Fuir (la suite)


Suite au coup de fil passé à Aveline, intercepté par sa coach, je me suis remise, la
tête ailleurs, forcément, dans le dossier des éditions de La faillite éminente, quand le
téléphone a à nouveau sonné. J'ai poussé un soupir de soulagement en
reconnaissant la voix d'Aveline.

–         
Je viens aux
nouvelles… m'a-t-elle fait.
–         
Et moi
donc ! J'ai soupiré de soulagement. T'as eu mon message ?
–         
Quel  message ? Elle m'a fait sur fond de tire
lait agrémenté d'un bruit que j'ai identifié à peu près comme la chute de pâtes
bouillantes dans une passoire.
–         
Je t'ai
appelée y a pas une heure… j'ai eu une drôle de bonne femme qui…
–         
Ma
coach ! A glapi Aveline. Ma conseillère en maternité et conjugalité !
Qu'est-ce qu'elle t'a dit cette pouffe ?

Maintenant au bruit que
j'entendais, il semblait qu'elle avait commencé l'ingestion des pâtes, chrouic
chrouic dans mes oreilles.



–         
Eh bien… ta
coach m'a dit que tu t'étais enfuie…
–         
C'est pas l'envie
qui me manque… mais j'étais juste partie me changer les idéches… en allant
acheter diches  tétines et diches
paqueches de couches… scuze moi, je manche en même temps sinon c'est ramadan
encore pendant 6 heures…
–         
Ramadan ?

Se serait-elle en plus
convertie à une religion qui n'était même pas celle du semi-maori ?

–         
Temps de rien…
même pas de bouffer…  zayon a fichu le
camp pour étudier les mœurs des sorcières berrichonnes… à moins qu'il ne soit
rentré chez sa femme qui menaçait de sauter du haut de sa hutte avec leur
propre paire (cela dit adolescente, donc auto-gestionnaire ce me semble à cet
âge)… en bref, je suis seule avec les filles… alors ma mère, que son âme en vie
soit honnie jusqu'aux arrières petites-filles de mes filles, a fait venir une
vieille amie coacheuse dans une entreprise… enfin en congé sabbatique de
coaching… un terme poli pour dire que la vieille est cuite…  en pré-retraite quoi…  et cette vieille bique est supposée me
soutenir dans l'élevage de ma paire de…  et
mes imbroglios de conjugo… sauf que c'est moi qui me tape toutes les nuits et
qu'elle m'a déjà bousillé 3 bodies, fondu 5 tétines et… mais trêve de, cessons
de nous plaindre alors que l'on a tout pour être heureuse avec cette profusion
d'enfants qu'on n'attendait plus… comment ça va toi ? tu t'en sors ?

–         
Euh oui… mais
de quoi ?
–         
De ta vie de
merde !
–         
Comment
ça ?!

J'étais choquée. Jamais avant
Aveline n'aurait employé un tel terme pour qualifier mon existence d'individu
libre et laborieux. Trois mois après pouvait-on encore mettre cela sur le
compte d'une dépression post-parturiton ?

–         
Mimi, a glapi
Aveline dans le combiné, quand est-ce que tu largues ce repère de névrosés en
pente douce et de petits escabeaux pour te consacrer enfin à l'écriture ?

Elle semblait si remontée
que je me suis demandé si son semi-maori, universitaire donc fonctionnaire, ne
l'avait pas indisposée contre toute forme de service public.

–         
Eh bien… tout
n'est pas si simple et…
–         
Taratata… je
pense beaucoup à toi en ce moment tu sais… je ne cesse de me demander comment
tu vas t'en sortir…
–         
Mais tout ne
va pas si mal et…
–         
Tu parles
d'une définition de l'existence… tout ne va pas si mal… je m'inquiète, tu sais,
je m'inquiète follement pour toi… je me demande ce que tu vas devenir dans
cette sorte de nasse sans issue dans laquelle tu t'enfermes chaque jour un peu
plus… et ce mur qui se rapproche à vitesse grand V de ton nez en forme de
patate…

Je trouvais ça
renversant. Aveline qui se retrouvait seule avec une paire de, enfantée par un
semi-maori volage et envolé car tout simplement très marié, avec pour compléter
le match, plus vraiment d'emploi puisque son agence avait fermé, bref, Aveline se
préoccupait de mon sort qui, sans être délirant, n'était pas inenviable, nom de
nom, en tout cas bien plus confortable que le sien.  
–         
Ta
squatteuse-coach squatte toujours ton squat ? Elle m'a demandé.
–         
Tu veux
parler de ma non muse ? Eh bien oui, elle est toujours à demeure… l'automne
arrive, difficile de la mettre dehors…
–         
Et son
cocktail molotov de caissière de sœur se pend toujours à vos guêtres je
présume ?
–         
On peut dire
ça comme ça mais elle n'est pas si souvent là et…
–         
Mimi !
Tout ça pour ça !
–         
Comment ça
tout ça pour ça ?
–         
Toutes ces
années passées à écrire seule dans ton deux pièces de bonne… les voyages pour
la rencontre et la nutrition de l'imagination… tu te rappelles l'Afrique où on
se prétendait mariées pour couper court aux invitations de ceux qui nous vantaient
leur gros boudin noir… ah lala si on avait su… et les concours de nouvelles… et
ta femme blanche fatiguée… et la quête du sens (et de l'homme)… tout ça pour en
arriver là… une vie d'employée de bureau qui fait ses heures, ses trajets, paye
sa nounou le 30 de chaque mois et crie sur son fils le soir parce qu'il ne veut
pas manger sa purée de tofu… et dont le seul but désormais est de gratter 3
lignes en fin de semaine tout en mettant des cierges à Lourdes pour qu'enfin le
petit sur qui on crie le soir est un frère ou une sœur sur qui on puisse aussi
crier…
–         
Tu
caricatures…

Ai-je affirmé, mal à
l'aise.

–         
Mimi réveille
toi ! Sors de ce marasme !
–         
Mais je vais
très bien ! J'ai fermement protesté. C'est plutôt toi qui devrais t'inquiéter
de ce que…
–         
Mimi ! A
crié Aveline alors qu'en arrière fond j'entendais des pas précipités arriver.
Enfuyons-nous ! Dès ce soir ! Saute dans le premier Paris-Bourges, je
t'attendrai sur le quai et on s'enfuira très loin de tout ça… on franchira les
montagnes et et… mais mais laissez moi parler enfin… vous n'avez pas à… Mimi je
t'attends ce soir et…
–         
Veuillez
raccrocher, a dit la voix de la coach, Aveline ne veut plus vous parler !
–         
Mais…

Ai-je bêlé, mais la coach
m'avait déjà raccroché au nez. J'ai recomposé le numéro aussitôt.

–         
Editions du
Piston bonjour… nous souhaiterions parler à madame Aubanel…

Mince, un mic mac de
ligne. Je leur ai raccroché au nez aussi sec et je me suis enfuie aussi vite
que possible du bureau tandis que le téléphone pleurait, pleurait, comme aurait
dit Cloclo.

Nous n'avons fait que fuir. Nous cogner dans les
angles. Nous n'avons fait que fuir. Et sur la longue route, des chiens
resplendissants deviennent nos alliés…

Concluait l'homme qui
tapait la tête des femmes sur les radiateurs lituaniens. A méditer, me suis-je
dit, vaguement tentée par un Paris-Bourges mais également plutôt tentée de retourner à
mon bercail où m'attendait Zébulon pour que je le prenne dans les bras et lui
montre par la fenêtre pour la 110ème fois cette semaine le tracteur jaune de
l'usine d'à côté. Je sentais bien que je n'allais faire que rester, ce qui, après tout, se justifiait parfaitement. Les chiens resplendissants, très peu pour moi…

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