(Ex) Jeune Auteure (40 ans) cherche maison (d’édition)

Cette semaine, avec ma non muse, on est allés au Salon du livre de Paris, raliralibaaaaaaa.
 
On a bien tenté d'éviter le stand Garcimarre où la Parfaite faisait ses signatures en tirant fort la langue pour dédicacer en belles lettres turquoises avec des ronds sur les i son dernier livre, Tribulations d'une courgette (ou quelque chose d'à peu près aussi naze mais bon faut croire que ça plait) mais cette grue nous a néanmoins repérées parce que j'ai jamais de chance dans ces cas là et il a bien fallu aller la saluer parce qu'après tout, c'est la mère de mes neveux et la fille adoptive de ma mère. Elle a fait des tas de manières pour nous offrir son fichu livre à tout prix (plongée de la main dans un des énormes tas disposés devant elle) avec une dédicace personnalisée pour chacune de nous deux. A moi, cette morue a écrit de son écriture bécassinière « pour Marie, en espérant qu'à son tour, elle ait le bonheur de voir les gens faire la queue pour elle…  en lui souhaitant tout d'abord de retrouver l'inspiration ou à défaut, l'illusion nécessaire comme le dit si bien le poète Rainer Maria Rilke ».

Je me suis interrogée non sans un certain désarroi sur ce qu'ils entendaient, la Parfaite et le Rilke, par « illusion nécessaire », mais déjà la non muse m'entraînait de stand en stand, poussant des ho et des ha à la lecture de quasiment toutes les quatrième de couverture. Regarde, à peine 30 ans et on le compare déjà à Faulkner (m'en fous, jamais lu). Et celui-là, il n'avait pas été ton stagiaire il y a 10 ans (si, un type sympa en plus), ben regarde, il publie son troisième roman chez le Cyprès, histoire d'un atelier d'écriture en Afrique (parce qu'en plus il voyage ce con ?), et regarde, ô regarde là bas… y a Nana Lavalda là bas qui signe son cent-huitième roman, la Sanglotante… holala dis donc, y sont obligés de contenir les gens avec des lances à eau tellement ça se bouscule…  eh c'est pas son éditeur qu'a jamais voulu de toi après t'avoir dit oui non peut-être ah j'hésite ? (je t'emmerde) Et regarde toute cette rangée de jeunes auteurs au café Fnac interviewés par Jérôme Larcin, de la Flasque et l'Enclume, ça serait pas Marie Tetoutesec et Cléo Dalome à ses côtés ? (si et alors ?)
 
Etc, etc. Comme ça pendant au moins deux heures où j'ai constaté qu'effectivement, le salon débordait de jeunes et moins jeunes auteurs dont certains ont en plus vraiment du talent (je le dis pendant que ma non muse est partie aux gogues). J'ai vaguement prospecté les stands des petits éditeurs avec la sensation d'être un puceau tournant autour d'un bordel, posant des questions vagues et floues sur leur recherche éventuelle de nouvelles plumes, jusqu'à ce que l'un d'entre eux, qui sentait la vinasse, m'interrompe brutalement et me lance avec fureur, vous écrivez ou quoi bordel ? J'ai rougi violemment comme s'il m'avait demandé tu baises ? et ma non muse a précisé aussitôt « écriviez, voulez-vous dire… ».

Le pire est qu'après avoir discuté pendant ½ heure avec certains éditeurs plutôt sympas, ne roulant visiblement pas sur l'or à voir leurs rares bouquins, leurs coudes tout troués serrés les uns contre les autres, je me suis sentie obligée d'acheter un de leurs bouquins, des trucs qui ne m'intéressaient pas du tout genre Besson le pantalon ou bien Les mémoires de jiji, la promeneuse de chien des grands de ce monde, ou plus relevé, Haïkus d'une patate désœuvrée, d'Albert Kakémono avec en bonus de la calligraphie japonaise tourmentée comme ma cervelle de ce matin là. J'ai fini au stand de la littérature mexicaine parce que je n'y connais rien et qu'une partie des bouquins était en espagnol, langue que je ne parle absolument pas.
 
Puis la non muse m'a remis le grappin dessus alors que je feuilletais le livre d'une jeune femme mexicaine écrivant sur le célibat, ra dis elle a trouvé un super angle d'approche avec cette histoire d'extra terrestres qui pètent un câble et vont sur terre chercher l'âme sœur, et je lui ai claqué le bec dans le livre en lui disant, on se tire, je dois récupérer Zébulon à la consigne.

Nous sommes reparties et je dois dire que plusieurs fois dans le métro, j'ai cru que j'allais me trouver mal, une impression de nausée et d'asphyxie.
 
En rentrant à la maison, je me suis mise au lit, une bassine à portée de main. Ma non muse s'est assise à côté de moi et m'a fait la lecture du dernier Télérama qui venait d'arriver dans la boîte aux lettres. Elle m'a tout lu, toute épluché, et plus je me penchais sur la bassine pour évacuer ma nausée, plus elle jubilait et accélérait le débit de sa lecture. Elle m'a lu le portrait d'un jeune homme, touche à tout génial (bon à tout, bon à rien j'ai mesquinement pensé) qui, à 28 ans, a déjà publié deux romans, officie sur une radio du service public dans une émission sur le jazz archi originale, joue dans un groupe de musique baroque, compose pour un album très attendu et qui, pour se changer les idées, se rend parfois sur les plages du Nord pour proposer à des sans papiers kurdes de leur recharger leurs portables ou de leur payer des frites chez Macdo. 

Elle m'a ensuite lu dans le détail un article consacré au futur directeur du théâtre de la ville de Paris, qui énumérait tout ce qu'il avait fait (ra la barbe) et avec qui il avait bossé (grand bien lui fasse) comme un gamin qui compte ses jouets le matin de Noël (ce petit péteux), et ma non muse s'est exclamé, c'est pas lui qui était dans ton lycée ? (si). Dis donc… tu te rends compte que pendant que tu potassais laborieusement ton bac, il répétait des pièces de théâtre tard dans la nuit dans des appartements appartenant aux parents de ses copains acteurs… (nom de dieu, je me revois comme si c'était hier, entrain de plancher sur madame Bovary pendant que d'autres, je m'en rend compte aujourd'hui, brûlaient les planches à pas d'heure en buvant du gin dans un nuage de fumée verte chez des parents bohèmes et à la cool).
 
La non muse a fini par faire venir le médecin car la bassine débordait. Ce dernier m'a ordonné de ne pas mettre les pieds dans une librairie avant au moins un mois, d'éviter tout salon du livre, de me désabonner de Télérama, d'écouter RTL ou Europe 1, en lisant la presse people car, au vu de son diagnostic, je ne souffrirai pas de ces réussites là. J'ai demandé d'une petite voix si je pouvais quand même continuer à lire, il m'a dit oui, mais évitez de savoir qui a écrit quoi, ou mieux encore, lisez des auteurs morts, si possible vieux, ça vous évitera de gamberger. 

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