Entrechats, mal à le genou

Lundi 19 mars. J'attends sagement dans la salle d'attente de la clinique mes résultats d'IRM, tandis qu'Ernesto venu me soutenir et qui joue au cochon pendu sur un bras qui sert à porter les transfusions, s'interrompt soudain pour me demander d'un air angoissé en quoi consiste une rème.  
 
I-R-M. C'est comme si on t'enfermait dans un cercueil, qu'on t'enfournait dans un four et qu'on donnait de violents coups de marteaux dessus, vlang, et vlang et vlang. Ca a un côté musique contemporaine aussi. Je comprends qu'ils te demandent si t'es claustrophobe, parce que dis donc, dedans, le seul horizon, c'est une petite lucarne par laquelle tu vois des têtes s'agiter dans la tour de contrôle.
 
Mais Ernesto s'en fiche, il a trouvé un nouveau jeu. Faire tourner les fauteuils roulants dans le hall de la clinique.

  • Oh ben ça alors Monique!
  • Bernard! Qu'est-ce que tu fais ici?!

Mes voisins de salle d'attente ont réalisé qu'ils se connaissaient. J'abandonne la lecture de mon journal pour les écouter (je suis devenue mono-tâche, impossible de faire deux choses à la fois).

  • Je dois me faire opérer du genou… le ménisque… pas prêt de redanser avant longtemps ma pauvre Monique…

Explique le Bernard. Doit danser le tango ou quelque chose dans ce genre là, je me dis. Pas un truc trop acrobatique, ou trop jeune, genre hip hop, à deux, ils doivent nous faire un centenaire je pense (j'ai rien contre les centenaires, même s'il y a des jeunes qui meurent).

  • Et toi? Bernard demande à Monique.
  • Mon genou… affreux… vu rhumatologue… peux plus rien faire… mal devant, mal derrière… peut plus danser non plus! Je vais me faire opérer ici parce que c'est bien ici… cher mais bien…

Tu m'étonnes Monique. 230 € l'IRM, 150 € pour le médecin, 81 € de dépassement d'honoraires. Fallait vraiment que je sois faible et désociabilisée pour que je tombe dans le panneau.

  • … pour l'opération, continue Monique, c'est 10000 € pour le médecin, et 5000 € pour l'anesthésiste… HONTEUX mais bon, c'est mieux que… ailleurs.

Les hôpitaux quoi. Ceci dit, tel qu'en parle Monique, on croirait une histoire de maffieux, je prends tant et je te donne tant pour la piquouse, moi ça me plairait pas tant que ça.

  • Ohlalala, gémit soudain Monique, moi si on me dit que c'est fini, que je peux plus danser… car autant dire que danser c'est ma vie… je sais pas ce que je vais devenir…
  • Bah tu feras autre chose… de la cuisine par exemple… lui répond Bernard, fin psychologue.

Mais moi je vous dis que Monique, à son air, on voit bien qu'elle n'a pas du tout envie de faire la cuisine.

  • Suis venue en taxi. Personne pour me rendre service c'est HONTEUX tu passes ton temps à rendre service et toi on fait rien pour toi personne pour me conduire à la clinique ce matin… pris le taxi, des tas de détours, prenait pas les chèques, j'avais que 17 € c'était 20 € alors il m'a dit ok, on va pas mourir pour 3 €…

Quoique.

  • Ah les gens tu sais, faut leur rendre service si ça te fait plaisir mais rien n'attendre d'eux, c'est mieux, sinon…

Lui réplique Bernard, le philosophe.

  • Et même pas pu me faire rembourser inscription à l'année à l'école de danse, c'est HONTEUX, j'ai dû demander au chirurgien un certificat pour faire la preuve mais c'est HONTEUX, tu te rends comptes, Bernard…. j'y suis depuis 1997!!!!

10 ans Monique. Et pas un poil de gratitude malgré tous tes entrechats devant la glace avec les autres danseuses. Un jour, j'ai essayé les cours de danse, au premier rang, y avait que des ménagères de 50 ans, avec le parfait uniforme de la danseuse tout impecc, et les soutards aussi, en dentelle, impeccables, quand toi, tu viens avec un vieux jogging et des chaussettes trouées. Des fayotes qui dansaient impeccablement, au premier rang et qui draguaient le moniteur qui aimait beaucoup se regarder dans la glace. J'ai jamais poussé plus loin et j'ai des genoux en pleine forme. 

  • C'est vrai que c'est pas commercial ça, admet Bernard, tu leur dis que tu vas aller voir ailleurs et puis voilà ce qu'ils auront gagné… t'attends les résultats de l'IRM?
  • Ohlala non, je suis pas encore passée, à l'Irm, j'ai la peur en dedans car on t'attache les mains…
  • Mais non enfin! t'as juste les bras le long du corps…
  • Oui mais c'est comme être attaché, tu peux pas bouger…
  • Madame Velcro?
  • J'y vais! C'est à moi! Fait Monique en se levant d'un bond.
  • Allez salut bon courage, troisième tombe à droite hein… lui répond joyeusement Bernard.

Sourire crispé de Monique. N'a pas envie de nourrir trop tôt les vers de terre et moi non plus.

  • Tu aurais dû leur dire que t'avais eu une noix dans la tête, m'a dit ensuite Ernesto, ça leur aurait fait ravaler leurs entrechats…
  • Bah, je fais, c'est pas marrant non plus les genoux pétés.

Ce qui est vrai, à croire que le sport bousille le corps. Le radiologue m'appelle dans le couloir. Il doit avoir entre 12 et 15 ans je dirais. Un tout petit bonhomme avec un air d'innocent. Les résultats sont bons, pas admirables, mais bons, peux mieux faire. Par exemple, on voit fort bien le puits, le tunnel que le charmant chirurgien a creusé dans mon crâne pour cueillir ma noix, mais ça devrait se tasser avec le temps. Voir ça au prochain trimestre.
 
Je repars le cœur plus léger. Il fait froid mais j'ai la tête vide. Ouf. Je vais pouvoir aller danser héhé.

Leave a Reply