux de très gros maux de tête. Aveline, depuis un mois. Moi, depuis dix minutes. Je suppose qu'Aveline avait des migraines à cause de Peter le maori qui l'avait beaucoup malmenée sur son île-continent.

  • Pas tant que ça… a émis faiblement Aveline, il était gentil quand même…
  • Gentil comment? Quand il t'interdisait de manger de la viande et des gâteaux? Quand il te privait de douche?
  • C'est plus compliqué que ça, a répliqué cette nouille, il était dans son monde… un monde idéal…
  • Ahah fais moi rire! J'ai gloussé vigoureusement. Tu parles d'un monde idéal!
  • A son sens oui…

On s'est dit alors qu'on irait passer un scanner ensemble, main dans la main, ce sera moins euh triste.

  • Il y a de plus en plus de gens qui meurent autour de nous… j'ai énoncé d'un ton pénétré. Et je ne te parle pas des gens qui meurent à la guerre en Irak hein… non… des vrais gens… comme toi et moi!
  • C'est vrai, a gémit Aveline, y en avait pas autant avant… on est cernés par le cancer!
  • Malheureuse! J'ai dit. Ne prononce pas ce mot!
  • Mince! Elle a fait en mettant sa main sur sa bouche.
  • Sans oublier, j'ai ajouté, qu'une amie avait trouvé un remplacement de congé maternité, et v'là -t-y pas que la femme a accouché avant terme d'un enfant mort né!
  • Mince alors! A glapi Aveline.

Nous nous sommes serrées l'une contre l'autre, environnées dehors par le vent et la pluie glaciale (risques de verglas, donc de morts encore) sans oublier l'absence de mec. Dans ces cas là, je pensais forcément à la mort des miens, mais honte à moi, beaucoup à la mienne et à celle de mes enfants que je n'avais pas. Aveline devait lire dans mes pensées car elle a dit :

  • Dès fois, je suis heureuse de ne pas avoir eu d'enfants…
  • Mais tu peux encore en avoir! J'ai protesté.
  • Non, je suis fichue… elle a gémit. Outre que je n'ai pas un poil de mec sous la main, j'ai en plus régulièrement mal dans le bas du ventre, la chambre à coucher des mômes… je crains le pire…
  • J'aurais peur, j'ai déclaré à mon tour, d'avoir toujours peur… genre L'arrache cœur de Boris Vian tu vois… tu vois le danger en permanence et tu cours d'un risque à l'autre…
  • Oui mais si c'est pour avoir des enfants et les mettre en cage, a protesté Aveline.
  • Justement! J'ai braillé. Comment on fait hein?!

Je n'avais pas envie de passer ma vie à guetter la dégénérescence de mes cellules, les accidents de la circulation de mes enfants rentrant de l'école, trembler à la moindre maladie. Sans compter que je n'avais même pas de mec. Mais il est vrai, en conséquence, aucune raison d'avoir des enfants.

  • … sans oublier la délinquance et le viol, a ajouté Aveline d'un ton sinistre.

Avec tout ça, mon mal de tête avait empiré. J'ai essayé de ne pas regarder sur internet les symptômes de la tumeur au cerveau mais c'était pas facile. Je me suis enfuie au fond de la pièce quand l'écran est apparu avec les schémas. Aveline a fuit avec moi car son mal de tête a empiré.

  • En même temps, nous fait remarquer Ernesto, si vous comptez tous les gens qui sont morts autour de vous et que vous connaissiez même de loin, ça fait quelques centaines à tout casser… alors, rapportés à la population globale… bof quoi…

Il avait peut être raison. On était peut être victimes, Aveline et moi, d'un effet loupe ?

 – Je crois que je préfèrerai encore un c… du sein qu'une t… du cerveau… a constaté Aveline. Je ne connais personne qui n'ait guéri d'une t… du cerveau alors que d'un c… du sein, j'en connais un paquet! 

– Je connais quand même pas mal de bonnes femmes autour de moi qui sont mortes d'un c… du sein…

– Combien? M'a demandé d'un ton anxieux Aveline.

– Euh au moins 2… voire 3…
 
Je me suis ensuite vautrée dans le canapé avec un verre de porto à la main, vivons dangereusement… tandis que Baba me lisait les faits divers médicaux dans le journal tout en me rapportant que l'on avait trouvé un cancer du sein à la fille de la boulangère, 14 ans. Je ne savais même pas qu'on avait des seins à cet âge là. Puis on a regardé en silence l'enterrement de l'abbé Pierre, sorte de point d'orgue de cette journée d'angoisse de mort. Baba reniflait follement à côté de moi en marmonnant quel bel enterrement, je veux le même, quel bel enterrement, je veux le même… elle qui n'aurait pas versé une larme pour une créature de ses connaissances, elle pleurait à la fin à chaud bouillon, et sur ce, je me suis endormie. 

One comment on “On meurt de plus en plus autour de nous…

  1. Reply ln22 Jan 27,2007 11:16

    pas très gai la cricri
    c\’est vrai quand on fait le compte, ça rend tout chose
    carpe diem

Leave a Reply