Il a bien fallu rentrer un jour au turbin, dans la vraie vie, avec horaires et réveils matins. Après 3 mois d'appartenance identitaire au groupe de Ceux et de celles qui se lèvent à midi et vivent au crochet de la société, j'ai donc resorti mon cartable de l'armoire avec les affaires d'été pour m'en aller suer à nouveau entre quatre murs.
Je suis arrivée sans forme aucune, pour découvrir que mon collègue de cœur, Saint François, n'ayant pu me remplacer entièrement, chose rassurante car me donnant l'illusion d'être pas entièrement remplaçable à défaut d'être irremplaçable, avait été doté d'un jeune stagiaire aux boucles blondes, dénommé platement Boucle d'or mais qui allait être bientôt rebaptisé La taupe, quand nous découvrirons, peu de temps après mon retour, son journal intime, et surtout sa teneur, vous verrez bien.
Quand je suis arrivée, forcément, ils étaient tous assis sur les tables en train de commenter les élections. Pas un pour me demander de visualiser mon IRM de contrôle, le résultat de mes analyses, mon bulletin de notes hospitalier. Rien. Que dalle. Les élections et rien d'autre.
-
Et pas un mot dans aucun programme sur le droit des animaux…
Sanglotait littéralement Saint François.
-
Nicolas Sarkozy a au moins parlé de celui des femmes… a commenté le Boucle d'or.
-
Mais ce n'est pas la même chose que les animaux! A heureusement protesté madame Irma. Qu'en pensez-vous mademoiselle Chotek?
A l'hôpital, tout le monde me donnait du madame. Il n'y avait que cette vicieuse pour m'affubler d'un état civil virginal alors que j'en étais quasiment à la moitié de ma vie, sachant que si les enfants vivaient désormais moins bien que leurs parents, je tendais à penser qu'ils vivraient de même moins longtemps rapport aux OGM, aux pesticides et à la guerre atomique.
-
Euh non… bien sûr, ce n'est pas la même chose…
-
Si Sarkozy passe, a glapi Saint François, je prends la clé des champs, retour à la terre, culture bio et tout le tralala…
-
Mais vous êtes un saint des villes, a protesté Madame Irma, vous seriez incapable de comprendre une betterave ou une conversation de café de village!
-
Sarkozy a dit qu'il serait le Président de tous les Français… a assuré mollement Boucle d'or, en s'éventant avec un journal.
Un silence gêné s'est installé. Non pas à cause de ce qu'il venait de dire mais parce que tout le monde venait de remarquer que le jeune Boucle d'or, 25 ans à tout casser, était en train de s'éventer avec un exemplaire du Figaro…
C'est là que les soupçons ont commencé à poindre, Saint François me disant plus tard, dans le secret du couloir aux archives, que plusieurs réflexions de la part de Boucle d'or "faisaient sens maintenant", et que, comme disait madame Irma, après tout, on peut être jeune et réac. Pour ma part, j'aurais cru que madame Irma en était, du Sarkozysme, mais non, curieusement, elle avait voté au premier tour pour Arlette, car son compte était dans la même banque que cette dernière et elle s'était très rapidement en cours de campagne déclaré mûre pour voter au second tour pour le Ps après des années de refus, engendrées par le fait que François Mitterrand avait un faible pour les labradors. Soyons juste avec elle, elle connaissait par cœur le pacte présidentiel de Ségolène Royal qu'elle pouvait réciter du point 1 au point 100, et inversement, et son hostilité très marquée à l'égard de Nicolas Sarkozy s'appuyait sur des arguments solides.
Car, comme elle disait, c'est la première fois que je potasse autant des élections car, de même qu'Arlette Laguiller s'y présentait pour la dernière fois, j'ai la prémonition que c'est la dernière fois que je voterai à une élection présidentielle… Saint François m'a alors expliqué que ma tumeur au cerveau avait déclenché chez bon nombre des collègues une véritable ruée sur la médecine du travail, à la tête de laquelle se trouvait Madame Irma qui mettait désormais ses troubles psychiatriques passés sur le compte d'une future tumeur cérébrale et non plus sur une frustration artistique.
En attendant, chaque fois que l'un d'entre nous gémissait sur le petit teigneux, Saint François, prudent comme une vieille qui s'apprête à traverser la place de la Concorde à l'heure de pointe, nous faisait signe de nous taire. Le doute n'a plus été permis quand le responsable informatique, dit Azouz le Cerveau, a répliqué à madame Irma qui lui reprochait de ne pas avoir réussit à soigner son ordinateur…
-
Je m'appelle pas Azouz Sarkozy! Je promets pas l'argent du beurre, le beurre et la crémière quoi! Il a précisé devant nos airs ébahis.
-
Je vais devoir te casser la gueule connard! A gloussé Saint François.
-
Silence! A fait Boucle d'or. J'arrive pas à lire mon journal…
Le Figaro donc.
Quelques jours après, nous avons découvert par inadvertance (en fouillant son tiroir) le journal intime qu'il tenait chaque midi, au lieu de venir déjeuner avec nous et les autres remparts à l'arrivée du petit teigneux.
Lundi
Celle qui prétendait être atteinte d'une tumeur du cerveau est enfin rentrée après trois mois d'absence. Le trou, si trou il y a, n'est pas seulement dans sa tête mais aussi dans cet organisme pillé, dépouillé, volé au bois, qu'est devenu la Sécurité sociale. La France appartient à ceux et à celles qui se lèvent tôt, ici, personne n'arrive avant 9 H 32, quand moi, je suis à pied d'œuvre dès 8 heures du matin. J'entame aussitôt ma journée par une tournée de tous les bureaux, afin de vérifier qu'effectivement, personne n'est là avant 9 H 30. C'est un comble !
Je précise à peine que la matinée s'est passée à commenter les résultats du premier tour avec un anti-sarkozysme parfaitement abject, qui m'a rappelé le procès des blouses blanches étudié en première année à Science po. Enfin quelque chose dans le genre.
Mardi
La tension monte. L'informaticien au lieu de réparer les ordinateurs rendus muets suite à une coupure de courant sans doute engendrée par ces vieux ratés de l'UDF demeurés en place après la privatisation hélas partielle de cette entreprise, a fait une blague des plus vaseuses (je ne m'appelle pas Azouz Sarkozy), l'agressivité n'est pas dans notre tranchée, non, vraiment pas mais dans cette d'en face, Nicolas comme l'a dit Simone est « très gentil » et la tolérance est son cheval de Troie… quand on voit le rouge à lèvres agressif de Ségolène Royal et la haine qui passe dans les yeux de Fabius dès qu'on prononce Nicoshima mon amour, on est vite fixé sur qui est véritablement violent dans cette campagne!
-
Dis donc, m'a murmuré Saint François, il a écrit UDF au lieu d'EDF…
-
Tolérance et cheval de Troie, j'ai marmonné de mon côté, ça serait pas un lapsus ça aussi?
… de même que j'avais un soir effectué l'aller et retour dans le Loiret pour écouter Christian Estrosi, moment délicieux après toutes ces heures diurnes passées en compagnie de cette clique gauchiste et bonne à rien, moment précieux où le discours tenu m'a revigoré, je cite « avant la fin du mois de juillet, nous aurons profondément changé le pays. Il est terminé le temps où les gens qui se lèvent à midi et vivent de l'assistanat font la loi » et « madame Ségolène Royal, c'est le parti des voyous, et elle fait de la politique avec le Guide du routard », j'ai effectué un aller et retour à l'usine où Nicolas Sarkozy était en tournée, prétextant auprès de mes collègues un examen de rattrapage à Sciences Po. De toute façon, tout le monde s'en fout, entre la trépanée, la folle de Chaillot et le zoophile de service, du moment que je ne crie pas Ségolène Salope !, je suis libre de faire ce que je veux…
-
Qu'est-ce qu'ils ont tous à être aussi agressifs et vulgaires à l'UMP? J'ai demandé à Saint François.
-
Leur petit Dieu doit être un sacré Pygmalion, a grogné Saint François. On peut aimer les animaux sans être zoophile merde!
-
Je ne suis pas non plus une trépanée, j'ai protesté, le chirurgien a fait ça très délicatement, il a les yeux dans son slip ce type ou quoi?
… cette visite à l'usine a été de même un pur enchantement. Qu'on n'aille pas dire que Sarko est contre les ouvriers, son écoute, attentive, le sourire, heureux, de tous ces manuels parlaient d'eux-mêmes. On peut être l'ami de Lagardère, habiter Neuilly, et avoir un profond respect du prolétariat.
Mercredi
Les suppôts de Royal poursuivent leur abjecte croisade contre notre grand petit homme. Il serait anti-démocrate, raciste et autoritariste, voire psychopathe si j'en crois l'article extrait du torchon Marianne, article fleuve qui lui était consacré et que madame Irma a photocopié en masse, utilisant pour ce faire la photocopieuse payée et entretenue par le Patronat, encore un comble ! Extrait que j'ai accepté pour ne pas éveiller les soupçons de cette faune gauchisante et droit de l'hommisme. L'incident de l'école Rampal a encore été remis sur le tapis, comme si ça avait quelque chose à voir avec les droits de l'homme, ces histoires de sans papiers. Les gens sont étriqués, les droits de l'homme ça concerne des peuples et des pays bien plus malheureux qu'eux ! On peut être un humaniste comme Nicolas et néanmoins, veiller à ce que la loi soit respectée en empêchant les clandestins qui n'ont rien à faire ici de s'abriter derrière l'école !
Je dois m'arrêter d'écrire. Ils rentrent enfin de déjeuner, 1 H 02 de pause, ils doivent compter la digestion dedans ! Moi je mange en 7 minutes et je dors 4 heures par nuit, comme Margaret Thatcher ! Quand Sarkozy sera au pouvoir, ça va changer tout ça !
Etc.
On a refermé le cahier. On osait à peine se regarder. On avait tous deux je suppose l'impression d'avoir hébergé au sein de notre bureau une sorte d'Eric Besson, car Boucle d'or, désormais dit La Taupe, avait été recruté parmi un paquet de jeunes diplômés restés sur le carreau, madame Irma ayant opté pour Boucle d'or au motif qu'il avait fait un mémoire remarquable sur Jaurès et qu'il avait la fibre assistance sociale adéquate pour s'occuper de nos ouailles.
-
Il part quand? J'ai demandé.
-
Après le second tour, a soupiré Saint François. Maintenant que j'y pense, il va sans doute faire autre chose que de rédiger des courriers à l'intention d'assistés culturels…
On a rangé le cahier et on est partis se coucher. Tôt.