Rencontre du troisième type : cherchez l’éditeur… 1

Ce matin, une fois encore j’ai trouvé une de Leur lettre dans ma boîte. Je cite :

« Malgré tout l’intérêt que comporte le manuscrit que vous nous avez envoyé, nous regrettons de ne pouvoir le publier… ».

Cela peut être aussi :

« Malgré tout l’intérêt que comporte le manuscrit que vous nous avez envoyé, il n’entre pas dans nos collections et nous sommes en conséquence au regret de… »

Ou :

« En dépit d’idées originales exprimées sur l’ère du temps, le comité de lecture n’a pas souhaité… ».

Il s’agissait d’un manuscrit sur la disparition des dinosaures, envoyé à la place de mon cousin Célestin, qui est dinosautologue et très emprunté de sa personne.

Plus décourageant encore, avant même d’avoir eu le temps d’espérer :

« Si aucune réponse de notre part ne vous est parvenue à cette date (indiquée ci-dessus), considérez que votre texte n’est pas retenu. L’afflux des manuscrits nous oblige en effet à limiter les notes de lecture personnalisées aux seuls écrivains que nous souhaitons publier… »

Personnalisées, peut-être, mais anonymes, gratuites et administratives… même pas ? Même aux chômeurs, pourtant très mal traités, on fait rarement ce coup là !

Ou encore celle-ci, émanant d’étudiants dans un DESS d’édition organisant un concours pour la Grand Messe du livre, Porte de Versailles :

« Malgré tout l’intérêt que nous lui avons porté et après mûre réflexion, nous avons décidé de ne pas le retenir… »

Ils avaient 25 ans et ils avaient déjà le jargon de leurs futures pairs ! Merde !

Ou bien :

« Malgré l’absence totale d’intérêt que comporte le manuscrit que vous nous avez envoyé, nous regrettons de devoir le publier… ».

Là, je rigole. Ce qui est sûr c'est que l’on ne reçoit jamais de réponses du style :

« Vous êtes visiblement une conne. Pourquoi faites-vous subir votre connerie personnelle au vénérable monde de l’édition ? Pourquoi ne vous en prenez-vous pas à des connards professionnels : l’armée, la police ou les conducteurs de décapotables ?

Même si l’envoyeur le pense très fortement.

Quoique, je me trompe. J’ai reçu une lettre de ce type une fois. La personne était directrice d’une maison d’édition parisienne, de taille moyenne mais reconnue, facture classique et voyageuse. J’espère que depuis elle est morte dans d’atroces souffrances, assassinée par un auteur non publié au cours d’un cocktail sous une pluie battante avec des toasts au jambon blanc en promo.

J’ai recherché longuement cette lettre, pour vous en restituer des morceaux choisis, mais chose étrange, elle s’est auto-dissoute dans mes cartons. Je vais néanmoins faire preuve de courage : je vais vous en restituer le substantifique Esprit…

En substance, pour commencer, la brave dame avouait ne même pas avoir su par quel bout prendre ma "chose" (soit au moins un paragraphe là dessus, j’avais pourtant envoyé un manuscrit façon mémoire avec le chiffre 1 suivi du chiffre 2… et ce, jusqu’au chiffre 365) ; m’y était ensuite recommandé de lire mes pairs avant même de songer ne serait-ce même à faire du style (lisez, ma petite, lisez et recopiez) et enfin, que mes préoccupations solipsiste (j’ai appris plein de nouveaux mots grâce à cette dame car sa lettre était riche d’enseignements en matière de vocabulaire et de prétention) étaient risibles… Elle m'a par ailleurs conseillé d’user de la « varlope » (si !) pour élaguer la merde encombrant mon texte : des néologismes et des barbarismes nés de l'anglais et de l'arabe, qui avaient dû la conduire, pauvrette, à vomir son tarama du soir dans les toilettes de son Panthéon Immaculé des Lettres.

On ne reçoit jamais, en revanche, de lettres qui vous laisseraient ne serait-ce qu’une petite porte ouverte :

« Malgré tout l’intérêt que comporte le manuscrit que vous nous avez envoyé, nous regrettons de ne pouvoir le publier… toutefois, si vous savez pratiquer de délicieuses fellations, sans regarder au nombre ni à la personne, nous vous prions de nous contacter au numéro ci-joint en dehors des heures de bureau… »

Jamais.

Ou :

« Malgré tout l’intérêt que comporte le manuscrit que vous nous avez envoyé, nous regrettons de ne pouvoir le publier… En effet, nous n’avons pas relevé une seule fois le mot « bite », « fist-fucking » ou même, le simple et beau « chatte », il n’y a tout simplement pas une seule scène de cul valable (pas de sodomie, pas d’inceste, pas de fellation menée sur une personne célèbre), votre vie sexuelle, mademoiselle, doit être aussi pauvre que votre style. Enfin, nous n’apprenons rien sur rien (qui couche avec qui, qui encule qui, et dans quelle mesure). Aucune trahison, aucune bassesse, aucune cruauté n’y figurent, qui sont pourtant la BASE de la Littérature, Mademoiselle, apprenez-le et revenez quand vous saurez et baiser et écrire sur la baise ! ».

Whaou ! Pourtant, quand on les voit les éditeurs, c’est pas franchement le mot « sexe » qui vous vient à la bouche. Mais bon.

J’ai reçu régulièrement des refus d’un éditeur qui me semblait l’éditeur tout à la fois anormal et idéal : il lisait les manuscrits, figurez-vous, le fada ! Il avait publié une jeune femme qui est ensuite devenue célèbre grâce au fruit de leur travail conjoint, un livre, un vrai, et qui lui est restée fidèle quand tous les Panthéons Immaculés des Lettres se sont alors mis à lui faire les yeux -d’or- doux…. après lui avoir, sans nul doute, envoyé des lettres du premier type (cf ci-dessus).

Cet éditeur poussait même la folie stupide jusqu’à répondre parfois, de façon personnalisée, à quelques uns de ces malheureux auteurs cherchant veulement chaussure à leur pied. Mieux encore, il répondait de façon humble et respectueuse ! Il me semble que, à mon avis mais il n'est que le mien, etc. Bref, un pauvre type sans nul doute.

« Malgré ces réticences, votre écriture me paraît d’une richesse certaine et prometteuse… »

Vous serrez la lettre dans vos bras, et sur votre cœur, désormais, elle sera tout le temps scotchée (comme on renifle un papier à lettres parfumé au lilas fraise ou qu’on vole sur Sa table, un de Ses stylos…). J’ai longtemps cru que j’avais enfin rencontré le troisième type…

Mais bon, malgré que j’étais rudement prometteuse, malgré trois essais, il ne m’a jamais épousée euh publiée. Comme les béguins contrariés, on s’acharne et souvent, c’est un autre qui sort du chapeau. Alors j’attends cet autre, depuis.

Je lui en ai voulu, bien entendu. Comme à un garçon dont on est secrètement amoureuse et qui vous dit, je préfère qu’on reste amis. De même que l’on poursuit longtemps ce garçon, j’ai poursuivi régulièrement cet éditeur (la poursuite s’exprimant ici par le simple envi d’un manuscrit). Il a parfois (vaguement) faibli, comme le garçon faiblit parce qu’il ne veut pas vous blesser. Puis en définitive, j’ai appris incidemment qu’il en avait choisit une autre, une bête, une nullasse, une pas marrante ! Alors, je lui ai tourné le dos… tout en sentant mon cœur s’émouvoir malgré moi quand j’ai reçu sa dernière lettre :

« On peut dire que nos relations sont compliquées ; encore une fois, je vais refuser un de vos manuscrits. Sachez que ce n’est pas de gaieté de cœur, mais je suis toujours partagé à vous lire- je sais que c’est un peu cruel de vous infliger mes états d’âme… »

N’est-ce pas émouvant ? Surtout quand on repense à l’empaffée des lettres et son solipsisme gavé d'arrogance…

Aussi, malgré tout, malgré l’attente et les déceptions, malgré la TRAHISON, je sacrifie à la grande léchouille et je lui suis reconnaissante du fond du cœur de m’avoir envoyé trois courriers, simples et chaleureux. C’est vous dire comme le monde de l’édition est dur, on en vient à remercier avec cœur celui qui vous refuse, juste parce qu’il l’a fait avec des MOTS.

Il faut se répéter ceci. Tout est virtuel, au fond. Scriptum demeurum, comme dit ma chef, une informaticienne latiniste, les écrits demeurent, qu’ils soient -je pense- publiés ou non (penser à faire des enfants pour qu’ils conservent mes manuscrits et les transmettre à leur propre progéniture) et le malheur du monde reste le plus fort : génocides, guerres, décès, célibat… qu’est-ce que tout ça à côté de pas être publiée hein ?!

Rien du tout. Ou presque.

One comment on “Rencontre du troisième type : cherchez l’éditeur…

  1. Reply Antoine Gallimard Juin 6,2006 15:50

    Je ne comprends pas qu\’avec un tel talent, vous ne soyez pas publiée! Que foutent donc les éditeurs de ce pays?!

    Antoine 😕

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