Les étonnants voyageurs

Ce week-end, je me suis téléportée à Saint Malo où avait lieu le festival Etonnants Voyageurs, réunissant deux thèmes qui sont chers au cœur de la princesse Chotek, l’écriture et le voyage. Je me dois de préciser que si tous les intervenants, au contraire de la princesse Chotek, étaient des auteurs publiés, aucun, au contraire d’elle, ne savait se téléporter pour aller visiter ces lieux terribles et magnifiques (Inde, Afghanistan, Pakistan, océans déchaînés, montagnes cruelles, campagnes désolées…) qui allaient ensuite alimenter leurs récits, publiés donc.

On se console comme on peut.

Je n’ai eu aucun mal à me téléporter jusqu’à saint Malo. J’ai pris le TGV des auteurs et des Vip virevoltés qui les entourent, personne ne m’a demandé qui j’étais, ce que j’avais publié et si je savais par hasard où était passé Jean-François D. parti aux toilettes et depuis lors, absent des écrans de contrôle. J’ai eu la chance, qui plus est, de retrouver la fée Lolibus dans la cour de la Mairie où se tenait un cocktail auquel j’ai pu assister grâce à ma téléportation totalement magique au-dessus des têtes qui gardaient sauvagement (cruellement ? terrifiquement ? méchamment ?) l’entrée des lieux. La fée Lolibus qui montait la garde devant un auteur, Benjamin, dès fois qu’il se sauverait (il en avait envie, au début, après ça a été). La fée Lolibus devait en effet veiller sur toutes ces âmes fragiles et émotionnelles que sont les éditeurs (ses patrons) et les auteurs (finalement plus solides qu’ils n’y paraissaient après deux verres de champagne). Je l’ai laissé à son travail de fée et je me suis téléportée sur la plage.

J’ai atterri en fait dans une des premières tables rondes, voyager, pour quoi faire ? écrire sur le voyage, pourquoi faire encore plus ? Assise parmi les invités, j’ai tenté de m’éclipser mais un des chiennes de garde du plateau m’a fait rasseoir avec un délicieux sourire (cruel et sans appel, t’as voulu être une star, assume). Quand mon tour a été venu, l’animateur, un type plutôt sympathique malgré sa chemise à rayures vertes, a été bien emmerdé. Il n’avait pas de bouquin à moi en main (c’était normal). J’ai bafouillé, rupture de stocks, et il m’a demandé pourquoi j’écrivais sur… sur quoi déjà ?

– Le monde merveilleux et inquiétant du château de Tintamarre…

– Qu’est-ce ? Où se trouve-t-il ? S’est enquis le présentateur.

– Euh c’est un peu difficile à dire…

– Comment ça ?

– C’est à la fois nul part et euh… quelque part, hum hum…

J’étais rouge comme une pivoine, tout le monde me regardait et quelqu’un a dit, c’est Mazarine Pingeot je crois bien.

– Faites un effort, s’est énervé le gars à rayures vertes, donnez moi un LIEU ! Un p’tit effort, mademoiselle Mitrand enfin !

– Disons euh.. Paris ?

– Paris ! Mais ça n’a aucun intérêt ça Paris ! A protesté le type. Moi aussi à ce compte là, je peux écrire un récit de VOYAGE ! C’est DEGUEULASSE ! PISTONNEE !

En faisant un très gros effort, j’ai réussi à quitter cette scène pour tomber dans un documentaire sur des forçats cambodgiens, en fait des hommes et des femmes creusant le long d’une route quasiment à mains nues, pour enterrer un câble Alcatel. Tout ça pour gagner leur non vie, je précise, avec des enfants à charge à chaque année (année du lapin, année du bœuf, année du singe…). J’ai dû partager leur repas (nouilles aux fourmis rouges) et creuser avec eux une section avant de réussir à prendre la poudre d’escampette en arrêtant un taxi-moto sur le bord de la route. J’avais rien pour payer, mon sac à dos était resté bloqué dans le cocktail, j’ai donc du donner mon collier de corail pour pouvoir acquitter de ma dette (le monsieur ne rigolait pas du tout).

Enfin, en réunissant toutes mes capacités, j’ai réussi à retourner à saint Malo, atterrissant cette fois dans la salle d’un théâtre où un hommage était rendu à l’une des âmes (récemment mourrûe) de ce festival, Jacques le Grec. Et là, allez savoir pourquoi, mais à la lecture de certains de ses textes, notamment ceux ayant trait à l’enfance, la nature, je me suis mise à pleurer comme une vache, comme si c’était vrai. Je pleurais, je pleurais… peu habituée aux hommages, je vivais sans doute celui-ci du fond du cœur, jouant les pleureuse comme d’autres font la claque, et des sanglots déchirant s’évadaient de moi-même. A un moment, je me suis rendue compte que tout le monde me regardait, d’un air à la fois terrifié et pas content, je crois que c’est Isabelle Autissier, a dit quelqu’un dans la salle.

– Isabelle, a dit avec douceur un des animateurs, venez donc nous raconter cette amitié si forte qui vous liait à Jacques le Grec…

– C’est à dire que… j’ai bafouillé.

– Venez, Isabelle, ne soyez pas timide !

Et je suis alors très volontiers montée sur la scène (une barbouze s’était emparé de mon bras et me hâlait littéralement vers les hauteurs de l’Acropole).

– Isabelle, vous qui avez bien connu Jacques le Grec, pouvez-vous nous dire quelle était la relation greco-polymorphique qui le substantifiquait dans son rapport jamais réifié à la mer méditerranée, eu égard à sa métationnelle charnélité confondante, corps et esprit, disait-il toujours, sont dans un bateau, esprit tombe à l’eau, qu’est-ce qui reste ? Qu’est-ce qui reste Isabelle ?

– Euh… corps ?

– Mais non enfin voyons ! bateau ! il reste bateau !

– L’un n’est rien sans l’autre disait-il toujours, a précisé un fayot assis à la droite de l’animateur.

– Alors, Isa, vous permettez que je vous appelle Isa, pouvez-vous répondre à la question ?

La question. Quelle question. Y avait-il seulement une question.

– Eh bien…

– Oui…

– Jacques le Grec disait souvent euh que rien ne valait une traversée solitaire mais accompagné pour faire euh le point sur l’état de sa vie…

– Plait-il ? S’est étranglé le gars.

– Il aimait beaucoup rigoler, j’ai dit en fermant les yeux, il aurait pas supporté d’être tout seul sur un océan… même si c’était la mer méditerranée…

– Isabelle, vous allez bien ?

J’ai réussi grâce à mes incroyables capacités à m’évader de cet enfer. Je crois que j’aurais préféré retomber chez les forçats du Cambodge, que de rester une seconde de plus dans cette situation confondante.

J’ai atterri dans le salon du livre où les auteurs signaient leurs œuvres. J’ai pris sur moi, et je me suis avancée. Benjamin m’a signé son bouquin, Chambres d’Asie, il soupirait, chais pas quoi mettre, et à côté, Bernard le retraité marcheur, m’en a signé au autre. Ca m’a fait du bien, ils étaient gentils et ils m’ont pas fait monter sur une scène quelconque.

Plus loin, je suis tombée sur Carla Bosse avec Parfaite qui se faisait mousser auprès d’un auteur indien. Parfaite riait avec lui, ahah, vu qu’elle parle également hindi, elle l’avait appris grâce à la méthode Assimil, la semaine d’avant le Festival, car " elle voulait pouvoir converser avec tous ces merveilleux auteurs indiens ". Elle est super douée je vous dis. Le type lui faisait des yeux doux, j’ai eu envie de lui dire qu’il y avait un paquet de french girls au cœur libre dans le salon, alors qu’il gaspille pas ses battements de cœur pour cette fille archi casée.

Carla Brosse m’a dit, bonjour, ma chérie, tu signes aujourd’hui ? Oui, des chèques, j’ai répliqué, ahah. J’ai cherché ton stand, elle a continué cette rosse, mais je ne l’ai pas trouvé… Il a été volé, j’ai répondu, des pirates cherches pas. Au fait, elle a continué sans m’écouter, très bien ton intervention sur scène… dommage que tu portais ce vieux pantalon informe, et ces cheveux… ma chérie, pourquoi tu t’obstines à porter cette frange stupide et bécassonne ? Et au fait, qu’as-tu écrit au juste ?

Bécassine, c’est ma copine. Comment tuer sa mère en une seule leçon. Je suis née d’un non-ventre.

J’ai réussi à les semer et j’ai retrouvé Benjamin avec Lolibus. L’Orient, c’est chouette, c’est si loin que Carla Bosse sait même pas où c’est, je leur ai dit, ils m’ont regardée d’un air douloureux. Christophe s’est tiré une balle, m’a annoncé Lolibus la fée, il a été tout seul dans la forêt pour faire ça, pan, deux coups. Ca n’aurait rien à voir avec Massoud, a chuchoté Benjamin, ce serait une femme qui l’aurait rendu très très malheureux…

Carla Bosse, il n’y a qu’elle. Ou une de ses créatures.

Alors, on a été boire. On a bu à la santé des morts, y en avait beaucoup dans ce festival, on a bu aux livres, on a bu aux voyages. Benjamin m’a dit qu’il attendait mon avis sur ses chambres d’Asie, comme je lui avais promis, il partait en Chine et il a soupiré en disant, ah si je pouvais gagner ma vie en voyageant… Mais non.

Comme Benjamin était un garçon sympa, j’ai failli lui parler de la téléportation et de l’argent que certains peuvent en tirer, mais Ernesto, ma Jiminy grenouille, qui s’en revenait de la plage, m’a donné un coup de patte sous la table. Je n’ai pas le droit de parler de certaines choses, c’est de famille et ça me sépare, parfois, des gens mais c’est comme ça. Lolibus était joyeuse et triste, les auteurs avaient été à la hauteur, sympathiques et chaleureux, mais la maison, la vieille maison, vacillait sur les vagues du moment parce que les capitaines et leurs disputes. On a bu du coup à la paix des bureaux.

Ils ont repris le train, et j’ai fermé les yeux pour rentrer chez moi, pleine d’oliviers, d’éléphants, de bidonvilles, de mers, de chambres miteuses où l’on jubile parce que c’est très très loin de chez soi, de routes à pieds sous le soleil avec les pieds qui tombent à la fin du jour, on dort comme les pierres du chemin, de rencontres au pied d’un figuier avec des gens qu’on ne rencontrerait jamais dans son pays père, un kurde sur son âne, un enfant plein de cheveux qui demande un cachet d’aspirine, et je suis arrivée chez moi.

Tout était calme, seules mes fleurs m'attendaient, pour boire.

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