La charité 1

La main qui reçoit est toujours en dessous de celle qui donne

Amadou Hampâté Bâ Laughing

La charité existe depuis au moins 4 millions d’années, c’est prouvé. Disons qu’au temps des dinosaures et des hommes en peau, elle n’existait peut être pas de façon flagrante mais je suis sûre qu’elle existait : tel chasseur apportant sa part de viande à la veuve de son camarade de chasse, telle velue acceptant de prendre en charge un pauvre enfant de même poilu abandonné par ses vieux…

La charité est devenue compliquée avec l’apparition de Jésus. Elle est devenue un devoir, pour ne pas dire une obligation. Bon, ok, déjà dans la Bible, il en était question mais ne parle-t-on pas essentiellement de “ charité chrétienne ” ? Non pas que les Juifs n’étaient pas généreux, je ne veux pas dire ça, remballez le procès, mais il semble bien qu’il était plus question dans ce livre là de mariages, de lois et d’exodes que de charité sur ces trottoirs que devrait parcourir des siècles après Jésus le fils. 

Avec l’obligation de charité, est venue celle de la culpabilité. Avant, Dieu n'était déjà pas marrant mais il avait un côté au-dessus de la mêlée et les petits travers du quotidien lui échappaient totalement. Avec son fils, est venu un Dieu plus trivial, qui vous regarde par le trou de la serrure et soupèse vos bonnes et mauvaises actions Y COMPRIS celles non encore effectuées. La charité en religion est de fait une sorte d’impôt moral obligatoire imposé à tous pour que le groupe survive en cohérence à défaut d’harmonie (si les riches ne donnaient rien aux pauvres, il n’y aurait plus aucun système social qui tienne debout), quand il ne s’agit pas carrément de s’acheter son coin de paradis en faisant œuvre de charité (les indulgences d’antan). Le comble de la libération du chrétien étant de tout donner quand la femme se libère, elle, en ne donnant jamais que ce qu’elle veut bien donner (et pas plus).

Une charité reposant sur la culpabilité et la peur de griller en enfer n’est pas une charité très honnête, cela saute au porte-monnaie du premier venu,

Et puis, n’est-on pas toujours prisonnier de la charité, qu’on soit la main du dessus ou la main du dessus ? Est-ce pour cela que la reine Dodo de chez les potes refuse toujours (avec le sourire) quoique ce soit qui vienne de moi, du ticket de métro en passant par la paire de chaussures ou le vison de ma mère? La charité associative et institutionnelle, oui, la charité de la main à la main, merci bien.

Car il semble bien que, plus la main qui donne est éloignée (géographiquement, humainement, statutairement), moins la main qui reçoit ne semble liée à ce don. La distance dilue la violence du don, et si, en plus, c’est une institution qui donne, l’anonymat de ce don (l’Institution, c’est personne et tout le monde) peut même atteindre la pure inconscience… au point que l’on en viendra parfois à considérer que ce don tombe du ciel et non d’une main (celle des citoyens imposés cotisants). Tout dépend de ce que cache le don : est-ce pour manger, s’habiller, créer, aider ? Est-ce une question de survie ou d’expression (artistique) ?

La charité est forcément contradictoire car s’il suffisait de donner pour être juste, voire bon, pour ne pas dire saint, ce serait trop facile. De même, si recevoir, vous rendait automatiquement redevable, ce serait un peu court ça aussi. Nous sommes surtout vite rattrapés par la trouble charité qui surgit dès qu’il s’agit de “ donner ”, or donner et recevoir ne signifie pas forcément charité.

Ainsi, ces patrons qui vous font la charité de vous “ donner ” du travail, au point qu’il faudrait baiser cette main, la leur, qui ne fait que vous verser un salaire qui n’est pourtant que du donnant-donnant. De même encore, ceux qui, dans les Institutions, ont le rôle de la main du dessus, et qui confondent la main du contribuable (nous tous) et la leur. Ils tendent à faire la charité aux précaires comme aux artistes au lieu de faire ce pourquoi on les paie : soutenir quelque chose, la vie, la création, l'éducation…

Il y a aussi ces terroristes de la charité qui vous traquent partout avec des symboles de souffrance et de culpabilisation (béquilles minuscules, sacs de riz miniatures, photos d’enfants aux yeux de martiens…) et pour qui il est impensable que l’on ne soit pas la main du dessus, étant donné qu’Eux, font est le Bien. Il y aussi ceux qui sont célèbres et que la charité habille pour pas un rond, t’as vu comme je suis bon, et si le ceux est une celle, actrice ou mannequin, cela devient carrément de la fringue de luxe. Ceux des riches artistes possédant une vraie et large paume, se reconnaissaient au fait qu’on ne les connaîtra jamais en tant que main du dessus.

Il y a enfin le comble du don où celui qui reçoit vous fait son obligé : vous devez lui être reconnaissant de lui donner ce qu’il vous ordonne de recevoir. Ainsi en est-il des parasites professionnels qui gagnent leur vie à partir de subsides qui, on est d'accord, n'émanent pas d'un organisme de charité (la Caf n'est pas une chapelle) mais qui à force, tendent à le devenir puisque l'aide devient un dû sans lequel on ne saurait imaginer vivre, à l'instar de celui qui quête dans la rue.

De même, ces paraistes professionnels qui gravitent dans des milieux tels que la Culture (mais je suis sûre que ça existe aussi dans la vente d’armes ou le porte-à-porte en appareils ménagers). Leur dire non provoque aussitôt une salve de lettres indignées où l'on se fait bien vite traiter de bureaucrate borné, d'employé stalinien, lettre accompagnée de l'inévitable je-vais-en-référer au Ministre. Le demandeur a beau être le roi des parasites, ne jamais vouloir mettre une bille dans ses projets, au point qu’il en crèverait même d’imaginer mettre la main au portefeuille pour vous payer le café qu’il vous a obligé à prendre pour que vous écoutiez ses doléances, qu’importe, l’argent de l’Etat, c’est Son argent ! Il fait de la Culture lui madame, pas de l’épicerie ni des boulons en usine ! Ce parasite là finit par confondre l’aide à la création avec la Sécurité sociale où, quoiqu’on veuille nous faire croire, on ne pratique pas la charité mais le retour sur investissement (vos cotisations sur salaire).

La charité est une chose bien compliquée, en ce que le don comme l’argent a toujours une odeur. Nous n’avons aucune solution à vous proposer, une vie qui se passerait sans jamais rien donner, serait une bien triste vie et les vies qui passent leur temps à donner ne sont pas forcément les plus libres et les plus heureuses. Plus on donne, plus on reçoit, ceci n’est jamais qu’un théorème destiné à simplifier l’énormité du territoire du don (donner quoi ? et à qui ? et comment ? se donner soi ? son argent ? Si on est plein aux as, quelle valeur cela a-t-il ce don qui ne vous touche qu’à peine ?).

Non seulement, nous n’avons rien à ajouter mais nous tournons désormais en rond, aussi ayez la charité de me laisser aller prendre l’apéro, j’ai soif et je n’ai plus rien à vous donner. 

One comment on “La charité

  1. Reply eau Juin 13,2006 13:42

    C’est ben vrai…
    La Charité étant synonyme d’Amour, il est tout aussi périlleux d’en parler sans être assailli par les contradictions…
    Pourquoi la Charité implique le Don ? Sur ma planète, les vieux disent qu’il est indissociable du mouvement dans la Vie de notre Essence même. Le Don est déploiement de la « Mort-enfermée » dans la Vie, Don de Soi vers Soi, mouvement pur de l’intérieur vers l’extérieur vers l’intérieur, boucle indicible de l’Eternité… qui disent, mais je comprends pas toujours ce qu’ils disent, parce qu’ils disent pas tout les bougres…
    Le hic, c’est lorsque le comptable-intermédiaire-opportun-parasite s’immisce dans cette boucle, pour faire des provisions, en rajoutant une taxe à ce don qu’il s’approprie sans vergogne, haut et fort, mais qui pourtant, le dépasse et l’englobe à la fois… Une fois passé entre ses mains, ce don ne brille plus que d’une faible lueur, empaqueté dans une maille de conditions épineuses et venimeuses, source de souffrance à son insu et pour autrui… Les vieux disent souvent de lui « s’il savait il s’arrêterait tout de suite, mais il ne sait que compter le bougre, c’est sa vie, il est ainsi ».
    Alors, les vieux lancent tous en cœur, [i]charité bien ordonnée commence par soi-même[/i], à commencer pour ce comptable désespéré, serrons le fort contre notre coeur…
    Merci pour ce Texte-Don Marie.

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