La douche écossaise


C'était donc la rentrée
pour tout le monde. Les scolaires, les littéraires… et les célibataires. La
rentrée de ces dernières étant souvent un mixte entre les deux autres :
une sensation de redoublement et d'insurmontable concurrence (beaucoup d'appelées,
très peu d'élues) dans le cadre d'une offre de plus en plus rare. Du moins,
rentrée signifiait qu'on était parti, ce qui n'était visiblement pas le cas pour
tout le monde si on en croyait les sondages (sauf sur l'autoroute le week-end,
à croire que ceux qui ne partaient pas venaient justement la boucher ces jours
là).

Côté scolaire, Zébulon
n'avait pas encore à se préoccuper de cartable batman, de baskets roulantes ou
de protège cahiers 12,5 sur 32 cm vert pomme pour le français avec des crayons
HB pointe de 12 j'insiste. Il n'avait qu'à se contenter de pousser des cris et
d'effectuer sa série de tremblements toujours un peu flippante quand on le
déposerait chez Nounou. Ce qu'il a fait avec grand art, comme si nous, on le
laissait pour aller passer la journée dans un magasin géant rempli de petites
voitures alors que pour sa part, sa pauvre mère (moi donc) ne s'en allait
jamais retrouver que la morne plaine de ses copier-coller-saisie afin que nul
n'ignore à quoi avait servi l'argent des taxes l'année d'avant.

Aplatie par la cousine
Morphéophobe qui avait décidé de prolonger son séjour chez nous (« je n'ai
jamais eu vraiment l'occasion de visiter Paris… »), alors que Bécassine
remplissait ses congés pour le mois de Décembre (un petit voyage au Mexique où
résidait une branche de la famille bas bleu bretonne), je me suis soudain
souvenu que Soledad devait être rentrée de sa randonnée écossaise.



Après avoir vérifié que
Bécassine s'était bien enfermée à triple tour dans son bureau (dossier très
important à lire avec note très importante à faire pour mitrand), je l'ai
appelée à son bureau. Où elle n'était point. Pas encore arrivée. J'ai regardé
l'heure, 10 h 15, ça ne ressemblait pas à la Soledad qui démarrait toujours sur
les chapeaux de roue à 8 h 30. Je l'ai donc appelée chez elle en me disant qu'elle
avait peut-être fait enfin La rencontre (à moins qu'elle ne se soit jetée d'une
falaise scotish). Une voix (de femme) inconnue m'a répondu, façon euh douche
écossaise.

–         
Allo ?
Qui est à l'appareil ?!
–         
Euh… je voudrais
parler à Soledad s'il vous plait…
–         
Elle n'est
pas là… que lui voulez-vous ?
–         
Euh eh bien…
je suis une amie et…
–         
Vous êtes
mariée ?
–         
Non… enfin
d'une certaine façon oui mais…
–         
Vie maritale vous
voulez signifier ?
–         
Oui… c'est
ça… mais je…
–         
Vous avez des
enfants ?
–         
Euh oui… un
enfant…
–         
Alors
écoutez-moi… écoutez moi bien… ne cherchez plus à joindre Soledad… Soledad n'a pas besoin
d'amie en couple qui plus est mère de famille… Soledad doit désormais penser
absolument à sa situation… de nullipare contrariée…  et trouver en conséquence elle aussi à son
tour un compagnon avec qui elle procèdera à la reproduction des mammifères…
elle vient de fêter cet été ses 38 ans… il n'y a plus de temps à perdre…
égoïstes et bien chaussées, passez votre chemin !

J'étais abasourdie vous
imaginez bien. Bécassine entre temps était ressortie du bureau et plantée
devant moi, elle m'a demandé si la personne que j'avais au bout du fil était
les éditions du Piston qui la harcelaient depuis la reprise (geste de la main
façon débouche évier) auquel cas elle n'était pas là (doigt agité comme un
métronome). Comme Bécassine parle très fort, en détachant chaque syllabe comme
si elle parlait en robe à traîne, les éditions du Piston auraient été bien vite
instruites de sa non absence.

–         
Non, je lui
ai dit, c'est euh… une amie…
–         
Je ne suis
pas votre amie ! A dit la voix désagréable au bout du fil.
–         
Ne sympathise
pas trop avec les éditeurs, m'a conseillé Bécassine d'un ton maternel en s'en
retournant dans son bureau, ou tu te trouveras vite comme celle qui devait
ramasser des livres par terre, nue devant son geôlier…

Bécassine, dans son col
Claudine, avait parfois d'étonnantes métaphores pour vous aider dans la vie.

–         
Mais qui
êtes-vous ? Ai-je demandé à la voix.
–         
Son
coach ! Je suis celle venue l'aider à sortir de sa panade !
–         
Mais où vous
a-t-elle rencontrée ?
–         
En
Ecosse ! A glapi la voix désagréable. Randonnée. Shetlands. York.
–         
Et euh…
c'était comment d'ailleurs cette randonnée ?

J'ai demandé alors que c'était
franchement pas la question la plus fondamentale du moment.

–         
Très féminin,
a répondu la voix, il y avait bien un homme au début mais il a promptement abandonné
en prétextant que nous marchions trop vite… les couples ont vite compris eux
aussi qu'il ne fallait pas s'accrocher non plus et nous nous sommes retrouvés
à… deux. Soledad et moi. En congé sabbatique de coaching en grande entreprise,
j'ai pris Soledad en pitié, une si jolie petite créature esseulée, abonnée à
l'œuf au plat devant les horreurs du JT chaque soir…
–         
Mais
excusez-moi, je l'ai coupée, est-ce que je ne pourrais vraiment pas parler à Soledad ?
–         
Vraiment pas ! D'ailleurs, elle n'est pas là !
–         
Mais où
est-elle ?

J'ai demandé dans un cri
d'angoisse qui a fait sursauter dans le lointain le col Claudine de Bécassine.

–         
Partie
travailler… un peu plus tard que d'habitude, nous avons trop bu la veille au
soir… un whisky du tonnerre… sur ce, je vous laisse, j'ai la nénette à passer
et les strings à plier !

Et l'hydre m'a raccroché
au nez. Bécassine est aussitôt ressortie de son bureau pour me sermonner en me
disant que je passais trop de temps à écouter les jérémiades des manants, qu'il
fallait être plus ferme, non c'est non, tout ça sans que j'ai pu lui expliquer
quoique ce soit.

Ensuite, elle m'a précisé
que les éditions du Piston s'étaient juré d'entendre sa voix avant le
changement d'horaire hivernal, qu'ils faisaient le poireau tout également chez
Mitrand, qui nous les avaient renvoyés, vu qu'il s avaient une ardoise lourde
comme la trousse à maquillage à Roseline, et qu'ils voudraient bien nous la
voir effacer sinon la Littérature en pâtirait car ils ne pourraient plus
publier, etc. L'habituelle complainte des éditeurs fauchés (mais parfois avec
un compte en Suisse). Qu'en bref, je devrais les filtrer au besoin en leur
récitant de règlement du Syndic, car il était hors de question qu'elle les
entende. Et sur ce pof, elle était déjà repartie dans son antre où elle
attendait un coup de fil de Rome.

–         
Pronto,
pronto… je l'ai entendu bramer.

J'ai médité sur ce qui
arrivait à Soledad. Je me suis demandé si, à force de solitude et de déboires,
elle avait viré sa cuti et s'était mis en ménage avec une qui évoquait la
Josiane (B.). Puis, je me suis dit que la pauvre avait dû s'écoper d'une sorte
de non muse  version célibat, une non
cupidone en quelque sorte, une squatteuse venue s'installer chez elle dans
l'objectif aussi trouble qu'affirmé de l'aider à sortir de sa solitude, mais
dans l'objectif le plus réel qui était de l'y plomber encore un peu plus.

Je me suis sentie soudain
accablée. La rentrée s'annonçait bien tiens. Je me suis dit que j'allais
joindre dès que possible Bastille pour que nous allions la délivrer de cette
infâme non cupidone. Qui peut-être se mettrait alors à la colle avec la non
muse, qui sait…

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