Tristes sires*

Gustave Chopin se tenait (de guingois) devant moi. Sa bouche tremblait mais la flamme pas toujours bonne au fond de ses yeux, scintillait à plein feux.

– Marie, ma petite Marie… alors comme ça super nana nous a quittés… il a susurré.

– Sans une coupe de champagne, a grincé Mauricette. Après 35 années de service maison !

– Euh oui, j’ai marmonné, on n’a aucune nouvelle et on se demande où elle a pu…

– Et je me dois de vous présenter celui qui, désormais, sera votre nouveau supérieur hiérarchique, m’a même pas écoutée Gustave Chopin.

Et il a désigné de sa canne un homme chenu, façon nain de jardin mais en maigre, qui se dissimulait derrière lui (pourtant pas franchement épais).

– Je vous présente Joseph Illadit, a articulé Gustave Chopin… un fonctionnaire passé par les IRA et qui nous vient tout droit du ministère de la Défense… une promotion des armes aux livres en quelque sorte hihi… Monsieur Illadit, je vous présente Marie l’aînée, Super cadette et Benjamine, vos nouvelles employées de bureau…

– Bonjour mesdames, a dit d’un ton sec le Illadit.

– Bonjour monsieur, on a émis, accrochées comme des noyées à nos coupettes.

A voir le gars, Benjamine allait peut-être accélérer son départ, et moi courir dès ce we mettre un cierge un gros un grand à Lourdes pour tomber enfin à nouveau enceinte. Le pire, c’est que le nom du type me disait vaguement quelque chose, d’ailleurs il me fixait étrangement.

– Madame… il m’a fait, vous n’étiez pas auparavant employée de bureau à l’IREMAM d’Aix en Provence ?

– Euh… j’ai bredouillé, j’y étais étudiante, pas employée de bureau…

– Ah bon vous avez fait des études ? s’est étonné Gustave Chopin en me jaugeant des pieds à la tête, comme on fait quand on réalise le potentiel (éventuel) couchoïde de quelqu’un.

– Oui, j’ai dit en raffermissant ma voix, c’était au début des années 90.

– Autant dire il y a un siècle, il a gloussé le Chopin. Mais, monsieur Illadit, comment se fait-il que vous connaissiez cette personne quasi anonyme ?

– Eh bien, a articulé lentement Joseph Illadit, il se trouve que je sors d’une enquête sur un extrêmement dangereux chercheur de ce laboratoire, monsieur Vincent Géspère, un triste sire dont les travaux sur l’islam laissent à penser qu’il agirait au sein de notre patrie comme une sorte de cinquième colonne…  de par sa tolérance un peu trop pastel à l’égard des barbichus et des enfoulardées… au point que je me suis laissé dire qu’il s’est converti et fomente quelque dangereux pamphlet dans son laboratoire de recherche situé sous les Tropiques (en Provence donc)…

Nom de Dieu ! ça me revenait maintenant. J’avais lu un article à ce sujet (voir le blog de Pierre Assouline sur le Monde, http://passouline.blog.lemonde.fr), même que cela m’avait donné un petit coup de nostalgie car le dit chercheur travaillait effectivement dans le laboratoire où j’avais obtenu péniblement, en haletant dans la dernière côte, mon DEA de-qui-sert-à-rien. Nostalgie plus pour l’époque, Aix, la collocation super sympa avec une aristo et une Italienne, le soleil, les appéros en terrasse, plutôt que pour les études en elles-mêmes.

Déjà la mort du super Gourou de la place, en mars de cette année, Bruno Etienne, m’avait flanqué un sacré coup de cafard mais aussi de nostalgie car avec sa révérence, c’était vraiment toute une tranche de ma jeunesse qui disparaissait encore un peu plus. Car le gourou Etienne, c’était un sacré gaillard, autre chose que la souffreuteuse petite chose qui nous faisait des cours de droit comme si elle allait rendre l'âme, ou toute cette armada de profs qui semblait payée pour tuer toute curiosité chez leurs élèves en lisant leurs publications sans lever le nez. Le Bruno, c’était du théâtre, on aimait ou on n’aimait pas ce qui tournait parfois au one man show ou la thérapie personnel en milieu groupé, mais on se réveillait !

Bref, le Joseph Illadit, c’était le fameux fonctionnaire de la sécurité de la Défense (un titre que j’ai dû relire plusieurs fois car ma cervelle n’arrivait pas à l’intégrer un peu comme si on disait la mère de la maman de la mère voyez) qui avait espionné pendant des années les chercheurs de l’IREMAM, les obligeant à lui donner leurs plans de route et d’exposés en 3 parties maxi avait-il exigé car sinon, il ne s’en sortait pas, avant chacune de leurs interventions à l’étranger dangereux (entendez dans le monde arabo-musulman), décidant parfois au dernier moment de leur sucrer leur voyage de travail au motif que « cela relevait de la sécurité de la défense ». Tout ça ne me disait cependant pas pourquoi, alors que j’avais fait un passage éclair là bas, il y a de ça bientôt 20 ans, Joseph Illadit connaissait mon existence…

– Tout ça ne nous dit pas comment cela se fait-il que vous connaissiez la Marie qui a quitté ses fonctions d’étudiante depuis bientôt un quart de siècle ? A justement émis Gustave Chopin qui donnait des signes de fatigue.

– Enquête. A claqué l’Illadit. J’ai enquêté sur toutes les personnes qui avaient eu à faire de près ou de loin à l’IREMAM depuis sa création, voilà tout ! Mais qu’importe, c’est déjà de l’histoire ancienne, le vénérable président Nicolas I va sans doute proposer à monsieur Gespère un poste dans son ministère de l’intégration et de l’identité nationale, et ce triste sire en sera ainsi tout neutralisé… 

– Bien vu ! A gloussé le Chopin. J’espère voir ça avant mon départ les pieds en devant du cimetière des éléphants !

Tout le monde s'est tu, même monsieur Illadit. Que dire à un futur mourrant ? Libre à lui de rire avec sa mort, elle ne nous appartenait pas, mais on ne sentait pas en droit de procéder du même registre. Surtout avec monsieur Gustave Chopin.

– Mesdames, je vous salue… a annoncé alors monsieur Illadit, nous réfléchirons ensemble lundi à la meilleure façon d’espionner euh d’étudier le milieu si noble (quand bien même un tantinet luxueux en ces temps de crise économique mondiale) du Livre… rompez !

Et le triste sire, comme il disait, a filé grignoter un toast à la crème de concombre poivré, accompagné d’un chou à la crème de coco.

Avec les filles, on a échangé un profond regard où se mêlaient horreur, panique et désespoir. Fini de rire, non pas qu’on riait follement ces derniers temps, l’ambiance était lourde, peut être une prémonition du kidnapping  de super Nana, à laquelle il convenait d’ajouter les pressions des gros bonnets pour qu’on (la masse salariale) prenne le moins de place possible dans le budget tout en en faisant le plus possible.

– Au moins, il a de l’appétit, j’ai émis d’une voix faible alors que le Illadit se resservait toasts sur toast, il dissimule peut-être une âme de bon vivant dans son corps efflanqué…

– Peut être que Super Nana va revenir, a bredouillé Benjamine, je trouve qu’on l’oublie un peu vite…

– N’y pensez pas les filles, a gémi super cadette, même si elle revenait, le Joseph est dans la place et correspond bien plus à ce que désormais on attend d’un bureau des études…

De l’espionnage… j’ai grondé. Les filles, ce we, c’est décidé, je descends à Lourdes!

 

* Suite de l'épisode Requiem pour tartes à la crème 

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