Proust sinon rien



La littérature contemporaine française, c’est bien connu,
c’est de la daube. Daube en poche, daube en album, daube en blanche, daube
toujours.  De toute façon, depuis
Flaubert, ça n’allait pas très fort, mais alors depuis Proust, Céline, elle a
chuté, chuté… pour en arriver là où elle en est aujourd’hui, de la daube on
vous dit. Les auteurs français sont en effet maintenant tellement mauvais qu’on
en est réduit à compter sur les ex élèves des lycées français et des alliances
françaises pour relever le niveau de la littérature de langue française. D’ailleurs,
en 3 ans, par deux fois, le prix Goncourt a été donné à un auteur francophone, mais
pas de chez nous, c’est vous dire braves gens. A ce propos, le prix Goncourt
2006, Jonathan Litell, qui a été naturalisé français peu après son prix a bien des
soucis à se faire, arrivera-t-il à se maintenir au même niveau d’horreurs? Ne
va-t-il pas sombrer dans celles de son nombril ?!

Encore quelques
années et les vieux cons de l’Académie française ne seront plus de vieux cons
français mais de vieux cons afghans, anglais, belges ou ivoiriens. C’est bien
simple, ma bonne dame, la France, après avoir perdu ses colonies, est en train
de perdre ses lettres, les deux nous revenant parfois par la fenêtre sous la
plume de ses ex colonisés qui en ont conservé la langue pour pas un rond. Une
sorte de dialectique du maître et de l’esclave adaptée au roman on pourrait dire.

Et pourquoi c’est de la grosse daube la littérature
française contemporaine ? parce que ses auteurs n’ont plus rien à dire qui
dépasse leur petite personne, leur petit cercle, leurs petites expériences qu’ils
essayent de rendre croustillantes et insolites en les rehaussant d’un zest d’inceste,
d’un brin de boyaux ou de quelques bonnes tranches de fesses. Il leur faudrait
sans doute une bonne guerre pour égaler leurs aînés (mais euh Balzac avait-il
vécu la guerre ?). D’autres vies que la mienne ? ahah vous voulez
rire, toujours la sienne de vie à cet auteur français solipsiste quoiqu’il
écrive, quoiqu’il ose essayer de transmettre (c’est une directrice littéraire
qui m’avait appris ce mot en me refusant un manuscrit avec autant d’effroi que
si j’avais tenté de lui fourguer un hymne à la pédophilie, merci Jane).

Le moi de l’auteur français non seulement est partout mais
il n’a rien à dire, ne se dépasse pas, s’auto-complaint, un vrai ramassis de
maniaco-dépressifs que ces plumitifs français qui s’auto-distribuent des prix (enfin  ceux que les francophones non français veulent  bien leur laisser) dans des raouts parisiens
façon petit four du café de Flore ou course en sacs sur le boulevard saint
Germain. Au mieux, statue Pierre Assouline, on parlera d’écriture originale,
mais certainement pas de grande qualité littéraire. Et vlan.

Voilà en vrac ce qu’il est devenu courant de lire au sujet
de cette littérature, les auteurs francophones non français y allant de leur graine
de cumin, forts du détour (au sens anthropologique) que leur vaut une
provenance d’un ailleurs forcément tonifiant quand on en est loin et d’une
nouvelle langue, le français, si bien maîtrisée que l’on peut désormais écrire
couramment dans cette dernière, ce qui engendre là un second détour tout
également profitable à la fond comme à la forme. Enfin, on suppose.

Je n’ai pas d’auteurs français contemporains à défendre en
particulier. Cependant, il y en que j’apprécie et qui me semble mériter mieux
que cet amalgame qui me semble être aussi l’effet d’une loupe qu’on poserait sur
quelques uns pour statuer sur tout l’ensemble. D’Emmanuel Carrère à Beigbeder,
il y a loin tout de même. Comme de Catherine Cusset à Virginies Despentes. Ou d’Annie
Ernaux à Christine Angot. Etc.

Et puis le moi est-il forcément haïssable en littérature s’il
est bien accommodé ? Hervé Guibert, en son temps, a écrit avec force
finesse et profondeur sur sa condition de malade du sida, son récit était on ne
peut plus intime et autofictionnel, mot à la mode qui paraît-il a été inventé
par cette littérature française pour s’auto-qualifier (à croire que ça n’existe
pas ailleurs). Personnellement, le récit autobiographique de quelqu’un qui y
met du talent pourra m’intéresser bien plus qu’un roman sur des faits
historiques écrit lointainement par son auteur (c'est-à-dire sans lien direct
avec lui, ce qu’il est et ce qu’il éprouve).

Mais, dira-t-on alors, oui, d’accord, à la rigueur, il
existe des auteurs français talentueux mais où sont les génies ?

Les génies… peut-on s’abaisser à lire un livre de quelqu’un
qui n’est pas estampillé génial ? Peut-on même accepter de prendre du
plaisir à lire le récit d’un plouc qui ne passera pas le siècle ? Peut-on
s’abaisser à éprouver des émotions fortes en lisant le roman d’une pétasse qui
n’a vécu ni guerre ni révolution et qui sans doute ne sera jamais enseignée en
bac français en 3028 ?

Les génies…  Prenons
Honoré de Balzac. Je ne voudrais pas faire du sarkoysme bébête mais je mentirai
en disant que la lecture du père Goriot m’a transportée. Plusieurs fois je me
suis dit, comme c’est bien écrit, comme c’est bien observé, ohlala comme c’est
riche en mots (jusqu’à la pesanteur parfois) mais que c’est chiant aussi. Du
génie peut-être mais quelle scie en 2009, je comprends que les jeunes ne lisent
plus si on ne leur fait lire que ce
genre de littérature musée. C’est comme Céline, jamais réussi à le lire, ou
juste ce qu’il faut pour le bac, et surtout jamais réussi à déceler dans ses textes
ce qui justifiait qu’à chaque fois qu’on veut dire que la littérature française
est morte, on le convoque. Dans mon souvenir d’ex lycéenne, Céline c’était
plutôt le gars convoqué pour preuve qu’on peut écrire avec des mots vulgaires
sans être vulgaire. Je me demande d’ailleurs combien de personnes qui l’agitent
fébrilement l’ont réellement lu ce Céline…  

Entendons-nous bien, Balzac a une place (Céline aussi sans
doute mais bof), une grande, mais en 2009, la langue, le pays, le monde ont
changé et sur les autres places, on trouve tout plein de fessiers littérairement
remarquables. D’autant plus qu’il faut peut-être attendre le siècle prochain
pour savoir qui finalement avait, et du talent, et du génie, et que j’ai
parfois l’impression qu’on compare des choux avec des éclairs au chocolat tant
les époques sont différentes, et parfois franchement lointaines. Un peu comme
si on faisait un procès aux Moyen-âgeux du sort fait aux femmes à l’aune de
celui qui leur est fait en France en 2009. Je suis sûre qu’au pays de Dostoïevski
on pleurniche en disant que ça n’est plus ça depuis lui, de même chez les
Allemands, on se lamente que depuis Goethe, rien ne va plus. Etc.   

Enfin, concernant les auteurs français, de langue comme de
nationalité, reprenons espoir car selon Pierre Assouline, si Atiq Rahimi (prix
Goncourt 2008) et Jonathan Litell (même prix mais en 2006) ont de la plume, il
n’est pas convaincu pour autant que ces auteurs puissent rivaliser avec les
plus grands auteurs français du passé. Mais tiens j’y pense, le Passous a
peut-être bien lui aussi finalement son côté vieux con pour réussir ainsi à
prédire l’avenir de ces auteurs pas si vieux que ça (1962 et 1967), et qu’au
fond du fond, la vérité c’est qu’on s’en fout quand on lit d’avoir à faire à un
génie ou un tout juste talentueux… type d’auteur que l’on trouve heureusement
dans toutes les littératures. Et puis, de toute façon, quand l’heure sera venue
de savoir si les auteurs du moment ont passé l’épreuve du temps, on sera tous
morts et donc j’en déduis que ce qui compte c’est d’avoir du plaisir à les lire
maintenant, de trouver chez certains
d’entre eux des idées des récits des images des émotions qui nous portent, nous
transportent nous enchantent et qui nous font avancer.

Alors vite, relisons les dix commandements du lecteur du
talentueux mais point génial sans doute Daniel Pennac !

1.

Le droit de ne pas lire.

2.

Le droit de sauter des pages.

3.

Le droit de ne pas finir un livre.

4.

Le droit de relire.

5.

Le droit de lire n’importe quoi.

6.

Le droit au bovarysme (maladie textuellement
transmissible).

7.

Le droit de lire n’importe où.

8.

Le droit de grapiller.

9.

Le droit de lire à voix haute.

10.

Le droit de nous taire.

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