Alors lundi matin, ça y était. La
Reprise. Un jour, deux jours, trois jours… Découverte des joies ineffables de
secouer le biberon en enfilant une jambe de pantalon tout en maintenant la
brosse à dents dans la bouche, avec un Zébulon courant se cacher sous la table
pour jouer au lieu que de petit-déjeuner, avant que de se voir enfiler en un
demi-gong chaussures et blouson, puis littéralement emporté en courant dans les
escaliers, direction Nounou chez qui je reste toujours au moins ¼ d’heure,
reculant ce moment où je vais partir et Zébu pousser son cri de sirène
sur-soprano.
Toute cette course, just parce qu’on a mal calculé son timming, ou
plutôt préféré écouter la radio un chouille trop longtemps (ra cette divine
habitude de prendre son temps le matin), ce qui fait qu’à force, le léger retard
en bout de chaîne entraîne toute la chaîne dans la course pour rattraper le
temps perdu (et pas franchement proustien le temps). Et puis ensuite, on galope
pour avoir sa rame car « 00 » clignote et on se dit qu’on peut
l’avoir… sisi encore un effort… alors qu’on s’était bien juré de ne jamais faire partie de ces pauvres gens stressés
et sous influence, celle du grand Al’heuroma, qui courent comme si c’était une
question de vie ou de mort et vous emplafonnent avec rage si vous ne vous garez
pas assez vite.
Au moins, au bureau, l’accueil a
été chaleureux, on n’a pas tué le veau gras pour moi mais on a pris le temps
d’analyser la situation (retour à la vie active, séparation d’avec son Zébulon,
larmichette peut-être ? intérêt et privilège de passer sa première année
avec son petit enfant, vacances à venir, voyage…). Puis la réalité dring dring
a repris ses droits, et on m’a mise au parfum.
RGPP. Indicateurs. Rentabilité.
Justification du moindre denier public. Non remplacement de la moitié des
personnels partant à la retraite. Faire la même chose avec la moitié moins de
personnes. Mesurer le moindre pet de libraire. Recueillir le moindre soupir
d’éditeur. Une aide, un impact, lequel. Alors que Super Nana me raconte tout ça
(avec ce défaitisme propre à qui se compte plusieurs décennies d’une fonction
publique que l’on voit se faire laminer peu à peu), une image me vient à
l’esprit. Celle de la dernière scène de l’Auberge espagnole où l’on voit Romain
Duris, lors de son premier jour de stage à Bercy, à qui son boss présente l’organisation
de son bureau, mais surtout les us et coutumes du lieu, en échangeant avec la
secrétaire, dame mûre et gentillette, de petits boutades fleurant fort
l’encaustique des ordinaires bureaucratiques, tandis que la consternation, puis
l’horreur et la panique se peignent sur le visage de l’ex bienheureux Erasmus…
qui finit par prendre soudain ses jambes à son cou et s’enfuir à toutes jambes
du lieu.
Mais j’ai pas fuit. Non. J’ai
remis mon nez dans les chiffres, j’ai même été à la cantoche, peuplée de
costumes et de tailleurs, bref, de gents au travail (finis les jeans avachis
avec tâches de lait et serpentin de compote). Et le soir j’ai retrouvé un
Zébulon que j’ai retourné sur toutes les coutures, craignant de le voir changé
en un seul jour, devenu de joyeux, triste, voire névrosé à tendance suicidaire,
mais non, il était égal à lui-même et même plutôt content d’avoir rencontré des
jeunes de son âge. A croire qu’il se faisait suer avec sa vieille mère…
Et le quotidien, cet autre là, a
vite repris ses droits. Impression d’avoir retrouvé mes vieilles pantoufles ès
bureaucratie, avec cependant ce doux plaisir qui est de revoir des collègues
qui pour certains me sautent presque dans les bras (tandis que d’autres me
jettent à peine un œil, genre tiens ça me dit quelque chose). Chaud, chaud (au
cœur) comme dirait Mariam… La semaine
prochaine, je serai sans doute déjà rangée dans les vieux meubles, et la
routine se routinera encore un peu plus, m’enfin, ne boudons pas ce plaisir du
moment.
Ma non muse s’est incrustée une
fin de journée pour visiter mon bureau, enfin mon coin bureau pour le moment.
Elle a gloussé devant mes tableaux de chiffres et m’a demandé si c’était
blogable. Quand elle a assisté à la réunion de recensement des procédures du
bureau, elle a fait semblant de ronfler, très fort, et j’ai dû expliquer aux
autres qui était la non muse, une mal élevée venue me gâter la vie et qu’il
valait mieux ignorer plutôt que de combattre. Au moins, elle n’avait pas
emmenée avec elle sa sœur Cléa Culpa, occupée à déposer des Cv dans tous les centres
commerciaux de la grande Couronne, profitant de ce qu’un vague cousin, un syndicaliste sans doute bientôt suspecté
de terrorisme vu qu’il ne cesse de dire « si ça continue comme ça, on va
tous dérailler », était de passage avec un moteur sous les fesses et donc
apte à lui faire économiser une zone 5 de RER.
Le soir, dans le métro, tassés
qu’on était tous, ma non muse m’a demandé si j’allais essayer d’enfin écrire un
peu ce soir, car les conditions lui semblaient propices, c'est-à-dire une fois
Zébulon récuré, nourri, couché, nous-mêmes nourris et nos assiettes lavées sans
oublier les courses faites entre midi et 2 rangées dans leurs rangements, je
pouvais, selon elle, dégager au moins une bonne petite heure pour jeter sur le
papier le plan d’un roman car ma reprise de vie active avait sans doute dû
stimuler mon imaginaire. Je ne lui ai même pas répondu, mon cerveau semblait
avoir été essoré par un 15.000 tours/minute et puis, je lisais le journal. Un
magazine plus précisément, Sciences
humaines, encore plus précisément, qui avait pour thème, changer sa vie. Et
je suis tombée sur ces phrases de Rilke dans Lettres à un jeune poète.
« Personne ne peut vous aider, personne.
Il n’y a qu’un seul moyen : plongez en vous-même (…). Avant toute chose,
demandez-vous à l’heure la plus tranquille de votre nuit : est-il
nécessaire que j’écrive ? Creusez en vous-même en quête d’une réponse
profonde. Et si elle devait être positive, si vous étiez fondé à répondre à
cette question grave par un puissant et simple : « Je ne peux pas
faire autrement », construisez alors votre existence en fonction de cette
nécessité »
–
Ça donne à réfléchir, a finement commenté ma non
muse, qui avait lu par-dessus mon épaule. Tu vas creuser ?
J’ai haussé les épaules, je
creusais déjà. Construisez alors votre existence en fonction de cette
nécessité… j’imagine que Franz Kappus à qui Rilke répondait n’avait pas de
lessives à étendre, de bébé à rechercher chez sa nounou qui vous a tellement
manqué dans la journée que vous êtes incapable de le coucher aussi tôt que vous
vous l’étiez juré, sans compter le bain, les dîners, et tout de même la
conversation avec le père du bébé…
–
Ta sœur, elle y arrive bien, m’a fait remarquer ma
non muse. C’est une question de volonté,
il faut travailler plus, that’s all…
J’allais répondre qu’elle avait
un petit côté sarkozyste primaire quand le métro est arrivé au terminus. J’ai
dû, alors et en plus, la porter sur mon dos car l’escalateur était une fois encore
en panne et madame ne pouvait plus faire un pas, vu qu’elle avait cru
nécessaire et malin de mettre des talons aiguilles pour venir me voir
travailler sur Excel.
Et le soir, fidèle à l’injonction
du poète romantiquo-mystique j’ai tapé sur ma machine au moins une demi-heure,
en luttant contre une tête de plus en plus lourde, avant que d’abdiquer et
d’aller me coucher avec un Nabokov (Le guetteur) complètement confus (ou alors
c’est moi).
Faut juste que je trouve mon
rythme.