Carpe diem

Tel est le conseil avisé que m’a donné l’employée pseudo philosophe de la Banque postale après que, furibarde et révoltée, je les ai appelés pour leur signaler que, suite à un vol de chéquier survenu sur la personne d’une de leur factrice en 2006, je venais de découvrir que j’avais été fichée à la banque de France par Célahaine, une organisation de malfrats glauques, de forbans encravatés et de repentis trader (tout ça c’est la même chose) ayant pignon sur rue, de ces maffias légales qui proposent un crédit revolving à un taux usurier de 185% aux plus pauvres… et fiche les victimes de factrices évaporées qui ont laissé leur charriot de distribution tout nu sur la voie publique.

Pour parvenir jusqu’à cette employée très zen, il m’a fallu taper un nombre de * et de 4 de 1 de # sur fond de musique flonflon rock que même mes collègues ont eu en tête toute la fin de journée. Enfin, j’ai eu en ligne mademoiselle Trésor, service contentieux et affaires (mal) suivies.

Je lui ai tout d’abord demandé comment cela se faisait que Célahaine avait eu le culot de me ficher, moi, quand la voleuse avait forcément rempli un contrat avec sa date de naissance à elle (cela dit en passant, à défaut de récupérer ce chéquier et ma virginité auprès de la Banque de France, être née en 1980 comme cette poufiasse me plairait bien). Elle a commencé par me dire que Célahaine avait dû se tromper, mais je sentais qu’elle n’y croyait pas vraiment. Comme j’insistais, elle a chuchoté dans le combiné que Célahaine était vraiment un repère de bandits légaux, que leur armée d’avocats (marrons bien caca) étaient prêts à abattre toute personne qui oserait s’élever contre cette structure, qu’enfin, et surtout, il leur fallait toujours trouver un coupable.

          Mais les coupables, mis à part la voleuse, c’est vous ! J’ai crié. Ce n’est pas moi qui me suis fait piquer ce foutu chéquier dans la rue !

          Tout ceci c’est de l’histoire ancienne… elle a tempéré. Vous n’allez pas y revenir dessus ad vitam eternam, Marie, il faut savoir pardonner…

          Mais je suis fichée jusqu’en 2011 ! J’ai gémi. Je ne peux pas emprunter le moindre centime, même (et surtout pas de toute façon) chez ces vautours de Célahaine !

          Mais pourquoi donc consommer et encore consommer… qu’est-ce que vous allez donc encore trouver le moyen d’acheter ! Elle a glapi.

          Un ravalement, j’ai répondu sombrement.

          Ahahah, elle a ricané, un ravalement… on aura tout entendu… quel luxe ! En ces temps de crise !

          C’est pas moi, j’ai répliqué en sentant bien qu’on s’éloignait du sujet, c’est les vieux, ils ont peur que la façade leur tombe sur les pieds, et madame le règlement a stipulé que le règlement stipulait une année, un coup de balais, dix ans, un ravalement… mais qu’importe, que comptez-vous faire, mademoiselle Trésor, pour que soit effacée cette inscription inique de mon patronyme princier à la Banque de France ?

          Carpe diem, elle m’a encore fait. Marie, il y a forcément une solution… Carpe diem…

Même que je me suis demandé si elle connaissait vraiment le sens de cette expression, si elle ne la confondait pas plutôt avec keep cool ou no panic, quand on sait que carpe diem signifie à peu près, profite du moment présent, or, personnellement, je ne voyais pas de quoi profiter dans le moment présent, et certainement pas de ces 3 000 € qu’il me fallait pour m’offrir le luxe de ce fichu ravalement de façade.

          Vous pourriez avoir un cancer, par exemple, elle m’a suggéré d’un ton encourageant.

          Comment ça ? J’ai couiné. Vous voulez que je simule le crabe pour que prise de pitié la Banque de France efface mon nom de ses fichiers ?

          Non, elle a dit d’un ton patient, vous pourriez être malade, en phase terminale, presque morte même, vous ou les vôtres, ou être célibataire sans enfant à deux années de la ménopause, ou bien SDF ou…

          Ne détournez pas la conversation, j’ai dit d’un ton ferme, je n’ai pas besoin d’être en haut de l’échelle des catastrophes pour rentrer dans mes droits !

          Bon, bon… vous énervez pas… elle a soupiré, je pars en vacances demain, c’est bien ma veine que vous me tombiez dessus vous et votre fichu fichage…

          MAIS C’EST A CAUSE DE VOUS !

J’ai hurlé si fort que Bécassine en chef est sortie de son bureau en se demandant si le cauchemar Hadopi l’avait poursuivie jusqu’ici. Je lui ai fait un signe rassurant, mais elle avait déjà filé à son cours de peinture sur soie qu’elle suivait dans le cas de la DIF (Déviation dans l’Insertion Frofessionnelle).

          Bon bon, vous excitez pas, carpe diem, Marie, carpe diem… je vais faxer à madame Agio les éléments du dossier… c’est ma collègue du service Gros merdier, et comme elle part en congé aussi lundi, elle va donc faxer le dossier à madame La Nouille, du service On fait c’qu’on peut… qui avait suivi avec grande compétence votre affaire il y a 3 ans, et qui revient lundi de congé…  madame La Nouille prendra contact directement avec Célahaine, c'est-à-dire par courrier… et puis voilà !

Elle a conclu d’un petit ton satisfait.

          Mais il faut être plus direct ! J’ai protesté.

          Bon ben alors par fax ! Madame La Nouille leur enverra un fax si ça peut vous faire plaisir !

          Par téléphone ! J’ai braillé. Il faut qu’elle les joigne par téléphone et qu’ils lui disent ces enfants de salauds de mes burnes ce qu’ils ont fichu et comment ils comptent rattraper leur erreur ces gros salopards !

          Marie, a émis mademoiselle Trésor, carpe diem, carpe diem…

Je lui ai raccroché au nez et j’ai commencé à fomenter le projet d’un attentat à Neuilly sur seine où se trouve le siège de cette bande de Mesrine du crédit revolving. Ou plutôt, plus délicat, je me suis dit que j’aimerais introduire un virus dans leurs machines et que tout se détracte, que des milliers et des milliers d’euros soient par erreur virés sur les comptes de leurs clients les plus asphyxiés et que la Justice en la personne de MAM leur déclare que c’était comme ça, c’était la vie, non, ils ne pourraient pas récupérer leur flouze, ils n’avaient qu’à faire attention après tout, nom d’un p’tit bonhomme.

          Ce qu’il faudrait, m’a dit super cadette, c’est que quelqu’un d’hyper important, genre Nicolas Ier, soit l’objet de la même bévue…  tu sais comme pour son histoire de téléphone portable et de détournement de RIB chez SFR !

          Non mais, j’ai ricané, tu imagines Nico fiché à la Banque de France ?

          Eh bien… Nicolas Ier se ferait voler un chéquier dans le charriot devant l’Elysée et son voleur l’utiliserait justement chez Célahaine et Célahaine ferait les cons comme avec toi au point qu’il se retrouverait dans la même panade, avec interdiction d’emprunter, prêt à la conso ou crédit revolving…

          Sans oublier le ravalement à 3000 €, a précisé Benjamine qui partait dans 5 jours et ne se tenait plus de joie de quitter cette salle des machines à chiffres que nous étions devenues.

          Laissez tomber les filles, je vais aller taxer ma baka rakjia, elle me fera un taux à 22% parce qu’il ne faut pas attiger, elle m’a déjà offert un pied à terre grâce à ses rentes royales à Boboland…

          Marie, a tonné super cadette, il faut que tu sois blanchie !

          Je vais faire le nécessaire… ne t’inquiète pas, je ne vais pas me laisser avoir…

Ai-je marmonné, prévoyant déjà de me farcir un énorme dossier à constituer auprès de la Banque de France en plus de tous ces dossiers administratifs qui sont ce pain quotidien qui me permet ensuite d’en déposer les fruits sur le compte d’une institution parfaitement incompétente (et/ou dépassée) où les employées sont folâtres, flemmardes voire irresponsables. Ce qui me fait dire que dans le cadre de mon plan de vengeance, ni mademoiselle Trésor ni madame La Nouille ne devront être oubliées et qu’une punition devra donc leur être infligée. Je ne veux pas leur mort (au contraire de celle, virtuelle, des vautours de Célahaine), un petit vol de chéquier avec grands emmerdements sur 5 ans serait une bonne chose. Il va falloir que je guette le charriot de leur quartier…

Carpe diem comme dirait l’autre. 

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