Qui va garder Gaspard ?



Aujourd’hui, j’ai retrouvé
Aveline.

Rappelez-vous, Aveline… mon vieux poteau de jeunesse…  qui avait quelque peu disparu de ma vie entre la
Nouvelle Zélande, ses amours néo-zélandaise de même, mâtinées de maori, et mon
départ du château pour un 3 pièces en banlieue verte qui signifiait ainsi à la
face de tous les solitaires que je n’étais plus une mâne isolée, un foyer
fiscal d’une personne, mais une nantie d’un jules et d’un moutard. Ce
changement de classe, tout à la fois ascension (jules + mouflet) et
déclassement (jules + mouflet, de même), avait creusé entre Aveline et moi une
de ces invisibles failles qui deviennent vite fossé quand on n'y prête garde,
chacune engoncée qu’elle était dans sa vie, pour le meilleur comme pour le
moins bon.  

Anyway. Après des mois et des
mois de silence, où mes mails étaient renvoyés (boîte aux lettres destinataire
archi trop pleine), sans oublier mes sms et autres messages (le numéro que vous
demandez n’est plus attribué) Aveline m’a appelée ce midi alors que je
m’efforçais, pour contrebalancer l’effet chiffre de mon gagne pain, de m’élever
la fonction culture en me farcissant une des rares expos accessibles un mardi,
celle du Jeu de paume consacrée euh à l’écran je dirai, et
aux casques sur les oreilles, rapport à l’intertextualité (j’ai lu ça en
diagonale en me demandant si j’allais tourner de suite les talons ou tenir au
moins ¼ d’heure histoire de pouvoir clamer que j’avais enfin vu une expo depuis
la naissance de Zébulon).

Au moins, ça m’a permis de causer avec Aveline sans
déranger personne vu que tout le monde était casqué, dans le noir, l’œil rivé
sur les écrans à tendance conceptuelle.

Elle m’appelait d’un hôpital où
on la gardait sous cloche car elle était enceinte d’une paire de jumeaux âgée
de six mois qui la faisait gonfler comme levure de bière, ce qui fait qu’on
semblait prêt à tout moment à la déclencher (quelle jolie expression) par peur
qu’elle ne trépasse par implosion, à moins qu’on ne la laisse sortir (demain,
sans problème, on vous le confirme ce soir). Une position médicale à peu près
aussi floue que l’expo du jeu de paume dans ma tête.

         
Mais c’est super ! Ai-je naïvement bêlé,
environnée que j’étais par tous ces casques sur les oreilles.

         
Qu’est-ce qui est super ? Elle a râlé. Que
je sois clouée à l’hosto ?

         
Non ! Que tu sois enceinte ! Tu disais
toujours que ça ne t’arriverait jamais ! Tu as toujours dit qu’à force, c’était
devenu le rêve de ta vie !

         
Eh bien oui, ça m’est arrivé, elle a confirmé
d’un ton sinistre.

         
Bon je me doute bien que d’être clouée à l’hosto
ne te fait pas voir la chose sous le meilleur angle…

         
Oh ça… elle a lâché, évanescente.

J’avais du mal à reconnaître mon
Aveline, certes perdue de vue ces dernières années mais tout de même, en
Afrique, face aux mauvais sorts et autres amulettes Dogon, elle avait toujours su
garder un certain sens de l’humour.

 
         
Marie, elle a lâché haletante, ils veulent
placer Gaspard… mon petit Gaspard… ils veulent me l’enlever !

         
Euh… j’ai fait.

         
Ils ne veulent pas que Gaspard reste avec les
enfants, les nouveaux, ils ont peur
pour leurs meubles et leurs tapisseries, ils
disent qu’il faut que chacun y mette du sien, la place de Gaspard n’est pas
ici…

J’ai fait un gros effort de
mémoire. Qui était Gaspard ?

 
         
Tu ne peux pas savoir, Marie, je suis clouée au
lit, je risque d’accoucher de grands prématurés mais la seule chose qui me
hante c’est Gaspard ! Que va-t-il devenir ?! J’ai toujours juré à
Celia que jamais je ne l’abandonnerais !

Aveline a lâché ça dans un cri
strident, elle qui était tout sauf stridente. Et le pire, le pire, c’est que je
n’arrivais pas à demander qui était Gaspard (ni Célia d’ailleurs). C’est bête
hein, mais je me sentais entraînée dans une sorte de spirale, comme lorsque
vous faites semblant de reconnaître quelqu’un au lieu d’avouer tout de suite votre
trou de mémoire et que du coup, vous devez donner le change en ayant le
sentiment d’être sur un fil suspendu dans les airs. J’ai opté pour la diversion.

         
Mais rassure moi, Aveline, tu es euh bien
entourée ? Le père de la paire, c’est un mec bien ?

         
Oh lui… elle a à nouveau lâché d’un ton
évanescent. C’est ce fichu Kiwi, tu te souviens ? Un coup follement
amoureux, un autre désamouré, c'est-à-dire maniaco-dépressif, tu vois le genre,
le trou noir absolu… sans compter qu’il m’a sorti à 15 jours de grossesse une
femme de derrière les fagots et une autre paire de jumeaux, qu’il aurait eus
avec elle… s’il faut le croire… parce qu’à force, le kiwi, je le décrois, je le
décrois fortement…

         
Mais euh… j’ai pris mon élan. Tu veux dire que
tu t’apprêtes à avoir seule une paire de ?

         
En quelque sorte, oui, elle a gloussé, étrangement.
Tu as bien résumé la situation.

         
Mais euh… ça ne t’effraie pas ? J’ai
platement questionné.

         
Qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Elle a
ricané. Marche arrière ? Too late ! Et puis c’était ça ou ne jamais
être mère de par moi-même de ma vie. Je n’ai plus l’âge d’attendre Marie !
Et puis, tu sais, ça n’est pas ça qui m’effraie, ce qui m’effraie, m’horrifie,
c’est la situation de Gaspard…

         
Mais tu bosses toujours à ton agence ? J’ai
préféré demander, voyant le Gaspard à nouveau se pointer.

         
Faillite ! Elle a presque ricané. J’ai
fermé boutique, je suis au chômage, fin de droits ! A moi, le RSA !

         
Merde ! J’ai crié suffisamment fort pour
que les casqués m’entendent et me fusillent du regard. Qu’est-ce que tu vas
devenir ?

         
Chais pas, elle a pouffé, j’accouche et puis je
vois, j’aurais les allocs… et puis je te dis, c’est le sort de Gaspard qui me
hante !

Et là, j’avoue, j’ai craqué.

         
Mais qui est ce Gaspard ? J’ai glapi.

         
Marie ! Elle a rugi. Ne me dis pas que tu
as oublié ?

         
Si, j’ai avoué, j’ai été opérée du cerveau
figure toi alors c’est possible que…

         
C’est mon chat ! Mon chat de depuis
toujours ! Confié par ma coloc Célia, quand elle est partie convoler aux
Antilles avec son jules qui était allergique au poil de gouttière !
Mon chat ! Celui qui devait mourir avec moi, et que je suis sommée de
faire disparaître de l’appartement que ma famille va me prêter le temps que ma
paire de grandisse ou que leur père arrête de faire le maori de mes deux avec ces
histoires de névrose et d’épouse légitime !

J’ai failli lui dire, ah ce
n’est que chat, mais je me suis retenue. La femme enceinte est susceptible, très
très premier degré, ce qui fait que même des rocs de la nature peuvent se
transformer en créature qu’un rien fait fondre en larmes. Margaret Tchatcher, paraît
il, quand elle était enceinte de ses fils pleurait tous les matins dans sa
tasse de thé en marmonnant, I won’t arrive to do this, oh I won’t…

J’ai dû sortir de l’expo car tout
le monde l’exigeait, je n’ai pas protesté, ils avaient raison, je n’avais rien
à faire là. J’ai noté l’adresse d’Aveline, promis de me renseigner sur la DDASS
des chats, de trouver une famille à Gaspard, qu’elle m’a décrit comme étant un
vieux mâle plutôt sauvage, aimant faire pipi sur les tapis et dormir dans des
lits chauffés préalablement par des corps humains. Bref, le profil idéal pour
un placement familial.

Je suis retournée compter mes
chiffres en me demandant comment Aveline allait s’en sortir, avoir seule un
moutard c’est déjà pas gagné mais avoir une paire de avec un père bizarre
abonné aux Maoris fêlés et mariés, ça promettait. Je me suis dit aussi que
Gaspard faisait l’objet d’une cristallisation de tous les protagonistes, sauf
le père sans doute aux antipodes de tout cela, une sorte de déplacement de l’angoisse,
notre fille, sœur et tante va avoir seule une paire de tout en étant en
liquidation judiciaire, un transfert habile sur un sujet, le chat, de prime
abord moins fondamental.

J’ai en tout cas décidé de ne pas
me plaindre ce jour d’être une employée de bureau enfermée derrière des vitres
et tenue éloignée toute la journée de son fils chéri. Mon fils chéri lui non
plus n’aurait pas le droit de se plaindre ce soir, notamment de faire la gueule
parce qu’on l’avait placé toute la journée chez Nounou, il avait une vie de
rêve, tout comme moi finalement, entendez une vie normale.

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