Objet bien rangé mais où ?



Ma non muse m’a fait un cadeau
vendredi dernier. Elle m’a offert une place au théâtre du Rond Point pour que
je me change les idées et que peut-être, qui sait, sa sœur ennemie,
Inspirazione, vienne me visiter… Quand elle m’a tendu ma place pour Xu (objet
bien rangé mais où ?) j’ai bien vu qu’elle ne craignait pas grand-chose :
sa sœur ennemie étant en effet partie au festival Etonnants voyageurs de Saint
Malo, elle ne risquait pas de venir me visiter…

Il s’agissait donc d’une pièce
interprétée par 3 comédiens Jean-Claude Leguay, Christine Murillo et Grégoire
Oestermann, et tirée du Baleinié, ouvrage dont ils sont également les auteurs. Et
ma foi, si Inspirazione ne m’a pas visitée, je me suis régalée, j’ai même senti
cette chose canardée par les chiffres au sommet de ma tête au point que le soir
je n’arrive plus qu’à lire les gros titres dans mon journal, se remettre
joyeusement à pédaler. Le propos de leur ouvrage (dont ils viennent de sortir
le troisième tome) est d’inventer un nom pour chaque petit tracas du quotidien*.
Ainsi, Xu, pour cet objet bien rangé mais où ? Ou, cet extrait de la fiche
de présentation des comédiens, au sujet de l’un d’entre eux qui « a
parfois fini pfon (se découvrir simple figurant dans un film parce qu’on a
coupé toutes vos scènes au montage sauf celle où vous tenez silencieusement la
porte à l’acteur principal), mais a, autant que faire se peut, su éviter les
pfis (metteur en scène qui vous crie « détends-toi ») ».

Rien que de lire cette petite
biographie, cela m’a mise en joie, et toute la pièce de toute façon m’a mise en
joie, malgré un gron à côté de moi (spectateur
bougon soupirant d’exaspération et d’ennui quand vous, vous appréciez le
spectacle). Les comédiens étaient extras, drôles et très natures (moi au
théâtre depuis que je suis toute petite, je déteste quand je sens que les  acteurs font
du théâtre), et même musiciens par ailleurs. De plus, le thème des petits
tracas du quotidien parlant à tout le monde (sauf visiblement mon gron à côté de moi), cela donnait une
pièce où le public réagissait beaucoup, chacun devant se dire intérieurement ah
mais oui c’est tout à fait ça. Bref, y avait de l’ambiance, d’autant plus que
le jeu des acteurs rendait particulièrement savoureux cette traque du tracas
ordinaire et cette quête du juste terme (même si là, j’avoue ne pas être
convaincue du tout par le choix des termes désignant les petits tracas, ce qui
ne gâchait cependant en rien l’affaire).

C’est toujours un plaisir quand
on arrive à vous emmener à réfléchir très précisément sur la langue, mais
également sur tout ce qui constitue la matière triviale de notre ordinaire à
tous. Le théâtre de la Bastille m’avait habituée à des pièces (généralement)
conceptuelles, longues et parfois mortellement rasoirs, car, et surtout, à
prétention de profonde profondeur. Ici, on joue dans le léger, le superficiel, ou
plus exactement le superfétatoire (qu’est-ce qu’un petit tracas eu égard à la
mort ?), mais on y joue si bien, on le creuse tant et tant à la recherche
de la juste expression de la sensation, que cela en devient profond, au sens où
cela parle de la vie ordinaire et que cela en parle à tout le monde. Et même
si, en définitive, on peut se dire so what ? c’est toujours un moment de
rire et de plaisir de pris, ce qui vaut parfois toutes les pièces bien graves
sur la mort, le viol ou l’inceste.

J’ai noté comme petits tracas qui
m’ont bien plu :

Etre ignoré à une soirée par les
gens qui ont tant insisté pour que vous les y accompagniez

Radio qu’on ne peut écouter qu’en
tenant l’antenne

Mettre un jeton dans une auto-tamponneuse et s'apercevoir qu'on est seul sur la piste

Etre tellement en avance qu’on en
arrive en retard

Etre en retard parce qu’on habite
juste à côté

Devoir faire croire à son
dentiste qu’on acquiesce à ce qu’il dit parce qu’il a les mains dans votre bouche
et que vous ne pouvez pas parler

Faire comme si on n’avait pas
reçu de postillons de la part de la personne avec qui l’on parle

Rater le bon moment dans une
conversation pour se vanter

Ne pas voir à travers la vitre à
cause de son propre reflet

Faire énormément d’efforts pour
que ça se passe juste à peu près bien

A partir de quelle distance
est-il poli (ou malpoli) de tenir (ou de ne pas tenir) la porte à la personne
qui vient derrière vous ?

Ou à cette question, quel est
votre dernier meilleur mauvais souvenir, l’un répond, je cherchais une punaise,
je l’ai retrouvée en marchant dessus, l’autre, j’étais au Touquet, je nageais
en regardant mes affaires et le dernier, j’étais dans un vestiaire,
tous les portefeuilles avaient été volés sauf le mien…

En rentrant, je me suis dépêchée,
je voulais faire une bise à Zébulon avant qu’il ne se couche et j’ai pesté en
sortant à Croix de Chavaux car il y avait une plizz devant moi (personne qui occupe sans bouger la file de gauche
de l’escalateur et qui ne vous entend même pas brailler « pardon » à
cause du bruit de l’escalateur). Le lendemain, il faisait beau mais l’insomnie
m’ayant à nouveau visitée, je me suis retrouvé à la tête d’une foule de choses
à décider de faire sans savoir quoi tellement j’étais crevée. Alors j’ai pensé au
plouze (vouloir faire tellement de
choses que finalement on ne fait rien). Ce qui fait que, prise de panique à l’idée
d’un flouze jeté en plein milieu de
ces jours de congé où le temps m’est si précieux, je nous ai tous expédiés au
parc floral sous le soleil si rare retrouver une copine qui pique-niquait avec
de parfaits inconnus, ce qui me permettait dans le même temps d’échapper au brouze (sentiment que tout le monde fait
quelque chose avec tout le monde et que vous êtes seule à rester seule y
compris en famille dite nucléaire).

 

* les termes en italique sont de mon cru…

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