Les jeudis de la révolution

Jeudi dernier, je me suis dit, marie, tu vis dans ton monde,
bien tranquille, il faudrait tout de même que tu ailles un peu te frotter à la
réalité vraie du monde, l’unique, le seul, bref, que tu ailles peut-être risquer
ta peau dans la manif de révolutionnaires qui part à 14 h 00 de République…
J’ai donc dit avec grand émotion adieu aux miens, Zébulon qui faisait du
chariot d’une seul main en s’exerçant à faire des prout prout avec la bouche, A
qui gisait sur le canapé rouge avec un reste de bière et qui a ricané en me
disant de bien nous représenter et la non muse qui était ravie d’avoir son
après-midi (pas besoin de veiller à ce que je n’écrive pas, la révolution s’en
chargeait pour elle).

Je suis partie les mains moites dans le métro en me disant,
tout de même, une descendante de princesse, est-ce bien là ma place dans une
révolution emmenée par une ribambelle de licenciés et futurs licenciés des
usines de ce pays, des victimes du système bancaire sauvage et du système en
général ? La réponse était non bien sûr, d’ici à ce que je croise Cléa
Culpa, j’avais plus qu’à inventer un alibi pour expliquer ma présence dans les
rues de Paris ce jour là, mais après que j’eue croisé plusieurs sexagénaires très
chics, arborant l’autocollant du centre gauche, casse toi pauv’ con, je me suis sentie rassurée sur la légitimité
ou non de ma présence.

 Un homme m’en a d’ailleurs
distribué un et j’ai longuement hésité à le mettre, vu que j’étais pas du
centre gauche, vu que la phrase était facile et vu que je marchais à côté du
cortège. Et puis… que penseraient mes voisins de Montreuil quand ils me
croiseraient avec au retour, des retraités assez guindés, des travailleurs
acharnés ou des ours mal léchés ? car il n’était pas question que je le
mette pour l’enlever, une fois dans le métro, il fallait faire preuve de
courage et de détermination. Marie, je me suis dit, un peu de courage une fois
dans ta vie, affirme haut et fort tes opinions, colle cet autocollant sur ton
sein gauche ! Mais était-ce mon opinion ? Je veux dire, est-ce que je
formulerai ainsi mon opposition à sarkozy ? Mets le et nous fait pas
chier, m’a dit une conscience quelconque alors que Bastille n’était déjà plus
très loin.

J’ai cherché alors où m’agréger dans le cortège. Pas facile.
J’ai marché un temps avec des universitaires qui portaient une banderole
« oui à la princesse de clèves, non à la pécresse des grèves », et
aussi une pancarte avec un majeur dressé et cette phase, un geste du
gouvernement ? Puis je me suis dit, ma fille, tu es loin de faire partie
de ce monde là, tu n’as jamais brillé dans tes études, d’ici à ce que tu tombes
sur un ancien prof qui se souviendra de ta licence passable… Je me suis alors
retrouvée dans un des nombreux cortèges CGT avec des cheminots dont le portable
ne cessait de sonner sur le refrain de c’est
l’heure de l’apérobic
 , apérobic qu’ils devaient être en train de
prendre depuis plusieurs heures si j’en crois leur état pour certains d’entre
eux. D’autres, il est vrai, avaient non seulement l’air sobre mais sinistre, on
enterrait sans doute leur avenir depuis quelques temps alors ils n’étaient pas
venus là pour en rigoler. Marie, je me suis dit, ta place n’est pas non plus
ici, tu ne conduis pas de train, tu n’es pas alcoolique et tu n’es pas menacée
de fermeture.

Je me suis ensuite
retrouvé parmi des blouses blanches qui brandissaient des panneaux « non
aux usines à bébés, sauvez les bluets » et j’ai marché un temps avec eux.
Mais je ne risquais rien… je veux dire que la vraie vie me semblait encore
ailleurs qu’aux Bluets où l’on a pratiqué pour la première fois l’accouchement
sans douleur. Je me suis donc rangée parmi des jeunes goguenards qui arboraient
une banderole « il vaut mieux être aimé en solex que haï en Rolex »
et une pancarte qui détournait le film bidesquoïde de Gad el Maleh avec un Sarko
à sa place, « Eh coco, arrête ton cinéma » ainsi qu’une petite
pancarte « Marx ou crève ! ». Ma fille, je me suis dit, tu es
trop vieille pour marcher avec ces jeunes là.

J’ai aperçu à ce moment là un monsieur, ni vieux ni jeune,
ni riche ni pauvre, qui brandissait une pancarte « Est-ce une
révolte ? non sire, c’est une révolution » et je me suis rangée
derrière en me disait que j’allais peut être rencontrer l’histoire, la vraie.

Arrivée à Bastille, la première chose que j’ai vue, au
travers le rideau de fumée des merguez, c’est la rangée de CRS qui gardait
l’entrée de la rue du faubourg saint antoine et ses magasins de meubles
croquignolets. J’ai frémi. Marie ma fille, je me suis dit, le sang va couler,
prends garde à toi, tu as charge d’âme désormais. Je me suis un peu rassurée
quand j’ai vu une des quinqua chic se planter devant la rangée des CRS et
appuyer sur le bouton de son numérique en gloussant de concert avec les CRS un
poil gênés de se faire tirer le portrait (avant que de s’abattre sur la foule à
coups de matraques et de pistolets électriques sans oublier les balles en
caoutchouc?).

C’est alors que je me suis rendu compte qu’il était déjà 17
h 00, l’heure de retourner au bercail sortir la bestiole au square. La
révolution ne se décidant pas à éclater, je me suis engouffrée dans la rue du
faubourg saint antoine pour rejoindre le métro à nation en essayant de ne
rentrer dans aucune boutique, ce qui me serait apparu comme une sorte de trahison,
une forme de sarkozysme inavoué, m’obstinant ainsi à consommer comme pour lui
faire plaisir…

J’ai appris en écoutant la radio le soir qu’il y avait
beaucoup de monde ce jour là dans les rues mais que la révolution n’avait pas
éclaté. Je me suis sentie vaguement soulagée (je n’avais rien manqué et de
toute façon, la révolution ça n’était pas pour moi), juste un peu interloquée.
Les syndicats se réunissaient pour savoir quelle suite donner à ce mouvement,
d’autant plus que le premier ministre, sans même parler de coco le président,
avait affirmé qu’il s’en tapait l’œil. Je ne parle même pas de Parisette, reine
des boss, qui aurait bien aimé tirer l’oreille de tous ces mauvais sujets qui
avaient préféré descendre dans la rue manifester au lieu que de se retrousser
les manches et travailler au sauvetage du pays. Sans oublier d’ajouter à cela l’annonce
des bonus pour les gros et moins gros bonnets de la banque qui est en train de
ruiner A.

Depuis j’attends, comme tout le monde. Que ça
pète ou non, que cela se mette en grève ou pas, qu’en bref, il se passe enfin
vraiment quelque chose qui fasse du mal aux méchants de ce conte pas
franchement poilant.

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