Fête des voisins, faites moi rigoler



Les fêtes de voisinage sont une institution qui me fascine…
qui peut bien avoir des voisins avec qui il a envie de faire la fête ? Qui
peut avoir envie de partager quoi que ce soit, même une simple bière, avec
celui ou celle qu’il croise chaque jour, et qui à son bonjour tonitruant, du
moins suffisamment amical pour que l’on sente son envie de converser, ne reçoit
de son voisin en réponse qu’un b..o…j…r, filant entre les dents.

Qui signifie bien plutôt que la fête du voisinage ça sera
sans lui, le voisin, et si possible dans un autre voisinage car il n’a pas
envie d’être dérangé par le bruit atroce des rires et des verres entrechoqués
de ses con-viviaux de voisins.

Récapitulons. Dans notre
ancien palace, nous avons connu Arsenic le dingue. L’homme qui arrachait les étiquettes de boîtes aux lettres et
donnait des coups de balais au plafond ou de marteau dans les plinthes pour
qu’on arrête de marcher sur son plafond (notre parquet) en pratiquant sans
doute la lévitation, tandis que son âme sœur s’évertuait en godillant à
maquiller sa folie en la faisant passer pour un trait de caractère remarquable,
celui d’un homme d’excès et de passion. Côté flanc, il y avait le bourrin, trentenaire
de son état civil mais octagénaire de son mental (pardon les vieux) qui cognait
au mur parce que Zébulon pépère trouvait que dormir la nuit ça n’était pas pour
lui et qui m’a juste dit quand on déménageait, vous pouvez enlever le
panneau Vendu de mon balcon, à moi qui pesait 30 kilos de moins que lui avec
quelque 30 centimètres de moins de même.

Après cette brochette de voisins immédiats qui aurait bien
plutôt poussé à mettre de l’arsenic dans le godet de l’autre (Arsenic) qu’à
trinquer à sa bonne santé, nous nous somme retrouvés en ère glaciaire, section
banquise (5 étages), où les habitants du lieu sont au mieux des fantômes, au
moins mieux des duègnes du Règlement de l’Immeuble, ou des portes de prison (et
encore je suis sûre qu’on peut trouver une porte de prison plus sympa que la
moyenne des gens de cet immeuble).

Et il fallait venir à Montreuil pour voir ça. Moi je dis,
mais où sont donc les bobo?

Je ne me remets qu’avec peine d’avoir croisé le jeune homme
plutôt sympathique du conseil syndical, 35 candélabres à tout casser, au volant
de son char d’assaut, un 4×4 noir comme le diable aux vitres fumées, un machin
haut de près de 10 mètre qui encombrait le parking depuis un mois et dont on se
demandait bien à qui dans cet immeuble plutôt France moyenne il pouvait bien
appartenir. J’aurais jamais pensé ça de lui, j’ai dit à A, ce jeune gars qui
nous expliquait comment manipuler la chaudière avec un doux sourire blond…
tandis qu’au même moment, le voisin du deuxième, qui a une tête de proxénète à
canif pointu et qui estime sans doute s’occuper de ses enfants quand il leur
aboie dessus, nous dépassait en nous crachant à peine un bonjour entre les
dents et son mégot.

De bobos par ici que pouic, des bourgeois bourgeois ? Et
non même pas. Plutôt la France honnête qui veut pas qu’on l’embête. La France
qui dort tôt, se lève jamais bien tard, même à 65 trimestres de cotisation
sociale et qui, sortie du bonjour au revoir ahlala quel temps, trouve que c’est
tomber dans des dialogues à la Rhomer.

Je pourrais la faire à la Brel… d’abord, il y a la voisine
du premier, qu’est sèche comme une trique, pas méchante comme une teigne, au
fond, puisqu’elle collète les paquets et pousse même la grâce saricificielle
jusqu’à nous les remonter au quatrième. Une pas vieille retraitée qui devait
être experte comptable, si j’en crois mon intuition moi qui les connais bien (tout
le monde les connaît), qui se sacrifie désormais aux chiffres et à la rigueur en
animant le Conseil syndical tout en distribuant des copies du règlement de
l’immeuble aux nouveaux arrivants (nous par exemple), dont elle souligne les
passages clés les concernant (toute véhicule doit être garé à la place qui lui
est dévolue) le tout accompagné d’un Bienvenue qui m’avait donné l’impression
de faire enfin à 40 ans mon service militaire.

Nos rapports, vaguement réchauffés par ses missions montage
de colis postaux, ont pris un coup de froid dimanche dernier quand j’ai ouvert
la porte sur sa maigreur, essoufflée d’avoir grimpé quatre à quatre les
escaliers…

         
Madame, cela fait au moins trois fois que je
vois votre poussette dans le hall en bas… je vous le dis et le répète, le
règlement de l’immeuble est très clair à ce sujet, aucune voiture d’enfant  ne doit stationner dans les étages…

         
Mais c’était juste parce qu’on allait ressortir…

         
Je ne veux pas le savoir, si on commence à
tolérer une poussette, il y a d’autres petits dans l’immeuble alors vous
imaginez…

Une pyramide de voitures d’enfants dans le hall d’en bas.
Une sorte de commencement de pourrissement à la napolitaine, avec poubelles
éventrées dans les couloirs, chats pendus aux poignets de porte, mozzarella à
la dioxine, couches de bébé étalées sur les murs, tsunami, suicide collectif…

         
Mais je vous assure, m’dame, qu’on n’a dû la
laisser que deux fois depuis notre arrivée…

         
Trois.

         
C’était celle d’une amie !

         
Dites ce que vous voulez mais je ne veux plus
voir UNE SEULE FOIS votre poussette en bas, sinon…

Sinon. Les pompiers, les céresses, l’Onu, la mise à mort de
la poussette, le lynchage de ses parents, le Zébu à l’orphelinat avec madame le
règlement veillant à ce qu’il ne revienne pas, lui et sa poussette, encombrer
le hall de la résidence (comme elle dit, comme disent tous les gens qui veulent
que leur immeuble soit autre chose qu’un simple de bête immeuble).  

Mais revenons au reste du voisinage… Face à sa porte, à
madame le règlement, il y a le couple de professeurs des écoles d’en face son
palier, avec leur gamine de 2 ans, areva…

         
Y a un tri sélectif ? Moi, débarquant fin
août, emplie du désir d’avoir enfin un voisinage idéal avec qui, enfin, moi
aussi je ferai la fête des voisins.

         
Non.

         
Ah et vous faites comment ?

         
On se débrouille par soi-même.

Euh, on s’achète ses propres poubelles ? On les porte à
l’usine de tri ? On trie là bas soi-même ses cartons papiers
bouteilles ? Et dominique voyet vient vérifier qu’il n’y a pas
boulette ?

         
Non. Conteneurs. Place face magasin cimetière.

Et les autres contacts n’ont pas été beaucoup plus
voluptueux. Alors adieu goûter-rencontres entre areva et zébulon, adieu
première amitié d’enfance, première amitié entre jeunes parents, apéro du soir,
échange de bons procédés, on vous garde areva, vous allez au ciné, vous nous
gardez le zébu, et on va se jeter un godet.

Au-dessus, y a le couple de petits vieux, 35 années
d’immeuble, la femme a accouché de ses deux enfants en lieu et place (je
marseillise), école puis lycée à côté, une villa à la mer, au moins on a parlé
mais j’ai la désagréable impression que le monsieur pourrait animer des séances
de vocabulaire à l’Académie française et que sa dame suit l’ombre de son mari
se glissant dans le grand dehors chaque lundi à 10h06 par exemple, lorsqu’il
sort sa voiture impeccable pour aller faire les courses.

Bon, ce n’est pas les retraités qu’on visait, au moins
ceux-là sont-ils aimables alors voyons le palier d’en face.

Une autre famille. Origine maghrébine. Le père, c’est le
proxénète au visage en lame de canif croisé un peu plus haut, un mégot coincé
dans les canines, l’air toujours en rogne. Sa femme, Nadja, était plutôt sympa
au début, très sympa même, souriante, elle m’avait chuchoté cette phrase que je
comprends mieux maintenant… l’immeuble… oui ça a les inconvénients d’une petite
résidence… pleine de vieux surtout… mais au fil de l’année, Nadja a semblé de
plus en plus énervée (le boulot, le bébé et ses dents, la crise des 3 ans de l’aîné…),
filant désormais entre deux courses, deux RV, deux portes. Adieu donc encore
une fois future partie de foot entre les 3 garçons, pique-niques en famille au
parc à côté (certes avec tête de canif et son mégot, décapsulant sa bière avec
ses ratiches), apéros pris ce concert encore une fois, nous gardant leurs
garçons pendant qu’ils vont manger une pizza, eux gardant Zébulon pendant que
nous allons au cinéma.

(Au fur et à mesure que j’écris sur ce voisinage, je me sens
de plus en plus déprimée, je sens le mythe de la super chouette ambiance de
Montreuil tant vanté, s’effriter, et la solitude individualiste urbaine m’envahir)

Ensuite, il y a notre étage et la famille ours. Papa ourse,
maman ourse, et tite oursonne. Tous très très ours. On croise généralement le
père, un vrai plantigrade des climats tempérés, large et barbichu, qui ne donne
son bonjour que contraint et forcé (genre plaquage au mur d’entrée avec surin
sous la gorge) en compagnie de sa fille, très mignonne, mais déjà oursinée, yeux
baissés, pas de bonjour… même si on sent qu’elle viendrait bien parfois
chatouiller le Zébu qui lui, indifférent à leur mutisme, roucoule joyeusement (ou
hurle si on est en train de l’arracher à son occupation favorite du moment, caresser
toutes les voitures du parking en psalmodiant auto auto auto). La mère apparaît
de temps  à autre, une rousse aux cheveux
vaporeux qui elle aussi dégaine son bonjour le temps de disparaître par la
porte d’entrée. Pas de sourire, jamais sur la banquise et ses ours (brun et
roux). Ah je suis injuste, une fois papa ours nous a adressé la parole, cela
faisait au moins 5 mois qu’on habitait là.

         
C’est une fille ? Main poilue désignant le
Zébu.

         
Non, un garçon ! (pétard, depuis sa
naissance, ce môme tout le monde lui trouve une tête de gars)

         
Quel âge ?

         
Un an… et votre fille ?

         
10. Ça passe vite. Profitez en bien.

Cri crac. Il était déjà rentré chez lui. Ce fol
dialogue a dû le vider car depuis, à peine bonjour, peut être que dans 5 autres
mois, il demandera si on en a bien profité du petit zébu ?

Après, il y a des fantômes. Des gens que l’on ne rencontre
jamais. On ne les voit pas, on ne les entend pas, à part un couple plutôt
jovial au cinquième étage mais que je n’ai pas vu depuis au moins deux mois (c’est
pour ça qu’ils étaient joviaux, ils partaient…).

Le soir, quand je n’arrive pas à m’endormir, j’imagine ce
que donnerait une petite fête de voisinage avec tous ces voisins là. Lame de
canif aboierait sur ses fistons en train d’avaler toutes les chips ou de
pousser le chat par la fenêtre, madame le règlement passerait son temps  à dire qu’il ne faut pas parler trop fort, s’asseoir
sur les pelouses, laisser trainer son panier repas dans le hall, tandis que
monsieur l’académicien discuterait avec les jeunes instits de la pertinence ou
non de la dernière réforme darcul relative à l’enseignement du verbe festoyer
au subjonctif du plus que parfait de l’indicatif. Par ailleurs, les trois ours
enfin réunis (on soupçonne un couple séparé) mangeraient les yeux fixés au sol,
on entendrait le tic tac sinistre de leurs montres, et puis à 22h00 pétantes,
madame le règlement déclarerait, il est 22h00, le règlement stipule que passé
cette heure, plus aucun bruit ne doit être audible dans les parties communes,
mesdames, messieurs, bonsoir, la fête est terminée.

Moi je vous le redis, écoutez pas ce qu’on vous dit,
Montreuil c’est pas forcément boboland, ou alors mes voisins sont des néo-bobos
en avance sur leur temps…

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