Mamiyas

Ce matin, après une énième insomnie qui m'a livrée à la nouvelle journée avec l'énergie d'une nonagénaire vieille et  insomniaque, j'ai trouvé un texto d'aveline m'annonçant que sa paire de avait vu le jour. Pomme ou Prune. Prune ou Pomme.  Elle n'arrivait pas à trouver le bon prénom pour le bon bébé. Le kiwi de père était prévenu, il était supposé être en route à l'heure qui l'est, il avait tout de même un bout de chemin de quelque 15 549 km à parcourir pour aller voir ses deux fruits filles, qui pour l'heure étaient en couveuses, tuyautées des pieds à la tête, se partageant 4,100 kilos à deux, un épais manteau de poils noirs et des oreilles de faune. A la voix d'Aveline, que j'ai aussitôt appelée entre le café à avaler, la couche à changer et le sandwich à tartiner, j'ai senti qu'elle, pourtant si nonchalante depuis son passage chez les kiwis, était un peu désorientée par  l'apparence de sa paire de. On a beau s'y préparer, le nouveau-né, surtout pas assez cuit, est bien laid, quoiqu'en diront les mères parfaites (ou abusées).

Dans la journée, j'ai eu Bastille, à qui j'ai annoncé la nouvelle, et qui m'a dit qu'elle songeait, après mûre réflexion, à l'aube de sa pré-ménopause, à s'offrir une petite maternité car après tout, avoir un enfant seule c'était peut être encore la meilleure solution quand on voyait les hommes et les statistiques de divorce sans oublier les querelles stupides sur la thématique de l'évier plein ou de la poubelle à descendre dont elle avait pu être témoin, y compris chez moi, toute princesse d'extraction que j'étais.

–         Bastille, j'ai fait prudemment, les choses ne sont pas si simples que ça… 
–         Tututut, tu n'as pas voix au chapitre, nantie que tu es… elle a aussitôt sifflé. Ne me fais pas la morale des ventres pleins stp bien !
–         Ce n'est pas ça Bastille… c'est que le cas d'Aveline est complexe…
–         Ah bon ? En quoi serait-il plus complexe que le mien de cas hein stp bien ?
–         Eh bien… elle ne pensait pas que le père de sa paire de avait déjà une paire de… et une femme vendue avec forcément…
–         Très original comme situation… c'est tout de même un cas assez répandu non ?
–         Je ne suis pas sûre que si Aveline avait su ça, elle aurait tenté le coup…
–         Tututut, tu n'y connais plus rien Marie ! Elle le savait !
–         Comment ça ?
–         Elle savait forcément que ce type n'était pas le mari de la farce… que forcément il y avait alliance sous l'oreiller… c'est évident !
–         En quoi est-ce si évident ? J'ai protesté.
–         Sinon il ne lui aurait jamais fait ce coup de la passion, il n'aurait jamais pris le risque de se retrouver père…
–         Je ne te suis pas bien là Bastille…
 
J'étais complètement perdue d'autant plus qu'entre temps, ma nouvelle chef, Bécassine, venait d'arriver de son lit (il était 11h32).
 
–         Je veux dire qu'un type qui se résigne aussi vite à faire un enfant à une femme est forcément un type qui a quelque chose à cacher… et de préférence pas l'amour !
 
J'ai dû raccrocher sur cette vision tout à la fois cynique et naïve de la part de Bastille qui, je suppose, vivait de moins en moins bien de voir toutes ses copines même attardées se reproduire alors que la veille de la pré-ménopause s'annonçait bientôt. Bastille n'avait jamais véritablement montré d'inclination pour la reproduction humaine, du moins la sienne, et j'espérais qu'elle n'allait pas abdiquer par pure convention à la mode Dati, il faut aussi que je fasse un gosse. J'étais pour demander à ma nouvelle chef si elle avait quelque chose à me faire faire car après avoir frotté mon bureau et relu pour la sixième fois la même colonne de chiffres, je ne voyais vraiment plus quoi faire pour divertir mon néant mais Bécassine était déjà repartie déjeuner. Après elle ferait sans doute les soldes, et viendrait regarder ses mails à l'heure dugoûter avant que de repartir à celle du thé. 
Plus tard, dans la journée, j'ai eu en coup de vent Soledad qui préparait le vernissage de son expo de photos de chats et de gargouilles, son petit violon secret pour se dire qu'elle ne faisait pas que bosser dans la vie. J'ai eu du mal à lui annoncer la nouvelle car Aveline faisait tout de même partie des derniers Mohicans du célibat, de la maternité devrais-je plutôt dire car au jour d'aujourd'hui, si elle n'était plus seule (ses deux filles se chargeraient désormais de mettre l'ambiance chez elle) elle était toujours célibataire comme au premier jour de sa vie. 
 
Il y a eu un long silence sur la ligne. Qui a duré duré… le temps que Bécassine rentre avec ses soldes sousle bras et allume son ordinateur pour consulter ses mails.
 
–         Soledad, j'ai chuchoté, ce n'est pas qu'un heureux évènement… elle va sacrifier plusieurs années de sa vie à s'occuper de ses filles, nuit et jour, vu que le père vit très loin…
–         …
–         C'est un coup à choper une dépression, déjà qu'en couple, une mère de paire de sur 4 fait une dépression nerveuse, alors seule…
–         …
–         Elle a même failli y passer, et ses filles sont si petites qu'on ne les voit qu'à peine…
–         …
–         Si c'était à refaire, pas sûr qu'elle le referait tu sais…
–         …
–         Ses petites vont devoir rester longtemps à l'hosto et elle aussi… pas sûr qu'elle supporte un mois de plus là bas…
–         …
–         Et elle peut faire une croix sur sa carrière professionnelle, remonter une agence de com, c'est absolument inenvisageable…
–         …
–         Soledad, j'ai chuchoté braillé, tu es toujours là ?!
–         Marie, a dit Soledad d'une voix blanche, je vais m'inscrire à un club cet été, je me fais sauter par le premier qui veut bien de moi et je ne reviens pas à la capitale sans avoir un ou deux polichinelles dans le caisson ! Il n'y a plus d'autre solution !
 
Sur ce, elle a raccroché. Bécassine était en train de nous souhaiter une bonne nuit les petites (il était 16h35).
 
Le soir, on a été dîner chez la grande Simone et le professeur colza, mes vieux donc, et j'ai avoué la confirmation de maternité d'Aveline en rougissant. Je savais que la grande Simone, quand bien même chantre de la libération féminine, restait la bourgeoise qu'elleétait née quand il s'agissait de maternité et autres salamalecs. Elle a poussé un rugissement.
 
–         Quoiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii ?
 
Après enquête, il s'est avéré que le cri provenait de ce que le professeur colza avait testé une machine à recycler le papier sur sa bibliothèque privée et que ses œuvres reliées étaient bonnes à jeter à la poubelle même pas de recyclage, ce qui heurtait ma mère qui pour la première fois de sa vie aux Européennes avait laissé choir les cocos pour les écocolos. Puis la grande Simone s'est tournée vers moi
 
–         J'espère que tu ne comptes pas faire la même chose Mimi ?
–         Mais maman, je suis avec A… et nous avons déjà fait la même chose… Zébulon n'est pas né dans un choux !
–         Alors ne recommence pas, elle a dit d'une voix tranchante, franchement Mimi… je ne comprendrai jamais pourquoi on s'obstine à avoir des enfants… seule surtout !
 
Et la grande Simone s'est mise à blablater sur madame vivagel, la dame qui mettait ses nouveaux nés au congélo, en disant que finalement la vraie normalité était là, ne pas savoir qu'on était enceinte, c'est à dire refuser du fond de l'être, de l'être. A chaque fois, je dois lui rappeler qu'elle m'a bien eue, moi, et outre que c'est blessant, c'est éreintant. Elle m'a dit de ne pas jouer sur les mots, que je savais très bien que j'étais sa seule et unique contradiction terrestre, et que je n'allais pas le lui reprocher jusqu'à sa réduction en cendres, quand elle aurait accompli toute son œuvre, terrestre de même.
 
La maternité tirait la femme vers le bas, elle le disait et elle le répétait, la matrice n'est pas La femme, elle a martelé tandis que le professeur colza testait son nouvel essuie-miettes (une miette remplacée par un trou sur la nappe). Maternité rime avec aliénée, elle a poursuivi, et les icônes modernes de ces femmes allaitant leur petit paquet de chair (allaitement maternel remis au goût du jour par la nouvelle Réaction), certaines renonçant même à leurs ambitions personnelles sans qu'on ne leur ait même demandé (stade ultime et subtile de la domination masculine), la rendait positivement malade. Je l'ai arrêtée quand elle s'est mise à aborder la question des mères porteuses, ces nouvelles prostituées des temps modernes, Zébulon avait son gilet sur le dos et A la main sur la poignée on se tirait chez nous, misérables primipares que nous étions.
 
Rentrés chez nous, à 23 h 35, j'ai découvert que A avait laissé en plan le petit-déjeuner sur la table, ce qui remontait à peu près à 14 heures 30 de temps, le beurre faisait une jolie rivière en direction du sol et Zébulon a beaucoup apprécié de la piétiner. Dans la cuisine, l'évier avait visiblement horreur du vide au contraire du frigidaire dont la porte était restée ouverte sur sa mise à sac.
 
Je me suis vue poussant un cri de guerre, le cri immémorial de la femme aussitôt qualifiée de mégère, ou du moins, de vulgaire matérialiste qui vient chercher des poux  à son mari qui certes a négligé le ménage mais qui a ardamment travaillé du chapeau pour les examens de sa fin d'année.
 
Puis j'ai repensé à Bastille, qui m'accusait d'être devenue une princesse déchue. Puis à Soledad qui, si elle aurait voulu voir son évier plein ou son beurre couler sur le sol, devrait le faire par elle-même. A la grande Simone à qui je donnerai raison d'une certaine façon si je me mettais à brailler. A A enfin qui par rapport au professeurColza était un fou du ménage et un dieu du foyer.
 
J'ai aussi pensé à madame vivagel qui avait tué 3 de ses nouveau-nés au motif qu'elle ne voulait pas devenir comme sa mère, encombrée d'enfants, et qui passait son temps à pleurer et à crier en disant qu'elle serait bien mieux au fond du trou.
 
J'ai enfin pensé à Aveline qui avec sa Pomme et sa Prune n'aurait même pas d'homme à demeure et qui sans nul doute laisserait plutôt souvent l'aspirateur dans le placard et la vaisselle dans l'évier.
 
Et on est partis se coucher.


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