Cléa Culpa en pédiatrie



Zébulon et son doigt cramé
continue d’occuper l’avant-scène, poussé en cela par ma non muse, ravie de cet
accident d’enfant qui s’interfère décidément entre l’Art et moi (sans oublier
le brin de muguet de mai qui va permettre à tout le monde de glander dans mes pattes),
avec pour témoin privilégié, Cléa Culpa qui a tenu absolument à m’accompagner à
l’hôpital ce jour.

A nouveau, une attente
interminable où Zébulon a joué follement avec ses petites voitures, sa passion
du moment (après la machine à laver, l’aspirateur, la poussette de poupée),
avant qu’un mouflet placé sous la protection d’une grand-mère d’un genre
entriste (essayant à toute force d’enfoncer les portes des consultations car
n’ayant pas pris de RV) ne lui en casse une en tirant hardiment sur son capot.
Sa fichue mémé, un genre bourgeoise méridionale bien conservée, s’est contenté
d’émettre un faible, oh mais chéri… ce n’est pas bien de casser le jouet d’un
autre (c’est comme d’enfoncer les portes des cabinets de consultation pour
passer devant les autres, ça aussi c’est pas joli joli). Je les ai maudits,
tout en répondant hypocritement à la mémé, la voiture devait être en mauvais
état, ce qui était vrai mais pas une raison cependant pour l’achever.

Cléa Culpa m’a dit qu’à ma place,
elle le lui aurait fait raquer aussitôt, mais que moi, normal, vu que je suis
une bobote et une mollasse, je n’ai rien dit. J’ai haussé les épaules et
préféré aider Zébulon à faire de la moto rose bonbon qui faisait un bruit de
chenille tandis qu’un enfant visiblement handicapé moteur et cérébral le
poussait par derrière. Tu vois, m’a soufflé Cléa Culpa, il y a pire que tes petits
malheurs, ce pauvre gosse doit être atteint d’une de ses maladies évolutives et
définitives auxquelles A a eu droit pendant son stage à Montreuil…

A part ça, Cléa Culpa s’est tenue à peu près sage jusqu’à ce que ce soit le
tour de Zébulon et qu’on lui ouvre son
pansement. Chair molle, sang et renflement, elle m’a jeté un regard lourd de
reproche tandis qu’à tout hasard, Zébulon se mettait à hurler. Après une longue
attente, où l’infirmière m’a annoncé la venue incessante du médecin, j’ai enfin
vu arriver un jeune homme, portant beau, dans le genre minet petit et bronzé,
environné d’une kyrielle de belles en blouse blanche qui se sont déployées en
cercle autour de nous comme une volée de tourterelles.

Le docteur avait l’air pour le
moins décontracté, pour ne pas dire nonchalant, tout juste s’il ne balançait
pas son stéthoscope comme on machouille un brin d’herbe, il semblait surtout
préoccupé de faire glousser les belles, en commençant par dire qu’il ne
s’offensait pas que Zébulon l’ignore (pas de sourire, regard fuyant) car
c’était normal, il n’avait pas de penchant pour les garçons, ahaha. J’ai
cherché la caméra des yeux, tellement ce docteur ne faisait pas vrai. Il
a ensuite presque battu des mains en entendant le récit des exploits de
Zébulon, que j’ai dû raconter au moins 1600 fois depuis son avènement entre les
squares, les supermarchés, le hall de l’immeuble et les blouses blanches,
ajoutant toujours, en préambule ou en formule de politesse de fin de récit, et
pour couper court à toute critique, c’est de ma faute, ah tout est de ma faute
(ce à quoi Cléa Culpa ajoute, d’un ton sinistre, le vin est tiré, il faut le
boire, jusqu’à la lie, ah pauvre Zébulon…).

Le très cool médecin a jeté un
œil vague sur le doigt déchiqueté de Zébulon qui s’était mis entre temps lui
aussi à sourire à tout ce chœur de femmes (en veux-tu en voilà, des blondes des
brunes des métis des bouclettes…), puis le bronzé médecin a rendu son verdict,
du gras, du gras, il faut graisser à mort. Il m’a demandé ensuite en battant
des yeux de revenir le mardi et non pas le jeudi car il serait en vacances, ce
à quoi une des belles a réagit, ah bon mais où tu vas ? Il s’est ensuite
plaint d’avoir faim, en ajoutant, je vais aller acheter du fromage tiens,
tandis que moi, le doigt de Zébulon, me coupait tout appétit. Il nous a laissés
ensuite, le petit, l’infirmière et moi pour aller sans doute s’acheter ce
fameux fromage, tandis que Zébulon entamait un concert de cris et hurlements
sur le mode, libérez moi on m’assassine… L’infirmière lui a refait un pansement
façon poilu de la guerre de 14 ayant perdu sa main dans une tranchée et là
encore, Cléa Culpa m’a jeté un regard accablant de culpabilisation. Zébulon
allait encore devoir ne se servir que de sa main gauche, lui qui juste avant
jouait à nouveau allègrement avec ses petites voitures et sa main droite en
faisant plein de bruits avec sa bouche, étant donné que A et moi l’avions
allégé par un pansement plus discret.

Une fois dehors, Cléa Culpa m’a
accablée. Bien que mère célibataire et smicarde, elle avait toujours su veiller
attentivement à la sécurité de sa fille, Miserere, qui accoste ainsi à la
puberté sans aucune trace de brûlure, cicatrice ou tout autre stigmate pour
preuve de la non vigilance de sa mère. Et ne me dis pas que c’est l’âge de tous
les dangers, elle m’a reproché, c’est effectivement cet âge là, mais cet
accident , tu aurais pu l’éviter… Elle m’a ensuite rappelé combien
l’adaptation à la nounou allait être rendue aléatoire la semaine prochaine
entre un Zébu enpansemanté et une nouvelle visite à l’hôpital, sans compter que
j’allais reprendre le travail avec un enfant abîmé, qui n’allait pas manquer de
nous réveiller la nuit, comme d’ailleurs il avait commencé à le faire cette
nuit après des semaines de silence. Bien la peine, a-t-elle pesté, d'avoir pris autant de précaution pendant la grossesse, remisant le vélo dès la première semaine, évitant tout fromage au lait cru comme s'il s'agissait d'un foyer de grippe porcine… pour ensuite faire si peu attention à un enfant bien plus menacé que lorsqu'il était au stade foetal. Avec ça, tous ces Rv réguliers qui se profilent, elle a ajouté, je te souhaite de
garder ta place au travail, même si chez vous, il faudrait tuer pour être mis à
la porte (sous-entendu, tu es là encore une super privilégiée). Prépare-toi à
en baver dès la semaine prochaine mais bon, si tu avais fait un petit peu plus
attention aussi, on n’en serait pas là…

Je suis repartie la queue basse,
accablée et déprimée, me reprochant pour la millième fois au moins ce manque de
vigilance qui nous coûte cher, imaginant déjà des semaines de pansement, de visites
au freluquet de l’hôpital, des heures de transport, des jours à poser et à
extorquer à une chef qui paraît-il a viré (à ses heures) Staline des gestions
de planning. Etre mère c’est être coupable, c’est le premier commandement de la
maternité, qui s’applique à toutes les situations et circonstances, y compris lorsque l’on n’y est pour rien, telle cette
amie follement culpabilisée de ce que ses enfants soient tout le temps malades
à cause de la crèche. Dans mon cas, étant presque directement coupable de cette
blessure, je me suis sentie ce jour là dans la peau d’une infanticide, regrettant presque que la peine capitale n'existe pas pour que je sois dûment et justement punie.

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