Le choix

Si l’on écoute la grande Simone, Aveline s’est foutu toute seule
dans le purin avec son semi-maori et sa paire de. De façon générale, si l’on
écoute la grande Simone,
qui est un bulldozer né alliant chose rare action et réflexion, la vie est
finalement assez simple. Soit on se marie et on a des gamins (et on est quelque
part une grosse vache), soit on fait le choix de l’indépendance et de la
liberté, on ne se marie pas, donc on n’a pas d’enfants mais on reste droite. Sachant
que dans le même temps, la
grande Simone, si vous avez dépassé les 30 années terrestres
seule au monde, vous tarabustera en vous énumérant mariages et naissances de
son entourage même absolument non immédiat. C’est ce qu’on appelle, je suppose,
une contradiction méthodologique.

Je résume. Bien sûr, la grande Simone est
une mère qui ne me renie pas, qui a même eu deux filles si on compte sa
Parfaite adoptée à pas d’âge, mais elle considère que c’est là une et la seule
contradiction de son parcours d’intellectuelle féministe. Quelque part, c’est
comme si elle n’avait pas eu d’enfants, la Parfaite n’ayant même pas été portée
dans son bedon et moi l’ayant été pour satisfaire le professeur colza qui se
souhaitait un élève pour l’aider dans ses expériences. D’ici à ce que
j’apprenne qu’elle m’a trouvée sur son pas de porte…

Le choix. A-t-on toujours le choix d’avoir ou de ne pas
avoir d’enfants ? Je ne parle de la possibilité physiologique mais une
fois encore de cette éternelle situation contemporaine (ou même pas d’ailleurs,
avant de dire célibataire, on disait vieille fille) qui est de se retrouver au
mauvais âge, seule, et donc, sans possibilité d’avoir des enfants. Sauf à les
faire seule ou à moitié seule, façon Aveline.

J’entendais un jour à la radio une philosophe passionaria de
l’anti-mère porteuse qui disait qu’après tout, dans la vie, il y avait plein de
choses pour lesquelles on n’avait pas le choix et que c’était comme ça, et que
le fait de ne pas pouvoir avoir des enfants en faisait partie et ne donnait pas
le droit de tout faire à tout prix pour en avoir. Un peu comme une smicarde qui
voudrait coûte que coûte un vision. Certes. Mais cette femme avait-elle-même
des enfants, sans doute mis au monde en bonne et due forme (son ventre, son
mari), ce qui altérait quelque peu la justesse (au sens de la justice) de sa
vision, et la faisait surtout apparaître comme une bien sèche théorienne à côté
de ce gynécologue mesuré interviewé à ses côtés et qui avouait, qu’à force de
fréquenter tous ces couples sans enfants, avoir fini par mettre de l’huile dans
son speculum au sujet de la conception dite orthodoxe des mouflets.

Aveline a eu sa pomme et sa prune, de par elle-même, comprenez,
sans passer par un ventre porteur, un rapt ou une adoption (qu’on lui aurait de
toute façon refusée en tant que fille seule), mais elle est très loin du
conjugo heureux ou de la sainte mère, au point que d’aucuns comme la philosophe
anti-mère porteuse pourrait lui reprocher un bien triste égocentrisme de sa
part d’avoir jeté dans la vie deux innocentes gamines privées dès le nihilo de
leur père. Bien qu’à mon sens, il faille être égocentrique pour avoir des
enfants de quelque façon que ce soit car peut-on faire quelque chose au nom de
quelqu’un qui n’existe même pas ? Non. On le fait forcément avant tout
pour soi.

Quoiqu’il en soit, le semi-maori d’Aveline a fini par
débarquer et après avoir tourné dix fois dans chaque sens autour de l’hôpital
afin de conjurer l’œil malin qui peut-être menaçait les enfants nés
prématurément entre les mains de ces barbares de civilisés gaulois, il a fini
par aller pencher sa barbe sur les berceaux. Il est resté longtemps suspendu au
dessus, mesurant sans doute la taille des nez et des yeux afin de s’assurer que
ces enfants même pas fort reconnus étaient bien les siens, small, il a fini par
bredouiller, very small et il a soupiré.

Puis il est sorti et a disparu. Aveline qui entre temps
avait réussi à sortir de l’hosto en se faisant passer pour une visiteuse de fin
de vie, m’a retrouvée au café du coin où, bonne fille, je l’attendais devant un
kir depuis une bonne paire d’heures. Elle avait l’air en forme, le visage
reposé, détendu, comme je ne l’avais jamais vue depuis jamais mais elle m’a
déclaré que sa vie à venir lui apparaissait comme cauchemardesque, qu’elle ne
savait pas comment elle allait s’en sortir avec deux gamines toute seule.

Mais si, j’ai fait, tu vas y arriver, tu n’as pas le choix.

Peu de temps après, la réforme des hôpitaux exigeant une
concentration de moyens pour plus d’efficacité et d’économie, ce qui se traduit
curieusement par moins de place et de temps à consacrer aux patients, Aveline a
récupéré sa pomme et sa prune à demeure, enfin, celle de sa mère qui la lui
prête, car bossant dans l’immobilier, elle a des appartements plein les poches
dans lesquels elle fourre ses enfants, relations et connaissances jusqu’au jour
où elle les fait visiter à des couples heureux pour les vendre et se rappelle
soudain qu’elle y a installés des proches parfois seuls et/ou encombrés
d’enfants sans père.

En allant la visiter, je m’attendais à une scène façon
madame vivagel, la mère au bout du rouleau, tenant ses deux enfants au dessus
du congélateur ouvert en se demandant si par hasard, plus d’un mois après la
naissance, on pouvait encore en faire des provisions. Je frissonnais à l’idée
de cette pauvre Aveline, habituée à la vie en plein air, aux sorties et à
l’absence de contraintes familiales, obligée de s’occuper jour et nuit de deux
bébés qui allaient ensuite grandir et demander encore plus d’attention… disons
que dans 18 ans, on pourrait peut-être espérer aller se faire une toile.

Je suis rentrée avec ma mine de circonstance. Mais Aveline
trônait avec un grand sourire au milieu de tous ses cartons, un décor digne d’Emmaüs
étant donné que toute ses copines et copines de copines, émues par sa situation
de vieille fille mère, lui avaient donné une quantité de vêtements digne d’un
dépôt vente. Entre temps, le semi-maori avait réapparu, sans barbe, et avec des
chaussures aux pieds. Il avait purifié la pièce où dormaient les petites à
grands coups de fumette et de blabla, et il avait demandé à Aveline que ses
filles ne mangent jamais de fruits sous un arbre ou qu’elles n’aillent pas  chasser le cochon sauvage avant leur 8 ans.
Puis il était parti acheter des lits chez Ikéa car, me raconta Aveline, depuis
qu’il était sous nos tropiques, et papa pour la 3ème et 4ème
fois, il ne pouvait plus s’arrêter de s’agiter entre exorcisme, purification et
achat de matériel divers qu’il payait on ne sait trop comment.

Je suppose que je n’ai pas le choix, il lui avait dit en
réapparaissant, ces filles sont les miennes, et mon honneur tribal ne permettra
pas que je les laisse choir (tout ça en anglais). Aveline lui avait dit que son
honneur tribal n’y était pour rien, qu’il lui avait demandé d’être sa femme et
qu’elle avait pris les devants, à l’occidentale, comme dans les rades pourris
on n’attend pas que l’on vienne vous servir, on agit, on va au comptoir et on
passe commande.

Zayon, le semi-maori donc, avait eu l’air un peu perplexe, il
ne voyait pas les choses sous cet angle (et moi non plus je dois dire). Il
n’avait toujours pas dit s’il comptait rester en France, après tout il avait
une paire de en Nouvelle-Zélande à laquelle s’ajoutait une femme + une chaire
en ethnologie maorie, car oui, le sieur était de fait prof de fac (mais
d’origine maorie, ce qui expliquait les rituels et les tabous). Ce qui fait que
comme dans la drôle de guerre, on attendait sans attendre, Aveline ayant décidé
de faire comme si, quand il était là, c’était pour de bon, et comme si, quand
il disparaissait, il était sorti à vie de sa vie.

Nous avons curieusement discuté de mon statut de
travailleuse artiste frustrée.

         
Je n’ai pas le choix, j’ai prétendu à Aveline,
je dois garder la place en attendant que euh les choses avancent.

         
Quelles choses ? Elle m’a fait
grrrrrrrrrrrrr sur fond de tirage de lait ultra sonore.

         
Eh bien un second Zébulon par exemple…

         
Mimi, elle m’a fait, tu es bientôt aussi vieille
que moi, certes tu peux encore donner le jour à des paires de, voire des
triplettes mais les probabilités s’étiolent… grrrrrrrrrrr… sans compter
qu’attendre sans rien faire est la pire chose quand on aspire à se reproduire… grrrrr…
il faut rester en mouvement… grrrrrrrrrrr… un peu comme moi avec Zayon,
grrrrrrrrrrrrrr…. je bouge sans cesse car sinon grrrrrrrrrrrrrrrrr… je sens que
je vais vite broyer des gélules roses… grrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr

         
Je n’ai jamais réussi à courir deux cheveaux à la
fois, ai-je protesté.

         
Mais tu ne cours aucun cheval
actuellement ! Elle a grogné avec cette caractéristique des
post-accouchées qui est de ne rien cacher de ce que l’on pense.

         
Je suis à dada sur mon boulot et sur mes
tentatives de larguer la non muse, j’ai émis d’une voix faible.

         
Tutut… grrrrrrrrrrrrrrr… tu as le choix mimi,
toi tu as vraiment le choix, elle a
conclu en enlevant ploc le tire-lait de ses nénés, quitte ce boulot stupide qui
te liquéfie la cervelle et enferme toi dans la soupente pour écrire enfin un
vrai roman.

Sur ce, elle s’est levée pour congeler ses œuvres (le lait,
pas les filles) et moi je suis repartie dans ma banlieue.

Le choix. Tout était relatif. Je me sentais surtout engluée de
la cervelle, donc inapte à prendre quelque direction que ce soit. Chez moi,
déserté par A et le pépère restés au vert, j’ai retrouvé la non muse qui ayant
entendu les pubs à la radio sur les promos preumsses SNCF en première, avait
réussi à se dégoter un billet en classe affaire qui l’avait ainsi
prompteutement ramenée dans mes pénates.

La non muse aussi, d’une certaine façon, était un choix. Ou
un non choix.

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