Etre une femme libre 1

Etre une femme libérée c'est
pas si facile tu sais… ne la laisse pas tomber… lalala… Ce matin la non muse
m'a réveillée avec cet air à la fois idiot et persistant qui datait de mes
plates années de jeunesse et qui était interprété par un groupe de Strasbourg, Cookie Dingler, dont on n'a plus jamais ensuite entendu parler (être chanteur
d'un hit mode c'est pas si facile non plus), au point que je suis arrivée au
bureau en le fredonnant tout me rendant compte avec une certaine stupeur (et
affliction) que toutes les paroles me revenaient au fur et à mesure. 

Au bureau, j'ai trouvé une
Bécassine inhabituellement matinale, et d'humeur assassine, ne se remettant soudain
pas de sa chute de ministre de la culture à chef de bureau (3 personnes sous
ses ordres), tout ça parce qu'elle était tombée sur une interview du
« voleur » qu'elle s'entête à appeler mitrand, qui faisait table rase
de tout ce qu'elle et son équipe avaient fait. 

–         
On avait encore
des projets, et puis voilà, et puis c'est tout, elle m'a fait en tordant un
mouchoir de dentelle rose sous son nez, sa frange m'empêchant de voir si
vraiment l'ancienne ministre de la culture devenue ma supérieure hiérarchique
directe, pleurait.
–         
Allons, allons…
j'ai temporisé avec toujours ce stupide refrain en tête, vous savez bien que
c'est la règle du jeu… l'éternel refrain… le précédent n'a rien fait et le
nouvel arrivant va tout révolutionner…
–         
Mais moi j'ai
bossé ! A presque crié Bécassine. Je me suis cogné l'agrég de lettres, j'ai
enseigné, fait le tapin de presse pour Momone certes adorable mais corvéante à
merci (c'est la femme de VGE je vous précise, Mimi), j'ai écrit les discours de
Chichi jusque tard dans la nuit (la fracture sociale c'est moi, la défense de
la veuve noire et de son orphelin néocolonisé c'est moi encore), j'ai même… j'ai
même été Présidente de Versailles, vous vous rendez compte ?! Et là je
suis balayée d'un coup de manchette par ce ce…

J'ai fermé les yeux,
attendant qu'elle lâche l'insulte fatidique.

–         
Vilain, elle a
lâché dans un souffle, ce vilain à tête d'autruche… vous ne trouvez pas
Mimi ?
–         
Euh…
–         
C'est pas si
facile, Mimi, vous savez, de devenir une femme au pouvoir… surtout quand vous
n'êtes pas de pouvoir mais de lettres… comme moi…
–         
Je m'en doute,
j'ai admis même si je n'avais jamais eu personnellement à me poser la question,
en même temps, ici, ça vous permettra de souffler un peu en attendant…
 
Je n'ai pas osé prononcer le
mot fatidique, retraite. Cela m'aurait paru comme un décalage vilain avec
le soudain sursaut ambitionnel de Bécassine jusqu'à présent très (étonnamment) détachée
de ses ex prérogatives… et qui de toute façon avait déjà filé pour sa pause
déjeuner (11 h 15) car elle avait une réunion tardive cet après-midi (15 h 00)
et elle ne pourrait pas voir Utrillo à la Pinacothèque à midi tout en
s'achetant des « bricolettes » (dixit) chez Fauchon à côté pour le
dîner d'intimes (20 convives) qu'elle donnait ce soir avant de s'envoler pour
des vacances à Rome… où elle ne désespérait pas de parvenir à compter ses
points retraite à la villa Medicis.
 
Etre une femme libérée c'est
pas si facile… Ce refrain décidément ne me lâchait pas et je me suis tout à
coup demandé si ce n'était pas la conséquence de la lecture hier soir dans Télérama
d'une bi-interview de deux femmes de tête, comme aurait dit Bécassine,
Françoise Héritier, anthropologue, et Chantal Thomas, essayiste, (et non
directrice d'une ligne de lingerie comme à chaque je le crois) qui, toutes deux
à leur façon, défendaient la place de la femme, notamment du point de vue du
savoir, comme égale de l'homme.
 
Chacune dans leur genre m'est
apparue sympathique et admirable dans son parcours comme son intelligence, bien
qu'un peu déprimante si je me regardais moi avec ma non muse vautrée sur le
canapé qui me suggérait d'écrire sur l'ultime niouse concernant les
palpitations de Nicolas Ier, qui seraient imputables à Carla, si on en croyait
la presse britannique, tout en me faisant remarquer que le linge restait à
plier et que le petit n'aurait bientôt plus de couches à se mettre (prévoir
crochet demain par le supermarché, soit ½ heure de moins pour écrire).
 
J'ai tenté de me mettre à la
saisie des données de l'import export des droits d'auteurs 2008 mais le refrain
entêtant du matin s'entêtait.
 
Etre une femme libérée, c'est
pas si facile… Libre ou libérée ? Libérée cela fait penser au sexe,
inévitablement, or qui est libérée sexuellement n'est pas forcément une femme
libre, comme me l'avait fait remarquer plus souvent qu'à son tour Bastille qui,
de ce point de vue, se considère comme et libre et libérée. Par exemple, Catherine
Millet qui écrit sur ses fesses est-elle une femme libre ? J'avoue ne pas
avoir d'idée arrêtée sur la question, si ce n'est que l'ayant entendue à la
radio, je l'ai trouvé très agaçante, notamment avec son histoire d'amant sado
maso partouzeur fesseur et/ou fessé qui lui avait conseillé d'écrire sur leurs
frasques, vas y, tu peux le faire, et qui l'avait ensuite magnanimement
félicitée pour la qualité de son manuscrit où il apparaissait sans fard comme
un pur salaud (manuscrit que je suppose avoir été découvert chez l'éditeur
concerné par les voies naturelles et merveilleuses de l'aéropostale…).  
 
Libre, libérée. Les deux
femmes parlaient bien plutôt de liberté de la pensée, une liberté qui va de
prime avec l'autonomie financière, même si une ouvrière ou une cadre de banque
gagnant leur vie, ne sont pas forcément des modèles de libération de l'esprit. Elles
peuvent l'être, mais pas du simple fait qu'elles gagnent leur vie ou alors nous
serions des milliardes à être libres, y compris mes roms d'à côté qui quêtent
tous les jours ouvrables sur la 9.
 
Libérée, libre. La chanson de
cookie dingler dressait bien plutôt le portrait d'une femme façon cœur de cible
du magazine Elle ou n'importe quel
autre magazine féminin dans le vent (mais Elle est-il dans un vent autre que
celui qui souffle sur Deauville ?), plutôt qu'à ces deux intellectuelles
interviewées ou à la grande Simone… qu'elles ont par ailleurs quasi sanctifiée.
La grande Simone qui m'a toujours répété que je ne serai jamais une femme digne
de ce nom si je ne gagnais pas moi-même ma vie (ce que je fais) et si je ne
cherchais pas à faire de mon existence une absolue nécessité (j'y travaille).
 
Françoise Héritier a également
déploré que dans un vieux chromo daté du siècle dernier on ne voit la femme
qu'une fois seule maître à bord, c'est quand elle a 10 ans et qu'elle joue avec
son cerceau, après toute sa vie on la voit accompagnée : du fiancé, du
mari, des enfants, des petits-enfants, individus reliés à elle, la matrice, et
qui semblent ainsi être les seuls à même de lui conférer son absolue nécessité…
quand l'homme lui gravit les marches seul ou en compagnie d'une famille comme
simple appendice à sa personne et certainement pas comme absolue nécessité,
chacune des marches gravie montrant ainsi son accomplissement personnel.
 
Chantal Thomas a également
déclaré en avoir beaucoup voulu à ses copines d'enfance, enfants libres comme
elle, intelligentes, curieuses, mais qui à l'adolescence, et pire à la prime
jeunesse, ne se sont plus mises à jurer que par l'Homme et l'amour, organisant
leur vie, leur nécessité autour de ce dernier. Hors le couple, point de
salut !
 
Toute une vie de femme dont
l'ultime raison d'être est de trouver l'amour et de le garder pour le faire
fructifier en fils filles petits-enfants…
 
 J'ai ressenti tout à la fois la pertinence
attristante de cette déclaration et en même temps ce mépris un peu facile (l'amour
balayé de la main) qui me mettait si en rogne quand j'étais seule : ces
personnes qui font si peu de cas de l'amour et de l'autre (homme ou femme, mais
homme puisque là on est dans le schéma hétéro aliénant) sont-elles seules ou
bien aimées ? Ont-elles enduré des années de solitude ? Ont-elles été
dès fois plaquées de cette façon qui vous fait dire qu'on ne vaut décidément
pas grand-chose ? Si oui, sans doute indéniablement sont-elles libres,
mais également très sûres d'elles-mêmes… peut-être si parfaitement aimées en
leur petite enfance que rien ne les atteint (sauf grand malheur), car elles
croient profondément en elles-mêmes. Ou alors ce sont des cœurs secs, des rocs…
 
J'ai pensé soudain à
Soledad. Je devais absolument lui passer un coup de fil avant son départ
en vacances, ce week-end.
 
–         
Tu te sens
libre ? Je lui ai demandé au téléphone car j'en avais ma tasse de méditer
seule dans mon coin.
–         
Plait-il ?
M'a fait Soledad qui était en train de relire une plaquette sur la panse de
brebis écossaise vu qu'elle avait finalement opté pour une randonnée en Ecosse
marcheurs très confirmés (ce qui signifie essentiellement moins de femmes et
aucune ménopausée).
–         
Je veux dire… tu
te sens accomplie dans ton œuvre ? J'ai insisté.
–         
Mimi, ça va
bien ?
–         
Laisse tomber, j'ai
marmonné, dis moi juste si tu penses que tu as réussi ce que tu voulais faire…
hormis l'amour.
–         
Mimi ! A
protesté Soledad. Comment peux-tu dire « hormis l'amour » ?
C'est inaliénable à la réussite personnelle ! Professionnellement je suis
contente mais personnellement je me flingue !
–         
Ah…
 
Je suis seule, donc je me
flingue. Voilà qui attristeraient bien mes deux cervelles d'hier soir. Par liberté
d'esprit, il faut sans doute imaginer le cas d'une femme qui a réussi et sa vie
professionnelle et sa vie personnelle, sans pour autant avoir forcément fondé
une famille et sans que, c'est primordial, ça lui manque. Qu'elle ait eu le
choix. Ce qui n'était pas le cas de Soledad comme de tant d'autres.
 
Bastille. Sauf que Bastille,
à qui j'ai posé la question, m'a rembarrée en me disant qu'à 41 ans, elle
ne considérait pas sa vie finie, d'ailleurs sa mammographie était bonne, elle
avait encore quelques années avant de rencontrer le crabe de sa mort. Côté
boulot, elle assurait. Paysagiste de formation, elle avait été recrutée pour
travailler sur un plan d'aménagement urbain d'une cité à reconstruire de A à Z,
ce qui lui permettait d'allier le goût pour son métier avec sa fibre sociale,
sans compter qu'elle avait été littéralement suppliée de venir donner des cours
à la rentrée à Polytechnique sur le sujet dans le cadre de la culture générale
de ces futures huiles. Par ailleurs, elle ne le niait pas, elle avait besoin de
l'amour comme n'importe quelle bourge ou pouffe (ses propres termes),
seulement, elle le voulait vraiment, et ne le trouvant pas, elle préférait être
un peu cette caricature de la femme libérée de cookie dingler (les mioches en
moins) que de se ronger l'idéal dans son coin comme Soledad (qu'elle ne connaît
même pas, je précise). Enfin, elle a conclu, je n'écarte pas de moi l'idée d'avoir
un jour un enfant seule, je veux dire, par moi-même, car oui, en vérité, je ne
m'imagine pas sans enfants, c'est un fait, j'ai des choses à transmettre et pas
que mon deux pièces parisien.
 
Quant à Aveline, elle mixait
les deux. Elle avait eu une paire de parce qu'elle avait cru avoir (re)trouvé
l'amour (d'ailleurs, elle ne savait toujours pas s'il était perdu ou
ré-acquis), dans le même temps, après des années de vent en poupe avec son
agence éditoriale, elle avait dû mettre la clé sous la porte, ce qui fait
qu'elle se retrouvait mère d'une paire de, sans emploi (si ce n'est des « bricolettes »
à droite à gauche pour des copines), et l'esprit essentiellement accaparé par
le matériel.
 
Mais si derrière l'amour, la
question des enfants ne se posait pas, y aurait-il la même inaptitude de
l'espèce féminine à se construire pour et par elle-même? Si l'amour n'avait
rien à voir avec les enfants, en serait-on jeune, si obsédée ? Voilà une
question que j'aurais aimé poser à ces deux femmes.
 

Quoiqu'il en soit, il m'apparaissait,
alors que je tentais de me mettre au travail, que la liberté ne servait pas à
grand-chose si on n'était pas aimé, sauf esprits très forts ou très passionnés
(soit 0,3% de la population). D'ailleurs, même les grands esprits avaient leur
petite femme qui non seulement veillait à leur confort matériel mais entretenait
leur foi en eux-mêmes par leurs encouragements enthousiastes (et pas forcément
réalistes). Je veux dire, même les grands esprits ont besoin d'être aimés.
 

Aveline, Soledad et moi, nous
pensions comme Chantal Thomas dans notre jeunesse, mais les années de solitude,
de gadins voire de suprême chute (je pense à Soledad immanquablement larguée lorsqu'enfin
semblait atteint le bonheur conjugal…) nous ont, il est vrai, rendues dépendantes
à force de cette quête obsessionnelle de l'amour. Aveline disait toujours que
comme par hasard, c'était ses copines les plus fragiles qui restaient tout le
temps seules… Quand on voit la Parfaite, la démonstration est démontrée. Son
incroyable confiance en elle-même est sans doute pour quelque chose dans sa
réussite (et le fait que ses années de solitude se comptent sur les pattes d'un
ver de terre).
 
Je pense donc que pour
pouvoir être véritablement une femme libre comme le désirent et l'exigent ces
deux femmes, il faut être dégagé de ce souci d'être aimée, soit qu'on ait
trouvé l'amour et qu'il vous hisse vers le haut, soit qu'on l'ait eu si fort
dans son enfance qu'on le porte en soi adulte quoiqu'il arrive. Je crois qu'on
appelle ça la confiance en soi, sans laquelle il n'y a pas de véritable
liberté, d'esprit notamment, liberté que l'on atteindra si l'on ne dépend pas pour l'essentiel des autres, qu'il s'agisse
de leur affection ou de leur opinion.
 
Ce qui est loin de la femme
libérée de Cookie Dingler dont la liberté tenait au fait qu'elle empilait les
mecs fumait des joints en élevant seule ses enfants tout en disant des mots
salaces, ce qui est certes fortiche et sympathique en son genre mais ne vous
fait pas pour autant être une femme libre d'esprit.

One comment on “Etre une femme libre

  1. Reply Pym Août 4,2009 18:16

    javascript:ac_smilie(\’:grin\’)
    Dis donc, ça travaille du chapeau ! J\’ai bien ri, c\’est drôle mais pas que drôle, c\’est sûr. Il y a du fond, et dans le double fond, de l\’humour. Bravo !

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